Les femmes traumatisées (5) : Les nuits de la trahison

Certaines femmes se dévouent pour un seul homme. Que faire quand ce dernier trahit ? Se résigner ? Ou se venger ?

Un sociologue français avait assuré un jour que l’homme est naturellement polygame et que la fidélité est sans aucun doute le plus grand sacrifice qu’il puisse consentir pour une femme. Les propos du chercheur avaient causé un grand émoi dans le public, surtout féminin. Mais il était bien difficile de voir dans son diagnostic une provocation gratuite. L’homme en question avait réalisé pour la télévision un grand cycle d’émissions sur le thème des Français et de l’amour. Cette introduction pour dire que les femmes sont souvent notre contraire. Beaucoup sont faites pour aimer un homme toute leur vie. Elles construisent leur existence en fonction de lui, ne pensent que par lui et à lui, se dévouent pour lui rendre la vie facile et meilleure. Mais le jour où l’être pour qui elles ont tout donné les trahit, c’est leur univers en entier qui part en morceaux. Certaines passent de l’amour à la haine sans aucune transition. D’autres ne se remettent jamais de ce coup du sort. C’est le destin de ces femmes trahies qui l’autre jour meublait ma conversation avec ma confidente Mâh. Cette dernière par hasard se trouvait avec un groupe d’amies qui avaient toutes quelque chose à raconter. Binta fut la première à prendre la parole. Elle approchait la quarantaine, affichait l’assurance des femmes qui avaient fait elles-mêmes leur vie, mais lorsqu’on la regardait bien on percevait une certaine nonchalance dans sa voix et dans ses gestes qui montraient que cette femme énergique avait reçu des coups du destin et que ces coups avaient cassé des ressorts en elle. Binta raconta qu’elle avait eu la chance d’avoir poussé assez loin ses études et de s’être trouvé grâce aux relations de son père un bon emploi de secrétaire de direction. Au milieu des années 70, période à laquelle se situe son histoire, ces atouts faisaient d’elle une sorte de privilégiée. Une année après son arrivée dans le service, elle et un de ses supérieurs, Oussou, jeune et beau gosse, s’amourachèrent l’un de l’autre. Les choses, déjà bien parties, s’arrangèrent encore mieux lorsque son amoureux qui était un cadre brillant reçut de la promotion dans un autre ministère. Cette ascension les libéra de leurs dernières réserves et rapidement ils se marièrent. Tout était réuni pour l’harmonie du couple et pour le bonheur total que Binta ne tarda pas à connaître. Elle était douce et son époux se révéla prévenant. En outre, ce qui ne gâtait rien, il ne cessait de s’élever dans la hiérarchie administrative. Leur vie conjugale était une parfaite réussite et Binta avouait sans se gêner qu’il suffisait que son mari la regarde avec une certaine lueur dans les yeux pour qu’elle se sente littéralement fondre. L’ardeur amoureuse que son conjoint manifestait à son égard faisait d’elle une épouse si heureuse qu’elle éprouvait encore le besoin de faire partager sa joie. Binta était sur ce point tellement intarissable qu’un jour une de ses amies lui suggéra agacée de lui prêter son étalon pour qu’elle aussi puisse connaître le chemin de l’éblouissement. Cet incident rendit Binta plus réservée sur la narration de ses abandons. Elle fit à son époux deux beaux enfants, puis remarqua un phénomène qui ne la fit pas tiquer au début. Après chaque mission à l’extérieur, son mari lui revenait fatigué. Même la joie des retrouvailles ne suffisait plus à ranimer ses ardeurs, comme c’était le cas durant les dix premières années de leur vie commune. Grâce à une plaisanterie fortuite d’un ami de son mari elle commença à se douter de ce qui se passait. En fouinant à droite et à gauche, elle releva que même pour aller à Paris, Oussou passait par Dakar. Le jour où elle se décida à lui demander le pourquoi de ce détour, l’homme lui répondit sans se troubler que le trajet était établi par son service. Comme elle insistait, Oussou s’impatienta, l’accusant d’être d’une jalousie insupportable.

