Pour la énième fois, la zone dite celle de l’ex Imacy ou de l’ancien cimetière d’Hamdallaye, située vers le coté Est du Centre islamique d’Hamdallaye a été ravagé par du feu, samedi en début de matinée. Cet incendie dont les causes techniques n’ont pas été encore déterminées par les services spécialisés, de même que son bilan matériel (assez lourd), n’a cependant pas fait de victime. Mais il traduit encore une fois l’incivisme ambiant de certains acteurs du secteur informel et du laxisme de nos autorités face à la préservation des vies des citoyens. Reportage.
Dimanche 20 novembre, lendemain de l’incendie, la cité des trois caïmans en cette saison froide n’était pas complétement réveillée de son sommeil de journée dominicale. A cheval entre les monuments de l’éléphant d’Hamdallaye et d’hippopotame de Bolibana, le centre islamique d’Hamdallaye (fruit de la coopération Lybio-malienne) abritant la Maison du Hadj, garde son aspect original avec ses deux hauts minarets. Pourtant, vingt-quatre heures auparavant, à un jet de pierre de ce lieu de culte, un drame s’est produit, un énorme incendie, la troisième du genre en l’espace de moins de dix ans. Il s’agit de la zone de l’ex Imaçy, l’ancien site du cimetière d’Hamdallaye. Un site avec sa belle flore de géants arbustes, sous lesquels se sont installés à tour de rôle des propriétaires de garage de réparation d’automobiles, des artisans et des vendeurs de bois de meubles.
« Nous sommes plus de trois mille artisans et ouvriers exerçant ici depuis une trentaine d’années. Nous avons créé notre groupement qui s’appelle : GAZI (Groupement des artisans de la zone Imacy) » explique dans un ton ferme, Yaya Samaké, vendeur de bois de son état. Il était dans les ruines de son atelier, ravagé par l’incendie du samedi matin. Les yeux rouges de fatigue et le cœur meurtri de la perte énorme qu’il vient d’encaisser. Il s’activait bien que mal, comme une centaine d’autres vendeurs sur le même site, à mettre les charbons de bois brûlés dans des sacs de riz et ranger les quelques ferrailles de tôles plongées dans les décombres du cendre.
Comment tout cela s’est passé ?
Moussa Camara, membre du bureau de GAZI renchérit : « C’est vers 06 h que nous avons été alertés de cet incendie. Nous ignorons pour l’instant ses causes. ».
S’agit-il d’un cas de court-circuit à cause des installations anarchiques ?
Yaya Samaké balaye d’un revers de main cette hypothèse. « Depuis 2015, après le premier incendie, grâce aux efforts de l’ancienne ministre de la Culture, Ramatoulaye N’Diaye, nous avons bénéficié des lampadaires pour l’éclairage des lieux et l’installation des compteurs EDM pour l’alimentation en électricité des ateliers. Aussi, c’est pendant la journée que nous travaillons avec de l’électricité, s’il devait y avoir d’incident avec comme cause un court-circuit, c’est bien pendant la journée et non le soir » s’est-il justifié.
Cependant sur la question relative au droit d’occupation du site, nos deux interlocuteurs sont restés dubitatifs dans leur réponse. Pour Yaya Samaké, c’est la mairie de la CIV qui a désigné le site en question pour faire installer les artisans. « Nous sommes de divers corps d’activités ici. On dénote parmi nous des menuisiers, des tisserands, des mécaniciens, des tôliers, des peintres, des menuisiers de bois traditionnels et même des réparateurs de motos », a-t-il fait savoir. Quant à Moussa Camara, il affirme que la question de légalité en termes d’occupation de ce site ne se pose même pas. « Nous payons chaque année nos taxes à la mairie et cela fait plus de trente ans que nous cohabitons avec les habitants de ce quartier dont le chef de quartier lui-même, qui reconnaît que nous avons été les premiers à s’installer ici depuis la fermeture du cimetière » martèle-t-il.
Un titre foncier sur le site appartenant à un opérateur économique
Au-delà de toutes ces explications, selon nos sources, la zone en question serait nantie d’un titre foncier attribué à un opérateur économique qui est à couteaux tirés avec ses occupants actuels.
