«La taie sur l’œil», telle est l’image de la blessure portée sur le corps ensanglanté du Mali à Kidal après 46 ans d’indépendance. C’est du moins le constat établi après les événements du 23 mai dernier, l’unité et l’harmonie de la terre fraternelle du Mali ayant été mises à mal par l’irrédentisme touareg à Kidal qui se positionne déjà comme l’embryon du futur Etat autonome de l’Azawad. Les montagnes de Téghargharet ne sont-elles pas aujourd’hui un no man’s land sur lequel les autorités maliennes n’ont aucune prise réelle, ni directe ni indirecte ? Le conseil provisoire qui sera installé à Kidal, en application de l’Accord d’Alger du 4 juillet dernier, n’est-il pas un gouvernement local avec le droit d’ingérence d’un pays tiers, en l’occurrence l’Algérie, dont les citoyens sont appelés à y siéger comme membres à part entière ?
L’année dernière, c’est le Kénédougou qui a abrité les festivités commémoratives du 22 Septembre 1960 avec un imposant et impressionnant défilé militaire comme pour montrer ses muscles au turbulent et iconoclaste voisin de Côte d’Ivoire. Dans l’intervalle, la crise de Kidal éclate le 23 mai 2006 pour se solder par l’attaque des camps militaires avec mort d’hommes et pillage des magasins d’armement : le pays capitule le 4 juillet 2006 à Alger face à une poignée d’insurgés en signant les accords dits de la honte avec les rebelles qui méritaient plutôt qu’il soit appliqué à leur encontre le règlement militaire dans toute sa rigueur pour restaurer la discipline et le respect au sein des forces armées et de sécurité.
La colline interdite
En dépit des déclarations d’intention contenues dans le préambule de l’accord controversé d’Alger et malgré les acrobaties verbales pour démontrer le contraire de la réalité vécue sur le terrain après les événements ci-dessus évoqués, le Mali a perdu sa souveraineté effective sur une partie de son territoire que les rebelles de l’inexpugnable Téghargharet veulent dépecer en mille morceaux fédéralistes en fonction de la multitude d’ethnies et de tribus spécifiques que compte chaque région du pays. En effet, après leurs forfaits accomplis le 23 mai à Kidal et à Ménaka, les soldats déserteurs de l’armée nationale se sont justement retirés à Téghargharet où ils ont installé leur base militaire et leur quartier général en décrétant la zone «interdite » aux officiels maliens qui n’y ont accès qu’après autorisation expresse des rebelles comme c’était le cas, le 15 septembre dernier, du président du comité de suivi de l’Accord d’Alger, M. Mahamadou DIAGOURAGA, qui s’était rendu sur les collines de Téghargharet en compagnie de certains membres de son équipe de pilotage.
Le manque d’emprise
Quatre faits corroborent le manque d’emprise du Mali «officiel » sur Téghargharet et ses environs dont la superficie en terme de km2 est supérieure à celle de certains pays d’Afrique et même d’Europe, car c’est un no man’s land que les rebelles contrôlent et administrent comme un bien propre sur lequel ils viellent comme la prunelle «autonomiste » de leurs yeux. La preuve est que l’on n’a pas besoin de passer par Bamako ni par une quelconque autorité malienne pour prendre un visa d’entrée au Mali et se rendre à Téghargharet comme on le ferait pour n’importe quelle autre partie du territoire national. Ce n’est pas la journaliste française de «Libération » qui nous démentirait à ce sujet après s’être directement rendu à Téghargharett sans visa malien ni autorisation officielle pour faire une interview avec le colonel Hassan FAGAGA. En effet, elle a même ironisé sur cet aspect en insistant bien sur le fait qu’elle y était «sans visa » sinon avec l’aval des rebelles qui sont les maîtres incontestés des lieux.
Les actes fondateurs
Le second fait marquant, c’est que les soldats déserteurs du Mali ont reçu le renfort des rebelles d’origine étrangère qui se sont établis par la force à Téghargharet comme dans leur propre pays qu’ils entendent défendre contre l’occupation «ennemie » du Mali colonisateur basé à Kidal considérée comme la capitale de l’Azawad dont le «23 mai » constitue symboliquement l’acte fondateur pour les générations actuelles et futures. Les auteurs des attaques ne sont-ils pas qualifiés de «Héros du 23 mai » et les morts de «Martyrs du 23 mai » par l’Alliance démocratique pour le changement qui se considère après auto proclamation comme l’aile politique de ce mouvement en rébellion contre le Mali «un et indivisible » ? Or, ladite Alliance n’a aucune base juridique en République du Mali puisqu’elle n’a pas de récépissé de création à elle délivré par le ministère de l’Administration territoriale et des collectivités locales qui est compétente en matière d’association à caractère politique ou non. Mais l’ADC n’en n’a pas besoin dans la mesure où elle se comporte comme étant sa propre autorité légitime et légale en terre Téghargharet de l’Azawad.