Une espèce d’enveloppe morte. En fait il était tombé amoureux d’une Sénégalaise, Amsatou rencontrée au cours d’une de ses missions. Leur liaison, qui durait déjà deux bonnes années, n’allait pas tarder à déboucher sur un mariage. L’annonce anéantit complètement Binta qui demanda à son époux ce qu’elle lui avait fait pour mériter une telle infortune. Et quand il lui dit qu’il était moralement contraint à cette union, car son amante attendait pour bientôt un enfant, la jeune femme toucha le fond de la détresse. Toutes sortes d’idées sombres lui passèrent par la tête, mais elle ne retint que la plus facile à réaliser, se suicider. Mâh, à qui elle fit part de ses intentions, l’en dissuada. Mais elle ne réussit pas à remonter le moral à Binta qui devint une espèce d’enveloppe morte. Elle ne ressentait plus aucun plaisir lors de ses rapports avec Oussou et l’idée de partager avec une autre les faveurs de son mari la bloquait littéralement. Cinq années passèrent. Le second mariage de Oussou ne résista pas aux vicissitudes de la vie malienne et l’homme se sépara de sa Sénégalaise au début des années 80. Mais même après cela Binta ne put recouvrir ses transports amoureux d’autrefois. Pourtant son mari pour s’amender la gâtait et se comportait en chef de famille exemplaire. Devant ce repentir sincère de Oussou, une des amies de Binta lui demanda de prendre au moins la peine de donner le change. La jeune femme accepta de jouer la comédie dans le lit et après deux ou trois essais, elle constata que Oussou retombait littéralement amoureux d’elle. Mais lui n’inspirait plus rien à Binta. Chacun des rapports tournait donc à un jeu de vengeance pour son épouse, qui avant de l’accepter lui faisait dire ou promettre tout ce qu’elle voulait. “Aujourd’hui encore, conclut Binta, nous vivons dans une espèce de chantage du sexe que j’exerce sur lui sans remords”. Mon sang se glaça en écoutant le ton déterminé de cette femme qui se vengeait ainsi de la perte de la tendresse et du plaisir que lui avait amené la polygamie. Mâh comprit mon malaise et se lança dans le récit d’un autre cas qui lui tenait à cœur. “Tu connais Massi, me dit-elle, donc inutile que je te rappelle combien de fois elle a défrayé la chronique bamakoise avec ses aventures amoureuses. Cependant les gens ignoraient que sous ses dehors de “fêtarde” et de femme libérée, elle avait soif d’un vrai amour à qui elle sacrifierait tout. Aussi on prit en pitié son époux quand elle se maria et on se dit que le pauvre allait être cocufié par tous les dragueurs de Bamako. Or Massi s’était attachée sincèrement à Kader, elle l’aimait et elle était physiquement attirée par lui. Son époux le savait, (les hommes se trompent rarement sur ces choses) et il devait tirer bien des plaisirs de l’ardeur infatigable de sa femme. Cependant Massi, comme toute femme qui se donne entièrement entendait à ce que son homme lui réponde avec la même sincérité. Elle connut donc un désarroi total quand elle apprit que Kader voulait épouser une autre femme. Je ne la crois pas très possessive, comme d’autres qui ne supportent pas la compétition. Cependant dans l’attitude de son époux elle décela une forme de duplicité. Une épouse très aimante se trompe difficilement sur le comportement de son mari au lit et Massi eut la conviction qu’elle n’enflammait plus son homme comme autrefois. Une fois que cette idée s’ancra dans son esprit, elle-même perdit cette ardeur qui avait tant séduit Kader. Massi est tout en dedans et ne pleure jamais sur ses malheurs devant le premier venu. Elle lutta donc toute seule. Elle passa même des examens médicaux pour essayer de comprendre sa perte d’énergie. Les docteurs ne trouvèrent rien et lui dirent qu’elle devait être très fortement stressée et lui prescrivirent des calmants. Les médicaments ne firent aucun bien à Massi qui vint me demander conseil. Nous avions devisé pendant toute une après-midi sur la polygamie, source de frigidité. Au moment de s’en aller, mon amie eut tout d’un coup un grand sourire et me dit avoir trouvé la solution. Je la perdis de vue pendant deux mois avant qu’elle ne débarque en trombe chez moi avec un jeune homme que je ne connaissais pas du tout, mais qui me paraissait doux et pacifique.

