22 septembre 1960-22 septembre 2013 : 53 après, le pays où tout est à refaire

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53è anniversaire de son indépendance , sous la présidence de S.EM Ibrahim Boubacar Keita
53è anniversaire de son indépendance , sous la présidence de S.EM Ibrahim Boubacar Keita

Le 22 septembre 1960- il y a donc 53 ans, le Mali accédait à l’indépendance après que la Fédération du Mali, alors composée du Soudan et du Sénégal, eut volé en éclats huit (8) mois seulement après sa naissance. Modibo Keïta, le secrétaire général du parti Union Soudanaise-RDA, devient le président de la République du Mali. C’est indéniable, à propos de Modibo Keïta et de son régime, il n’y a rien d’autre de plus à dire à part qu’ils continuent d’être célébrés, y compris par l’immense majorité de la jeunesse qui voit en eux des modèles dans le sillage desquels il importe de marcher. Beaucoup de facteurs peuvent expliquer cela : d’abord parce que Modibo, outre son charisme et les premiers succès des premières années des indépendances, est parvenu à installer un régime intègre où le détournement des deniers publics n’existait qu’à une petite échelle; et en plus, parce qu’entre 1960 et 1968 la liste des sociétés et entreprises d’Etat créées- même si elles étaient loin d’être à l’abri de la fragilité, des difficultés et donc de la faillite- est longue. « …les Maliens s’en sont tenus à leur aspect symbolique. C’est probablement, à leurs yeux, un des rares aspects positifs du ‘’ Socialisme’’(1) »

 

 

Aujourd’hui encore, aucun président ne pèse lourd face à Modibo Keïta dans la balance de la comparaison. Il est le seul qui sort indemne des cris de haine que poussent de temps en temps nombre de maliens à l’encontre des présidents qui se sont succédé à la tête du Mali. Et dans les écrits sur cette période, ce qui est saisissant c’est que le Mali était un peuple uni pour un idéal commun : l’édification d’une société socialiste qui a été interrompue et qui visait, sur le plan politique, « le renforcement de l’unité et de l’organisation politique ; le relèvement du niveau de prise de conscience des masses dans le travail, la discipline et la vigilance », et sur le plan économique, « la décolonisation économique et institution de structures nouvelles dans le cadre d’une planification socialiste fondée sur nos réalités ; direction et contrôle effectifs par l’Etat des secteurs vitaux de l’économie nationale et de développement du secteur coopératif (2)»

 

 

En effet, le 19 Novembre 1968, Modibo Keïta a été dépossédé du pouvoir par le coup d’Etat perpétré par le Comité National de Libération Nationale (C.M.L.N), dirigé par Moussa Traoré. Les militaires se proposaient d’établir un ordre nouveau, qui prône le travail, la discipline, la justice, l’ordre  et le respect de la hiérarchie, « de sévir contre les paresseux, les fauteurs de troubles, les agents malhonnêtes, les dilapidateurs de fond publics et les citoyens qui ne rempliraient pas correctement leurs obligations civiques, car la liberté  ne signifie pas anarchie(3).»  Mais ils n’ont pas tardé à montrer leur vrai visage : le CMLN exerçait la totalité du pouvoir, une police omniprésente et toute puissante, la délation et la torture, le gros des administrations était tenu par des militaires, la presse subissait une chape de plomb, le bagne de Taoudénit devenait tristement célèbre. Comme aux « vive… ! » succèdent toujours les « A bas… ! », les mouvements de contestation vont commencer à naître avec les jeunes (étudiants et élèves à travers l’UNEEM surtout). Les espoirs ont été déçus et les leçons tirées par les Maliens sont « que les promesses de tout nouveau régime doivent être accueillies avec scepticisme, qu’on ne gouverne jamais que dans son propre intérêt et non dans celui du peuple, que la force prime toujours sur le droit… (4)»

 

 

La création de l’Union Démocratique du Peuple Malien (UDPM) qui a été accueillie comme le retour à une vie constitutionnelle n’a pas aidé à la résolution des difficultés politiques et économiques auxquelles le Mali était confronté. En tant que parti unique et inscrit dans la constitution comme la première institution, l’UDPM visait là à mettre une sourdine à toute contestation. Avec cet océan de médiocrités dont s’était entouré le président Moussa Traoré, la gangrène, la corruption, la malhonnêteté…vont s’installer. Le pays entier va connaitre un règne des potentats qu’étaient quelques militaires qui n’étaient ni intelligents ni compétents, mais qui étaient placés à des hautes responsabilités. A propos de l’UDPM, on n’hésitera pas à parler, ironiquement d’ « Union des Danseurs de la Pop Music » ou encore d’ « Univers Dangereux pour un Peuple Malheureux (5)». « L’autorité morale de l’Etat a cessé d’exister : on ne sait plus qui est qui, qui est quoi, qui fait quoi. La conjugaison de tous ces facteurs pendant vingt ans ne pouvait aboutir qu’à cette décrépitude tant physique que morale du pays…. En effet, peu à peu se sont installés de nouvelles « valeurs morales » : le goût du gain facile, l’absence de dignité (la prison a, depuis belle lurette, perdu son visage d’infamie), le paraître, le mépris du savoir tant qu’il ne monnaie pas immédiatement, l’hypocrisie, le cynisme, la désinvolture… (6)», ce sont là des « sales mentalités » dont l’enracinement a poussé tout un peuple à se soulever contre le régime en place pour exiger plus de démocratie, plus de libertés politiques et individuelles, pour laver sa dignité offensée.

