L’Aïd El Kébir, communément appelée fête de la Tabaski, sera célébrée en principe le 15 octobre prochain au Mali, comme ce fut indiqué ce mardi par la Commission de la lune. Ainsi, l’heure est déjà aux préparatifs dans tous les ménages avec en toile de fond l’achat du précieux mouton pour le sacrifice d’Abraham. A faire un tour des différents «Garbals» (marchés de bétail) de la capitale malienne, l’on se rend compte qu’à moins d’une semaine de cette fête musulmane, les clients se font rares. Aussi, les quelques éventuels acheteurs qui se pointent crient à la cherté des moutons.
La fête de Tabaski intervient, faut-il le rappeler, à un moment où les prix des produits de première nécessité connaissent une flambée sur le marché national. Cette situation, ajoutée aux dépenses liées à la rentrée scolaire, fait que la rituelle religieuse qui consiste à faire un sacrifice le jour de la Tabaski coupe le sommeil à bon nombre de chefs de ménages. Surtout que ce sacrifice dépasse désormais le seul cadre religieux et fait face, depuis des années, à nos réalités sociales.
Ainsi donc, depuis quelques semaines, les marchés du mouton de Bamako ont commencé à s’animer. Pour prendre leur température, notre équipe de reportage a fait le tour de différents points de vente. De Boulkassoumbougou au quartier «Sans fil» en passant par Lafiabougou Koda, Badalabougou, Faladié, Niamakoro, Hamdallaye ACI 2000 et Niamana, le constat est le même : l’affluence est timide et les prix sont relativement élevés. En tout cas, la réalité est bien triste, comparée aux années précédentes. Toute chose qui, du reste, provoque une relative inquiétude chez les vendeurs et l’angoisse chez les acheteurs.
Contrairement à l’année dernière où les prix ont oscillé entre 50 000FCFA et 250 000FCFA, cette année, pour se procurer d’un bon bélier, il faut débourser de 75 000 FCFA à plus de 300 000 FCFA. C’est pourquoi, les rares clients qui osent affronter l’épreuve ne cachent pas parfois leur angoisse voir leur colère. C’est le cas d’Ibrahim Fomba que nous avons rencontré en pleine navette entre les différents vendeurs, accompagné d’un de ses rejetons. Après de longs pourparlers sans succès autour d’un bélier, il a fini, malgré lui, par rentrer à la maison. «Les prix des moutons qu’on m’a proposés sont trop élevés. Est-ce que ces gens-là savent dans quelle situation se trouve le pays ? Nous faisons déjà tant d’efforts pour joindre les deux bouts. Regardez ce petit mouton qu’on veut me vendre à 75 000 FCFA. En temps normal je ne donnerai même pas 30 000 FCFA pour cette bête», s’insurge M. Fomba. «Les moutons sont hors de portée, et c’est bien pire que l’année dernière», regrette Lassana Doumbia, resté médusé après un marchandage infructueux au garbal de Lafiabougou Koda. Et Moussa Keïta de corroborer que cette année, beaucoup de chefs de familles vont devoir sacrifier des agneaux ou des chèvres. Rencontré sur un marché occasionnel à Hamdallaye ACI, Mamadou Kanté, un acheteur «recalé», estime que la cherté des moutons peut s’expliquer par le fait que les vendeurs pensent déjà à une pénurie, comme ce fut le cas l’année dernière. Par ailleurs, son espoir pour une éventuelle baisse des prix repose sur un meilleur approvisionnement du marché. Interrogé sur la timide affluence qui se fait jusque-là sentir autour d’eux, beaucoup de propriétaires de bétail disent que les acheteurs attendent généralement la dernière ligne droite pour se procurer du sésame, par peur de ne pas se le faire voler. «Ils viendront car la fête est déjà proche», espère Hama Dicko, un peulh de San qui reconnait n’avoir fait l’objet d’aucune tracasserie par les services de sécurité.
Pourquoi cette hausse des prix des moutons ?
Comme d’habitude, les vendeurs de bétail lient, quant à eux, cette cherté aux frais de transport du bétail à partir des principaux marchés d’approvisionnement qui sont le plus souvent loin de la capitale. Aussi, ils imputent cette situation aux charges engendrées par l’entretien de l’animal. A ceux-ci s’ajoutent les différentes taxes journalières qu’ils sont tenus de payer à la collectivité et aux autres structures informelles impliquées dans le circuit commercial.
Certains vendeurs de moutons qui sont venus des régions du Nord expliquent que la montée des prix des moutons s’explique en grande partie par les vers parasites ayant causé la mort de plusieurs moutons. Nouhoum Dicko fait partie des rares éleveurs qui ont acheminé des béliers du nord du Mali à Bamako. Il affirme que beaucoup d’éleveurs ont été obligés de vendre leurs bétails et d’abandonner l’élevage à cause de l’épizootie qui a causé un ravage. C’est ce qui explique, selon lui, non seulement la montée des prix cette année, mais aussi la rareté des bétails en provenance du nord.