Cynique, mais fidèle. Le nouveau venu, un ingénieur de génie civil, était non seulement plus jeune que Massi, mais en plus il dégageait une espèce de force tranquille qui rassurerait n’importe quelle partenaire. Massi était intarissable sur les qualités de sa conquête et elle m’avoua qu’avec son nouvel amant elle avait retrouvé sa joie de vivre et d’aimer. Certes l’adultère avait été le prix à payer, mais tout le monde n’est pas comme Binta : cynique, mais fidèle. Massi n’était disposée, elle, à perdre son droit au plaisir par la faute d’un homme. Elle n’espère plus avoir d’enfants, alors elle va où ses sens la guideront. Si son mari apprenait son infortune et s’il s’en accommodait, tant mieux pour les apparences de leur couple, m’a-t-elle dit. Dans le cas contraire, ce serait toujours tant mieux pour elle”. Tout le groupe de femmes approuva chaleureusement cette assertion et personne ne songea à blâmer Massi de penser d’abord à elle avant de se soucier des convenances. Ayant recueilli l’unanimité sur la conclusion de son récit, Mâh, visiblement satisfaite, passa au cas de Sata, la sœur d’une de ses amies. “Sata, précisa-t-elle, a eu le malheur de perdre son mari. Pour elle, cela se passa au bout de seulement deux années de vie commune. Mais elle n’eut aucune peine à se remarier. Elle était une femme passionnée et je ne connais pas d’homme qui ne voudrait pas rester dans ses bras une fois qu’il y était passé. Son second époux, Seydou, était un divorcé et très vite leur bonheur conjugal sauta aux yeux de tous. Ils eurent quatre enfants, toutes des filles. Ce dernier détail incommodait les beaux-parents de Sata, mais son époux paraissait ignorer leurs jérémiades. Cependant il est écrit qu’en tout mâle sommeille une bête. Sata n’allait pas tarder à s’en rendre compte lorsqu’elle engagea comme bonne à tout faire, Awa, une fille venant de son village d’origine. Deux ans après les deux femmes étaient devenues comme des sœurs. Sata n’hésita donc pas à confier à Awa son foyer pour faire un long voyage dans sa contrée natale, puis dans un pays voisin en accord avec son époux. Mais en son absence, Seydou mit la bonne dans son lit. Ils vécurent presque maritalement pendant quatre mois. Au retour de Sata, ce fut une de ses filles qui l’informa de la situation. La communauté dont était issue la jeune femme se réunit chez son patriarche et il fut décidé de renvoyer séance tenante Awa au village. Celle-ci fit mine de partir, mais revint avec la complicité de son amant s’installer dans un quartier derrière le fleuve. Sata, on l’imagine, avait perdu son entrain amoureux pour l’ex-homme de sa vie. Elle devint frigide et le confia à sa sœur qui lui conseilla laisser le temps effacer de sa mémoire les souvenirs les plus cuisants.

