L’Aïd El Kébir, c’est mardi prochain. A quatre jours de ce grand rendez-vous religieux et social, les préparatifs vont bon train. Dans nos familles, toute l’attention se concentre désormais sur l’acquisition du précieux mouton destiné à commémorer le sacrifice d’Abraham. Cette préoccupation principale est au centre de toutes les causeries aussi bien dans les ménages que dans les bureaux. Et comme nous l’annoncions dans notre livraison de la semaine dernière, le temps du stress intense est venu pour les chefs de familles soucieux de se procurer de leur indispensable mouton de fête et il s’accentuera au fur et à mesure que le jour « J » s’approchera.
Est-il besoin de rappeler que cette fête de Tabaski intervient deux semaines seulement après la rentrée des classes, qui aura été elle aussi un grand rendez-vous très dispendieux pour les chefs de famille ? En outre, les portefeuilles ont été également pressés les dépenses de mariage qui ont déferlé en vagues dans nos familles. Bref, les occasions de débours ont été légion ces derniers temps. Mais les chefs de famille n’ont pas le choix : ils vont encore devoir se saigner pour permettre à leur famille de fêter dignement l’Aïd El Kébir. Ainsi, à quelques jours de la fête, ces pères de famille sont nombreux à prendre d’assaut les « garbals » (marchés de moutons) et des lieux de ventes occasionnels à la recherche d’un animal propre à être sacrifié. Cependant, ils vont devoir dompter un marché qui fonctionne à plusieurs vitesses, où les prix changent selon les points de vente et au gré des heures.
Ainsi, depuis lundi dernier, le vrai compte à rebours est lancé et depuis la pression ne cesse de monter. Un tour des différents « garbals » de la capitale nous a permis de prendre la température du marché de moutons à « J » moins 4. De Niamana à Faladiè en passant par Niamakoro, Kalabancoura, Kalabancoro, Quartier-Mali, Badalabougou jusqu’à Lafiabougou Koda, N’Tomikorobougou, Hippodrome, Sans fil et Boulkassoumbougou et même dans les marchés occasionnels, partout le même constat s’impose : les marchés sont très bien approvisionnés. Ce qui constitue un motif de soulagement majeur aussi bien pour les chefs de familles que pour les autorités. Car cette disponibilité de bêtes réduit le risque de spéculation, phénomène qu’aurait encouragé une éventuelle pénurie.
Ce qui intéresse le plus les acheteurs au jour d’aujourd’hui, c’est surtout la fourchette des prix pratiqués. Sur ce point, il nous est impossible d’être absolument catégorique dans nos indications, tellement le marché est versatile. Dans ce dernier tournant pris vers la fête, les prix évoluent d’heure en heure et ils diffèrent d’un garbal à l’autre. Cependant, pour se procurer un bon mouton, il faut débourser nécessairement entre 60.000 à 100.000 francs CFA. Mais une mise en garde n’est pas inutile : dans les garbals, avoir l’argent ne suffit plus, il faut se doter d’une patience de scribe et surtout maîtriser les techniques de marchandage.
PLUS DE 200.000 FCFA DANS LES TRACASSERIES – Abba Diallo, un chef de famille, rencontré au garbal de Sabalibougou, a su se montrer persuasif dans cet exercice : il acheté un très beau bélier à 65.000 Fcfa. « La recette que j’ai utilisée ? C’est très simple, il faut savoir ce qu’on veut comme bête et ce qu’on a comme argent. Moi, je voulais un gros bélier et j’avais 70.000 Fcfa dans ma poche. Je me suis intéressé ce mouton que le vendeur proposait à 100.000 Fcfa. J’ai marchandé et à force de discuter, j’ai pu avoir mon mouton à 65.000 Fcfa. Tout de suite après, quelqu’un a acheté un mouton plus petit que le mien à 80.000 Fcfa », indique ce chef de famille, très soulagé de se débarrasser enfin de la pression des enfants. « Vous savez, se doter d’un mouton de fête aujourd’hui, est vraiment un sacrifice qu’on consent pour la famille et surtout pour les enfants. Car la Tabaski, ce n’est pas seulement le mouton qu’il faut acheter. Il y aussi les habits. Surtout pour les femmes et les enfants. En tout cas pour moi, les choses sont claires. Les enfants et leur maman vont devoir porter les habits de la rentrée scolaire », assure le chef de famille tout souriant.