L’ancrage autonomiste
Pour bien marquer leur ancrage autonomiste, les soldats déserteurs de Téghargharett ont créé et structuré leur propre Etat-major militaire dont le commandement en chef est confié au lieutenant-colonel Hassa FAGAGA. Cela est un signal très fort pour dire que le pays Azawad dispose désormais de sa propre armée populaire. Auquel cas, ce n’est pas exagéré de soutenir qu’il existe aujourd’hui au Mali deux armées en compétition pour contrôler le même espace vital : le territoire de l’Azawad. Dans le cas contraire des unités spéciales qui sont prévues dans l’Accord d’Alger, le problème demeure entier dans le fond pour deux raisons.
D’une part, les fameuses unités spéciales seront «essentiellement » constituées d’éléments nomades de Téghargharet auxquels le commandement en chef sera confié ou, à défaut, le poste d’adjoint. Ce qui signifie que le recrutement se fera sur une base discriminatoire à la fois raciste et régionaliste en violation de l’article 2 de la constitution du Mali et du règlement militaire qui fixe les conditions de l’exercice de la fonction militaire dont le fondement est l’adhésion volontaire et individuelle. D’autre part, les éléments ainsi recrutés ne vont servir qu’au Nord et, plus précisément, à Kidal et à Ménaka. Or un soldat de l’armée républicaine ne décide pas lui-même de son lieu d’affectation. Au contraire, c’est l’état-major qui est souverain en cette matière pour envoyer le soldat partout où le besoin se fait sentir en fonction de son plan d’opération en temps de paix comme de conflit. En se maintenant au Nord et à Kidal en particulier, ce principe impersonnel de «territorialité nationale » est violé dans tous les sens. Le soldat de Téghargharet ne se sentant plus concerné par le sort des habitants des autres régions du Mali.
Le gouvernement local
Quant au Conseil provisoire qui sera bientôt institué à Kidal, il s’apparente bel et bien à un gouvernement local qui ne dit pas son nom. En se substituant à l’assemblée régionale qui est une instance légitime parce qu’élue, ledit comité s’arroge illégalement les droits qu’il n’a pas pour régenter la région de Kidal en s’adonnant à toutes sortes de pratiques inadmissibles aux yeux de la loi et de la République. Car les prérogatives de ce conseil sont immenses au point de pouvoir négocier et de conclure des accords avec les bailleurs de fonds étrangers quand bien même ceux-ci, en tout cas pour la plupart, ne traitent qu’avec des Etats souverains. A moins d’admettre que Kidal est un Etat azawadien dans l’Etat malien ! L’autre aspect attentatoire à la souveraineté du Mali sur Kidal, c’est la place nette faite à l’Algérie pour siéger dans ledit conseil provisoire d’administration de cette région. Puisque c’est un gouvernement local dans les faits auquel le pouvoir de Bamako délègue une partie de ses prérogatives, ce n’est pas admissible d’accepter en son sein une autre nationalité que celle du Mali «un et indivisible ». Aucune argutie juridique ou politique ne saurait convaincre sur le bien-fondé de cette démarche qui tranche avec le respect de la souveraineté stricto sensu.
Lègue de générations successives
Avant-hier nos ancêtres nous avaient légué un pays aux frontières immenses, jusqu’à 4 millions de Km2 sous l’empire du Mali. Le Soudan français n’était pas moins vaste à ses débuts puisqu’il s’étendait de Bakel (Sénégal) au Tchad, avant d’être remodelé au gré des péripéties de l’histoire coloniale. Hier, le Mali s’est libéré du joug colonial en 1960 après l’éclatement de l’éphémère Fédération du Mali avec le Sénégal dont la responsabilité de la séparation est partagée par les leaders historiques des deux pays qui sont pourtant unis par l’histoire et la géographie bien avant les périodes sombres de la colonisation française qui a assujetti leurs populations pour confisquer leurs biens matériels comme immatériels. Aujourd’hui, le Mali est à la croisée des chemins longs de 1,4 millions de km2 dont il peine à maintenir en l’état les limites des frontières nationales que ne cesse de convoiter l’irrédentisme d’une partie de la communauté touarègue qui est entrée plusieurs fois en rébellion contre le pouvoir de Bamako. Mais demain, est-ce que nous serons capables de léguer le Mali «un et indivisible » aux futures générations ? Le type d’accord comme celui d’Alger permet d’en douter sérieusement ?
Par Seydina Oumar DIARRA-SOD
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