La fonction publique malienne constitue un vaste ensemble à deux versants, l’État et les collectivités territoriales, qui occupe près de 0,55% (Source DNFP) de la population active salariée sur tout le territoire national et évolue dans une réalité fluctuante et complexe.
Elle repose sur une valeur fondamentale du fonctionnaire: le droit à la carrière, qu’il convient de raviver face aux rigidités et aux cloisonnements accumulés au fil du temps. Aujourd’hui, la fonction publique malienne se caractérise par son cloisonnement, sensible tant entre ministères qu’au sein d’un même département. Le phénomène trouve sans doute sa source dans la multiplicité des corps et des différences de statuts. Il est indispensable de promouvoir l’interministériel comme méthode quotidienne de travail, afin que tous les agents concourent à l’action de l’Etat. La création de l’ENA et la réforme de l’Etat en cours permettront l’émergence d’un Etat moderne, adapté à l’évolution économique, sociale et culturelle du pays.
Du fait de leur niveau de recrutement et de la qualité des formations initiales reçues, les fonctionnaires maliens possèdent des compétences générales communément reconnues, qu’il faut impérativement compléter par une politique de mobilité statutaire adéquate.
La mobilité constitue, de nos jours, une modalité particulière de formation faiblement utilisée au Mali. Elle consiste, en effet, en un changement programmé de lieu d’exercice des fonctions ou en un changement d’emploi, pour exercer des responsabilités différentes, de même niveau ou de niveau supérieur. Pour évoquer la question, nous l’étudierons à travers les freins à la mobilité et les avantages.
1) Les freins à la mobilité
Un rapport du Commissariat au développement institutionnel (CDI) de septembre 2006 expliquait déjà que «jusqu’à l’institution du concours d’entrée à la fonction publique, au début des années 1980, la mobilité des fonctionnaires posait moins de difficultés, puisque chaque nouvelle recrue devait servir d’abord à l’intérieur du pays. La fin du recrutement systématique des diplômés par l’Etat s’est accompagné d’un certain vide dans ce domaine, puisqu’il n’existe, de nos jours, aucun dispositif traçant de manière claire et précise la durée et les lieux de mobilité par lesquels doit passer un nouveau fonctionnaire, au-delà de la période de stage obligatoire. Cette situation incite de plus en plus les agents de l’Etat à opter pour la mutation et la résidence dans les grandes agglomérations, au détriment du reste du pays». Mieux, la mobilité entre départements ministériels n’a fait l’objet à ce jour d’aucune politique ou incitation.
La mobilité est encore très marginale et trop concentrée sur les corps d’encadrement, au niveau des cabinets ministériels, au gré des changements de Gouvernement, comme en témoignent les multiples formes de mobilité enregistrées à ce niveau (de l’Etat à la collectivité, du privé au public, du public au privé et entre départements).
Les freins à l’origine de cette situation sont connus de tous, qu’il s’agisse des obstacles statutaires ou indemnitaires pour passer d’une administration à une autre ou d’une fonction publique à l’autre; des pratiques de gestion peu encourageantes (faible transparence dans les offres d’emplois ou les règles du jeu de la mobilité, faible valorisation des mobilités exercées dans le déroulement de la carrière, etc.) ou des freins culturels et historiques (cloisonnement des administrations, réticences à changer de ministère ou de fonction publique, etc.). Concrètement, tel enseignant de la fonction publique des collectivités, par exemple, ne peut devenir fonctionnaire sans repasser un concours. Tel service refuse de laisser partir un agent, par peur de ne pouvoir pourvoir rapidement le poste vacant. Tel autre, au contraire, ne peut accueillir l’agent qu’il souhaite, faute de pouvoir prendre en charge ou de partager son régime indemnitaire… Il est impératif d’apporter des solutions à ces blocages, en levant les derniers freins statutaires et indemnitaires à la mobilité (suppression des obstacles juridiques au détachement et à l’intégration entre corps et cadres d’emplois de même catégorie et de même niveau, ouverture respective des fonctions publiques civile et militaire, création d’une indemnité spécifique d’accompagnement à la mobilité). Cette politique doit créer, par ailleurs, de nouvelles garanties, aussi concrètes que novatrices, au bénéfice des fonctionnaires qui souhaitent évoluer dans leur vie professionnelle (droit au départ, droit à l’intégration dans une autre fonction au delà d’un certain temps, imposition de la mobilité aux fonctionnaires sans ambition de changement…).
2) Les avantages
Les avantages sont multiples. Les cadres supérieurs sont susceptibles, à l’occasion de la mobilité, d’approfondir et de diversifier leur expérience, en l’absence de véritable formation permanente. Elle permet aussi de valoriser l’expérience professionnelle des fonctionnaires, en la confrontant à d’autres situations administratives. Elle évite aussi la sclérose intellectuelle et le confort des situations acquises. En changeant d’emploi le fonctionnaire peut obtenir une affectation nouvelle, conforme à ses souhaits et mieux adaptée à sa situation personnelle.
Pour l’administration, la mobilité rend possible la dynamisation des services et une couverture géographique égalitaire du territoire. Le rapport CDI de septembre 2006 évoque ceux-ci à titre d’exemple: «à la date du 17 mars 2006, les fonctionnaires du Mali étaient au nombre de 36 986 personnes. Plus de la moitié (58%) sont des cadres moyens, dont 45% de la catégorie B2 et 13% de B1. 28% sont des cadres supérieurs et 14% de la catégorie C. Près de la moitié (49.1%) sert dans le District de Bamako; 10,2% à Sikasso; respectivement 9,8% et 9,4% travaillent à Koulikoro et à Ségou. Suivent ensuite Kayes (6,8%), Mopti (6,7%), Gao (3,5%), Tombouctou (3,2%), Kidal (0,8%) et les Affaires étrangères (0,5%). En nombre absolu, les régions les mieux servies sont respectivement Bamako, Sikasso, Koulikoro et Ségou, avec au moins 10% des fonctionnaires. L’écrasante majorité des cadres supérieurs (66,3%) servent dans la capitale, 6,6% à Koulikoro et 6,2% à Sikasso. De l’autre côté, ils ne sont que 0,8% à Kidal».
La haute fonction publique demeure constituée de blocs homogènes, entre lesquels il est bien difficile de circuler, parce que l’administration n’encourage pas la mobilité et que, de leur côté, les fonctionnaires ont une approche restrictive de la mobilité. Certains postes sont réputés peu gratifiants et, en outre, la mobilité est exceptionnellement verticale (de l’administration centrale vers l’administration déconcentrée) et encore plus exceptionnellement internationale.
Abdoulaye Alkadi
Docteur en Droit