A grand garbal de Niamana, le cafouillage est total. Ici, des dizaines de camions chargés de moutons arrivent tous les jours. Pendant que les petits marchands assurent les ventes individuelles, les gros discutent des achats groupés qu’organisent certains services de l’administration et du privé, représentés par des responsables syndicaux. Mais il faut noter que c’est aussi à partir de Niamana que certains garbals et lieu de vente spontanée se ravitaillent.
Moussa Barry, commerçant de mouton, était entrain de décharger sa cargaison de bêtes venue de Boni et de Douentza. Il affirme avoir débarqué avec 842 têtes de moutons. « Il y a beaucoup de moutons dans ces zones. Et les mesures prises par le gouvernement ont été très salutaires. De Boni en passant par Douentza je n’ai payé que 20.000 Fcfa comme frais au niveau des postes de contrôle. Ce qui est insignifiant, car avant l’instauration de ces mesures, on pouvait débourser plus de 200.000 Fcfa dans les tracasseries. Cependant, ce sont les frais de transport des moutons qui ont doublé. De Douentza à Bamako, un mouton est maintenant transporté entre 2.500 et 3.000 Fcfa contre 750 à 1000 Fcfa en temps normal. Et plus on s’éloigne, plus les frais de transport prennent l’ascenseur. Malgré tout cela, je pense que les prix seront abordables cette année par rapport à l’an passé. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas de risques de pénurie », témoigne le commerçant en indiquant qu’un bon bélier se négocie entre 60.000 à 100.000 Fcfa.
OBLIGÉS REBROUSSER CHEMIN – Abdoulaye Dicko, un autre commerçant de bétail au garbal de l’Hippodrome, avance un autre argument pour expliquer la situation. « Pour moi, le problème n’est pas au niveau des prix que je trouve abordables. Le hic, c’est que les gens sont financièrement asphyxiés. Il y a eu trop de nécessités de dépenses ces derniers temps. Sinon, les moutons – surtout ceux amenés de la région de Ségou et de Mopti – sont d’un formidable embonpoint et leurs prix sont acceptables. Par contre, les grands béliers du Sahel sont un peu chers cette année », indique notre interlocuteur.
Quoi qu’il en soit, le prix a son importance. La preuve, un véritable engouement est enregistré sur les lieux de vente promotionnelle de Padeso. Ces parcs dont la position a été communiquée dans notre livraison de lundi dernier ont été littéralement pris d’assaut par les chefs de famille, et plus particulièrement par les agents de l’administration. Hier à notre passage au stade Souleymane Mory Coulibaly à Torokorobougou (Commune V) et au stade municipal de Sogoniko (VI), nous avons croisé de nombreux acheteurs venus pour un bélier et qui ont été obligés rebrousser chemin. En effet, dans ces deux stades, il n’y avait plus de bon bélier, seules quelques bêtes de deuxième et troisième choix pâturaient dans les cours.
Hamadi Bah, négociant installé au stade Souleymane Mory Coulibaly à Torokorobougou, dit avoir vendu tous ses animaux. « La vente promotionnelle a commencé lundi. J’avais amené plus de 300 têtes, aujourd’hui, il ne me reste plus qu’une dizaine que je compte écouler d’ici la fin de la journée avant de rentrer chez moi. C’était mon souhait, tout vendre et rentrer fêter chez moi », nous a-t-il indiqué. Cependant, notre interlocuteur reconnaissait que cette année, beaucoup d’éleveurs, acteurs du projet, n’ont pas fait le déplacement à cause du manque de financement. « Les banques n’ont pas consenti aux éleveurs du Sahel les moyens financiers qui leur auraient permis de participer à cette opération. Par conséquent, ceux d’entre nous qui ne disposaient pas d’économies n’ont pas pu faire le déplacement. Dans le Sahel, il y a beaucoup d’animaux, mais le problème de leur transport se pose de manière aigüe. Avec l’insécurité actuelle, beaucoup de transporteurs ont refusé de venir chez nous, ce qui a encore réduit le nombre de participants cette année à la vente promo », a explicité l’éleveur.