Ibrahim M. GUEYE et
Bakary SOGODOGO
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PREPARATIFS DE LA FÊTE DE TABASKI
Un véritable casse-tête
Dans moins d’une semaine, la communauté musulmane célébrera la fête de Tabaski, communément appelée « fête du mouton ». Un tour a été fait dans la ville afin de s’enquérir des préparatifs de cette fête.
Comme toute fête, la célébration de la Tabaski occasionne des préparatifs tant sur le plan spirituel, matériel et financier. Bien plus qu’une fête religieuse, la Tabaski est devenue synonyme d’inquiétudes pour bon nombre de Maliens. Ainsi, dans la capitale, chacun prépare la fête selon ses moyens. L’élément commun de ces préparatifs pour les musulmans est l’achat du mouton du sacrifice comme le prescrit le Saint Coran. Pourquoi un mouton pour le sacrifice ? « C’est la fête qui commémore le sacrifice du prophète Ibrahim à Dieu. Ainsi donc, à l’occasion de la fête de Tabaski, les musulmans sacrifient un mouton en souvenir du geste d’Ibrahim qui voulait obéir à son Dieu en sacrifiant son unique fils » a expliqué Adama Sylla, un jeune musulman. A cela vient s’ajouter l’habillement, un véritable casse-tête.
A quelques jours de cette grande fête, les marchés à Bamako, c’est l’effervescence. Les ménagères, elles, se plaignent du fait que les commerçants, détaillants et grossistes, profitent de cette montée de la demande pour rendre les choses plus compliquées. « Les prix des denrées de premières nécessité sont inabordables. Depuis près d’une semaine les condiments comme l’oignon et autres épices se vendent à des prix élevés », témoigne Ramata, ménagère. Du côté des boutiques du Grand marché, certes, il y a une grande affluence, mais la majeure partie des personnes présentes sur ces lieux n’est venue que pour le plaisir des yeux. Ils veulent bien acheter, mais les poches sont vides. « Cette année, les clients n’ont pas pris d’assaut les magasins. La plupart d’entre eux font la navette, mais n’achètent rien », constate Seydou, jeune commerçant de sacs et chaussures. Pourtant les commerçants ont renouvelé les stocks pour charmer les clients. De même, ils ont revu à la baisse le prix de certains articles. Mais ces efforts semblent vains.
Chez les couturiers, l’ambiance est loin d’être celle qu’on attendait. « Le marché est timide cette année. Les gens n’ont pas amené des tissus à coudre » explique Matar Diouf, patron d’un atelier de couture. Il justifie cette situation par la pauvreté qui est ressentie un peu partout. « Les années passées, à l’approche de la fête, nous veillons dans nos ateliers pour pouvoir terminer les tenues de nos clients. Cette année, nous ne savons même pas que nous sommes à l’approche de la tabaski. Chez nous comme chez les autres couturiers, le travail n’est pas intense car les clients se comptent au bout des doigts,» a-t-il ajouté. Abdoul un autre tailleur, dont l’atelier de couture est sise à Baco Djicoroni, se plaint de l’absence des clients : « nous, nous avons le moral à zéro parce que les clients ne sont pas nombreux. Nous vivons de l’argent que nous nous faisons en cousant leurs habits. S’ils ne nous apportent quasiment plus habits à coudre, il sera difficile pour nous de préparer la Tabaski. Pire, à une semaine de la fête je n’ai pas encore payé mon mouton de fête ».
Chez ces autres artisans de la chaine de l’habillement, les batteurs de Bazin. Pour ceux qui apportent la touchent finale à nos habits de fête en les battant à coups de gourdins, les préparatifs de la fête de Tabaski sont timides. « D’habitude à cette date, notre paillote est remplie de Bazins. Mais voyez-vous-même comment c’est vide », explique Lassy, en montrant ces nattes sur lesquelles quelques complets de Bazin attendent d’être battus. Avant d’ajouter que ses principales clientes, les teinturières, lui ont dit que les commandes se font rares à cause de la conjoncture.
En effet, Awa, une teinture exerçant dans le quartier ACI 2000, nous l’a confirmé : « je pense que les gens préparent difficilement cette fête. J’ai eu moins de Bazins à teindre que l’année dernière. Et certaines personnes, m’ont même amené des vieux habits pour les reteindre. Je pense que cette crise financière est due au fait que la rentrée scolaire et la Tabaski surviennent pratiquement au même moment ».
Cette fête intervient au terme d’une période très dure pour les foyers maliens et beaucoup peinent à joindre les deux bouts.
Rokia DIABATE et Mariam Ben BARKA