« Oui cette affaire est même pendante devant le Tribunal de la CIV. Mais nous pensons que nous aurons gain de cause si la justice est réelle dans ce pays, car nous avons été les premiers occupants de ce site sur décision des autorités municipales compétentes. Comment du jour au lendemain un seul opérateur économique peut se lever pour vouloir déguerpir plus de 3000 travailleurs ? » s’est interrogé Moussa Camara. Pour cela il reste optimiste. Que grâce à l’accompagnement de la Mairie de la CIV, des autorités traditionnelles du quartier et de la Chambre des métiers, le site en question restera à la disposition des artisans. « C’est d’ailleurs lorsque nous aurons notre papier sur le site, que nous entreprenons de le sécuriser en faisant des clôtures pour départager non seulement les secteurs d’activités, mais aussi l’atelier de chaque membre du Groupement » a expliqué M. Samaké.
Toujours sur la même question, certains occupants des lieux n’ont pas manqué d’affirmer qu’on veut utiliser un coup de force contre eux afin de les déguerpir des lieux.
« Nous sommes tous des chefs de famille ici. Je suis marié à deux femmes avec plus de dix enfants, ma famille vit de ce que je gagne ici. Quand l’Etat décide de nous chasser, qu’est-ce que nous allons devenir avec nos familles ? » se demande à son tour Moussa Camara, avant d’inviter les autorités de la Transition à prendre en compte cette question de litige foncier qui les oppose à un opérateur économique et ses complices.
Toujours à ce sujet, d’autres sources indiquent que l’opérateur économique en question serait connu à Bamako comme un grand prédateur foncier. C’est pour cela qu’une personnalité religieuse de la place l’aurait utilisé pour faire front à ces artisans. Au bout du tunnel, le site en question serait utilisé pour servir des bâtiments d’agences de voyage, spécialisées dans les formalités du Hadj. C’est pourquoi de lourd soupçon pèserait sur ces protagonistes comme instigateurs de ces incendies interminables sur le site en question afin de trouver une astuce pour mieux chasser ses occupants actuels.
L’incivisme des occupants et le laxisme de l’Etat
En attendant le résultat des enquêtes et constats des services de sécurité et de la protection civile, le moins qu’on puisse dire est que ce énième incendie sur ce site met au goût du jour l’incivisme caractériel de certains acteurs du secteur informel et surtout le laxisme de nos autorités face à la préservation de la sécurité des citoyens. Pour preuve, à la lecture des faits par rapport aux trois derniers incendies de ces lieux, le constat majeur qui se dégage relève du fait que c’est seulement au niveau des vendeurs de bois que le feu prend toujours sa source. Ces derniers qui se rangent dans le lot des artisans exercent en réalité une multitude d’activités avec des machines de dernières générations en matière de coupe du bois des meubles. Ces machines consomment une forte quantité d’électricité. Au regard du nombre d’ateliers sur ledit site (une centaine) et d’emplacements de compteurs visibles (une vingtaine) tout laisse à croire qu’il y’a bien des cas de branchements anarchiques au vu et au su de tous, notamment des agents de la mairie. Ce faisant, les autres intervenants (tenants des garages de réparation automobile) et riverains (dont un centre de santé communautaire, une banque, une station d’essence) deviennent des victimes collatérales de l’incivisme des vendeurs de bois.
Face à tout cela, l’Etat dans son mutisme ne joue qu’au pompier pour éteindre à chaque fois le feu. Qui à chaque incendie augmente en intensité et en dégâts. En illustre le cas du samedi dernier, où ce sont une vingtaine de voitures dans les garages qui ont été incendiées malgré les efforts des agents de la Protection civile.
Il revient donc à l’Etat de jouer son rôle, tout son rôle. Ce, soit en déguerpissant complétement le site en question de ses occupants actuels, ou de certains de ses occupants pour le réattribuer à la mairie pour en faire des espaces verts ou des lieux de parking auto pour les usagers de la maison du Hadj et même des populations qui viennent dans le cimetière d’à côté (l’un des plus grands de la capitale). Sinon, maintenir les artisans et les garagistes sur place, tout en délimitant les zones par des barrières de sécurité avec l’installation des bornes d’incendie pour préserver des vies. Sans quoi, il n’est pas exclu d’être spectateur d’autres désastres sur le même site. Que Dieu nous en épargne.
Moustapha Diawara