Nous sommes en 1992, un petit avion s’écrase dans la forêt vietnamienne avec 30 personnes à bord, 24 passagers et 6 de l’équipage, cinq minutes avant d’atteindre sa destination finale, l’aéroport de Nha Trang. Une seule personne survit à l’accident, une jeune femme hollandaise. Pendant 8 jours, elle attend les secours en pleine jungle en ne se nourrissant que d’eau de pluie.
Le récit est tellement incroyable qu’on a du mal à y croire. Pourtant, tout est vrai. Annette Herfkens, la survivante de ce crash de la compagnie Vietnam Airlines, a écrit un livre pour raconter son histoire hors du commun. La version française, Turbulences, le récit d’une survivante, est sortie ce mercredi 17 février.
Mais, bien au-delà du récit d’un tragique accident, ce livre est une véritable leçon de vie qu’Annette Herfkens adresse à tous ceux qui ont besoin d’un petit coup de pouce dans la vie. Le HuffPost l’a rencontrée à Paris.
“Quand j’ouvre les yeux, je peux voir la jungle”
Ce 14 novembre 1992 qui changea sa vie, Annette Herfkens, jeune et brillante trader de 31 ans, est à Ho Chi Minh avec son compagnon Willem, qu’elle préfère appeler Pasje. Ils sont ensemble depuis 13 ans. Pasje s’est installé au Vietnam six mois plus tôt pour implanter deux filiales de la banque pour laquelle il travaille.
“Nous étions là pour un voyage romantique que Pasje avait organisé”, raconte Annette Herfkens. Pour se rendre à Nha Trang, la destination finale de ce séjour en amoureux, ils doivent monter dans un petit avion. C’est à reculons qu’Annette Herfkens y met les pieds.
5 minutes avant l’atterrissage prévu, des turbulences. Une première chute de l’avion. Puis une seconde. “Pasje prend ma main, je prends la sienne, il a un air inquiet. Et tout devient noir”, se remémore-t-elle. “Quand j’ouvre les yeux, je peux voir la jungle. J’ai quelque chose de lourd sur moi, je le pousse. Il s’avère que c’était un corps. J’aperçois Pasje, il est mort”, poursuit-elle cliniquement.
Nouveau blackout.
Son prochain souvenir est celui d’être assise hors de l’avion, dans la jungle. Un homme est vivant à côté d’elle, un “business man”. Mais il meurt dans les heures qui suivent. Annette Herfkens a alors un plan, un seul: essayer de survivre une semaine près de l’avion en attendant les secours. Si personne ne l’a trouvée d’ici là, elle tentera sa chance dans la jungle pour ne pas mourir de faim.
“Ne pense pas à Pasje. Ne pense pas à Pasje”
Elle est gravement blessée, a les hanches fracturées, certains de ses os sont visibles, elle ne peut pas se déplacer sans souffrir atrocement.
Pendant 8 jours, elle ne se nourrit que d’eau de pluie. Dans un éclair de conscience, elle se sert de morceaux de mousse trouvés dans le cockpit comme d’éponges pour absorber l’eau de pluie. Ainsi, elle a de quoi boire après une averse et pas uniquement pendant.
Elle est gelée mais parvient à enlever le poncho que portait l’une des passagères. Il lui tient suffisamment chaud pour qu’elle ne meure pas de froid.
Lorsque les secours arrivent enfin -coïncidence folle, le fameux huitième jour où elle avait prévu de partir- Annette Herfkens pense qu’elle est déjà morte, ou presque.
Comment a-t-elle tenu le coup pendant 8 jours? Au-delà de la soif, Annette Herfkens souffrait de ses blessures, sans parler de la douleur psychologique liée au décès de son compagnon et de l’angoisse d’être seule au milieu de nulle part.
“Je me suis concentrée sur la beauté de l’environnement”
Mais il n’en est rien. Pour employer le langage de la psychologie, Annette Herfkens a réussi à “compartimenter” les choses. Elle s’est concentrée sur l’essentiel: la survie. Et a fait abstraction du reste. “Ne pense pas à Pasje. Ne pense pas à Pasje”, répète-t-elle inlassablement dans son livre.
Ne pas penser non plus à ses blessures, ni aux insectes, ni aux tigres qui pourraient roder dans les environs, ni à la mort environnante, ni aux secours qui arriveront peut-être trop tard.