 

‘’La force d’un pays réside dans sa force morale. Dès l’instant que la morale d’un pays est entamée, ce pays s’engage dans la   voie de la dégradation’’, Modibo Keïta

 

 

Le 26 mars 1991, des manifestations au cours desquelles 3000 personnes ont péri vont bouter Moussa Traoré hors du pouvoir. L’alternance politique sera donc obtenue avec les premières élections démocratiques remportées par Alpha Oumar Konaré, candidat de l’ADEMA-PASJ, en 1992. En 2002, candidat libre, soutenu par le même parti ADEMA au détriment de son propre candidat Soumaila Cissé, héros du coup d’Etat du 26 mars, Amadou Toumani Touré est porté au pouvoir et sera lui-même renversé 10 ans plus tard. Quel pays, le Mali ! Ceux qui ont renversé ont été renversés. 1992-2013, après plus de 20 ans de démocratie pluraliste, le bilan n’en demeure pas moins mitigé : la corruption à ciel ouvert, le népotisme, le favoritisme, les systèmes éducatif, culturel et sportif se sont désagrégés, la dislocation menace les familles. Le microcosme malien fait la danse de la gigue, obéît au fantasme de l’argent. Les valeurs morales et culturelles les plus fondamentales ont été jetées aux mites.

 

 

Une jeunesse attentiste

 

 

Aujourd’hui, 53 ans après les indépendances, tous admettent que l’avenir du Mali repose sur sa jeunesse. Or, il est clair que cette jeunesse est loin d’être sortie indemne des mutations politiques et sociales que le pays a connues. Si au temps de Modibo Keita, la jeunesse était fortement nourrie de la doctrine marxiste-léniniste et était  pénétrée des réalités politique et culturelle du pays, aujourd’hui elle « fout la honte » et son truc n’est que la morale à deux sous. Elle ne jure que par la connexion WIFI, surfe sur Internet et s’abreuve de clips des rappeurs américains, français, qui le saturent d’images et de paroles ne le concernant pas.

 

 

En lisant qu’en 60, par respect à l’égard des traditions maliennes, la mini-jupe était interdite dans les rues de Bamako, un fou rire s’est emparé de moi ; et après la déposition du régime de Modibo, elle avait envahi les rues avant d’être encore interdite par le Comité Militaire de Libération Nationale (CMLN), dirigé par Moussa Traore. C’est à croire que si Dieu devrait offrir à Modibo de vivre une seconde vie, parmi nous, il refuserait. Il refuserait de croiser le regard de cette jeune fille, étudiante, qui marche les fesses tout boudinées dans le pantalon, esquisse une démarche lascive, se maquille à pleurer, alors qu’elle n’a rien dans la caboche. Il refuserait de regarder ces jeune hommes qui, ne supportant pas leur pantalon, les laissent descendre jusqu’en bas des fesses, portent des boucles d’oreilles, insultent père et mère et bravent l’enseignant qu’ils considèrent comme un pauvre type. C’est une jeunesse qui n’a plus de repères, n’a aucun respect pour l’âge, pour les parents, et pour qui le modèle à suivre est l’Autre, l’Occident, le babtou. Et pour lui plaire, il est prêt à vendre père et mère, à mettre le feu à ses propres valeurs morales et culturelles.

 

 

C’est une jeunesse attentiste, à  qui on a fait croire qu’elle est incapable et qui attend toujours qu’on l’aide en tout. Une jeunesse pour qui les salauds et les voyous sont devenus des archétypes. C’est en cela que le Mali est un pays où tout est à refaire, car, disait Modibo Keita « La force d’un pays réside dans sa force morale. Dès l’instant que la force morale d’un pays est entamée, ce pays s’engage dans la voie de la dégradation. »

 

 

Boubacar Sangaré

(1)   Moussa Konaté, Mali/Ils ont assassiné l’espoir, L’Harmattan

(2)   Amadou Seydou Traoré, Du CMLN à l’UDPM, 23 ans de mensonges

(3)   Moussa Konaté (voir 1)

(4)   Ibidem

(5)   Ousmane Sow, Un para à Koulouba/chronique d’une nation à repenser, Jamana

(6)   Moussa Konaté (voir1)

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