LE MARCHÉ ÉCHAPPE À TOUT CONTRÔLE – Un chef de famille en quête de mouton au stade municipal de Sogoniko a fini par abandonner faute de n’avoir pas pu trouver une bête de bonne qualité « Le Padeso doit faire en sorte que ses points de vente soient assez fournis. 5000 moutons, ce n’est rien par rapport à la demande. Vous savez que l’arrivée de ces moutons casse les prix dans les « garbal ». Il faut donc approvisionner suffisament ces point de vente promotionnelle afin de réguler le marché. Maintenant dès qu’on annoncera qu’il n’y a plus de montons ici, les garbals vont faire monter les enchères », se plaint ce chef de famille très remonté.
Contrairement à lui, cet autre chef de famille a pu acquérir à la vente promotionnelle un petit bélier d’un très bon embonpoint à 35.000 Fcfa. « Moi, je n’avais que 35.000 Fcfa, je ne peux pas me permettre d’aller discuter le prix des moutons de 100.000 Fcfa ou même de 75.000 Fcfa. Comme je savais ce que je voulais, j’ai choisi un mouton de 3ème catégorie. Ainsi, à force de discuter, j’ai pu l’avoir à 35.000 Fcfa », indique l’homme qui juge qu’il a fait une bonne affaire. Chose étonnante, notre interlocuteur est un catholique pratiquant. « Je le suis ainsi que mon épouse, mais que puis-je faire face à l’acharnement des enfants qui ne cessent de me réclamer leur mouton de fête ? Auparavant, leurs amis musulmans les invitaient le jour de la fête, maintenant, ils veulent fêter à la maison comme leurs amis. On a beau leur expliquer que nous ne sommes pas directement concernés, ils ne veulent rien comprendre. Bon, la Tabaski c’est la commémoration du sacrifice d’Abraham, j’y adhère », indique notre interlocuteur très relaxe.
Voilà donc comment se présente le marché de bétail de Bamako à quatre jours de la fête. A la lumière des réalités du terrain, une petite analyse s’impose. Tout d’abord – chose réconfortante -, le marché est bien achalandé et les prix risquent de fléchir au fur et à mesure que les arrivages s’intensifieront. Actuellement, le marché continue de recevoir des bêtes en provenance des grandes zones de production du pays. Deuxième point, la décision prise par les pouvoirs publics de renoncer aux taxes a porté fruits, car elle permet de circonscrire les tracasseries et autres arrêts intempestifs dans l’acheminement du bétail. Cependant (et ceci est notre troisième constat), il est jusqu’à présent difficile, voire impossible de déterminer une logique indiscutable des prix. Car le marché des moutons échappe à tout contrôle. Chacun fixe son prix à sa guise et selon le contexte.
Aujourd’hui, la grande question qui se pose pour beaucoup de chefs de famille, c’est de savoir comment atténuer le contrecoup de l’achat du bélier. Certains fondent leurs espoirs sur un paiement rapide des salaires d’octobre. D’autres s’inscrivent dans le système d’achats groupés ou de bons d’achat mis en place dans certains services. Mais, comme à l’accoutumée, les plus nombreux misent sur une ultime baisse des prix et attendront la veille de la fête pour acheter leur mouton. Procédé pas toujours payant. Mais les adeptes de l’achat de dernière minute acceptent ont l’habitude de ce pari risqué : soit le miracle, soit la débâcle.
D. DJIRÉ