“Je me suis concentrée sur la beauté de l’environnement”, nous explique-t-elle, avec le sourire bien sûr. “J’ai écouté mon cœur, mes intuitions, j’ai réalisé à quel point c’était important d’être là, en vie”, poursuit-elle.
Après le crash, Annette Herfkens a évidemment dû se reconstruire. Physiquement d’abord, puis psychologiquement. Mais ce n’est pas l’accident, ni la survie dans la jungle qui sont le plus douloureux à ses yeux, c’est la perte de son fiancé Pasje. Ce n’est qu’une fois les secours sur place qu’elle sort de son état de survie et d’émerveillement devant la nature et qu’elle réalise qu’il est bel et bien décédé. “C’était assez sympa de mourir finalement. C’est revenir à la vie sans lui qui a été difficile”, avance-t-elle.
Evidemment, les premiers vols en avion dans les mois qui ont suivi l’accident étaient insupportables pour elle. Mais elle n’a pas le choix, en tant que trader, les voyages sont inhérents à sa vie. Et elle adore son métier. Elle joue à la Game Boy pour se distraire. A ceux qui ont peur de prendre l’avion, elle voudrait dire une seule chose: “survivre est bien pire que de s’écraser”. “Cela a l’air spectaculaire mais on n’a pas le temps de réaliser ce qui nous arrive”, ajoute-t-elle.
Après quelques années, elle retourne au Vietnam sur les lieux du drame. Une première fois en 2006 sur une invitation de Vietnam Airlines. Une deuxième fois en 2014 à l’occasion de la parution dans le pays de son livre. Elle voulait aussi que sa fille rencontre un homme un peu particulier: celui qui lui a sauvé la vie.
Le huitième jour après l’accident, Annette Herfkens a en effet cru être victime d’hallucinations: elle voyait un homme accroupi devant elle. Ce n’est qu’en retournant au Vietnam en 2006 qu’elle rencontre à nouveau cet homme et qu’elle réalise qu’elle lui doit la vie: c’est lui qui est allé chercher les secours.
“Il faut être dans l’instant présent” (dans la vie comme dans la jungle)
Aujourd’hui, elle comprend mieux ce qu’elle a vécu pendant cette “expérience” de huit jours dans la jungle qu’elle décrit comme étant “belle”, étonnamment. Les lectures qu’elle a faites depuis le crash, sur le bouddhisme notamment, ont mis cet événement en perspective. Nommant régulièrement l’une de ses grandes inspirations, le médecin et penseur d’origine indienne Deepak Chopra, elle nous explique que ces penseurs décrivent ce qu’elle a vécu dans la jungle.
“J’ai appris qu’il faut être dans l’instant présent. Que si l’on se concentre sur quelque chose, cela devient beau et on peut en tirer de l’énergie”. C’est pour ça qu’elle a écrit ce livre, nous dit-elle: pour faire comprendre qu’il faut se concentrer sur ce que l’on a et pas sur ce que l’on n’a pas. “C’est comme dans la jungle: au lieu de penser aux insectes, j’ai regardé les fleurs”, insiste-t-elle. Elle avance même avec humour qu’elle a suivi “un cours intensif de méditation en huit jours”.
Annette Herfkens vit à New York depuis une vingtaine d’années, seule avec son fils de 16 ans. Sa fille, de deux ans son aînée, fait ses études à la Georgia University, à Washington, DC. Elle est divorcée du père de ces deux enfants, Jaime, qu’elle connaissait déjà avant le crash de l’avion.
Elle sait bien de quoi elle parle, quand elle dit qu’il faut se concentrer sur le positif, l’instant présent. Son fils est en effet atteint d’autisme. Elle a arrêté son activité professionnelle pour s’occuper de lui. “Quand on accepte un enfant pour ce qu’il est, on réalise qu’il est un don”, affirme-t-elle avec tendresse.
Dans les années à venir, Annette Herfkens veut consacrer du temps à son fils. A l’écriture? Peut-être. Elle voudrait surtout donner des conférences, pourquoi pas lors d’un TEDx.
Celle qui s’estime “chanceuse-malchanceuse” a l’air tellement serein, confiant, optimiste, qu’on a l’impression d’avoir rêvé. Cette histoire digne d’un blockbuster hollywoodien (un film inspiré du livre est d’ailleurs en projet) est-elle bien réelle? Un indice ne trompe pas: à la fin de notre entretien, elle se retourne pour récupérer sa bouteille et nous confie: “je ne peux plus aller nulle part sans eau sur moi”.