Une double vie. Le coup le plus terrible lui fut assené quand elle apprit la trahison persistante de son époux qui menait une double vie avec Awa. Elle fut totalement anéantie lorsqu’elle sut que son ancienne bonne attendait un enfant de Seydou. Catastrophe suprême, cet enfant fut un garçon. Alors n’y tenant plus, Sata demanda le divorce, on le lui refusa. Elle fit deux fugues, mais ses parents la ramenèrent à chaque fois au domicile conjugal. De guerre lasse elle sembla prendre son parti. Sa tristesse n’échappa pas à un ami de son mari qui la soutint durant ses épreuves. Une complicité très forte s’établit entre eux et ils ne tardèrent pas à devenir amants. Sata poussa le cynisme jusqu’à révéler froidement cette situation à son époux, une nuit juste après qu’ils aient expédié un bref rapport conjugal. Elle ajouta que son amant était un bien meilleur homme au lit. Le ton monta et une terrible bagarre s’en suivit. Sata ramassa ses bagages et s’enfuit chez ses parents à qui elle avoua son comportement adultère. Une semaine passa avant que Seydou n’envoie la chercher. Elle accepta de réintégrer à la seule condition que son mari ne lui fasse plus de scènes de jalousie. La réponse positive de ce dernier déboussola Sata. Elle ne tarda pas à réaliser que son incartade lui avait restitué l’attention de son époux et obligeait celui-ci à se démener au lit pour la reconquérir en quelque sorte. Sata, qui gardait une très grande rancœur contre son époux, concevait chaque nuit de nouvelles exigences pour humilier son mari. Plus ce dernier se pliait à ses caprices, plus elle se réchauffait intérieurement. Elle comprit alors que pour recommencer à connaître le plaisir, il lui fallait passer par ces jeux particuliers. Se faire désirer de Seydou, se refuser à lui, le faire languir, l’obliger à supplier, le plier à toutes sortes d’exigences, Sata ne se fatiguait pas de faire payer à l’homme sa trahison. Elle avait gardé une silhouette superbe et tirait de ses pratiques sadiques le plaisir qu’elle obtenait naturellement autrefois. Awa avait été entre-temps larguée sans ménagement par Seydou depuis longtemps et s’était trouvé d’ailleurs un époux”. Mâh se tut. Un petit silence flotta avant les remarques ne fusent de tous côtés. Chacune des femmes présentes y alla de son commentaire acide sur l’homme, cet incorrigible ingrat qui ne mérite aucune compassion. Sans m’émouvoir et conscient que j’allais jeter un pavé dans la mare, je fis remarquer que les désagréments de la polygamie n’avaient qu’une seule origine. Ils étaient la conséquence des mauvais tours que certaines femmes jouent à d’autres femmes. Pour qu’un mâle soit incité à l’escalade matrimoniale, il faut bien qu’une séductrice vienne chasser dans le territoire d’une femme mariée. Mon raisonnement était imparable et il suscita un petit silence. Personne parmi mes amies ne pouvait en effet me contredire. Mais je savais que je n’avais pas intérêt à triompher et je demandai à Mâh de reprendre le cours de sa narration. Ce qui arrangeait tout le monde” Le nom de Amiblèn, commença-t-elle, ne te dira rien du tout. Mais autant je reconnais que mes amies et moi-même nous n’avons pas été des épouses exemplaires, autant celle dont je vais te parler était parfaite à tout point de vue. Quand son mari mourut dans un accident de la route deux mois à peine après son mariage, on lui épargna le “friya so” (assignation en chambre pendant quatre mois et dix jours), parce que le petit frère de celui-ci, Sidi, se proposa immédiatement pour la reprendre. Amiblèn était belle et elle se voulut aussi une épouse exemplaire. Elle témoigna sa reconnaissance à son nouveau mari en s’investissant à fond pour l’aider à bâtir un véritable foyer. Elle vendit ses bijoux, investit l’argent dans l’achat d’un terrain d’habitation et dans la construction de leur villa. Ses parents, des gros commerçants qui avaient pignon sur rue, lui donnèrent un coup de main. Sidi ne manquait pas de courage et ses cours du soir lui permirent de s’élever peu à peu dans la hiérarchie d’une banque. Il aimait vraiment Amiblèn, qui se révéla pour lui une épouse douce et prévenante. En outre elle ne manquait pas de sensualité et son époux n’avait pas à se plaindre de ce côté-là. Installé à demeure avec ses trois enfants, le couple menait une vie tranquille pendant près de quinze ans. Puis les habitudes de Seydou commencèrent à changer sans que Amiblèn ne le prenne en mal. “Il a beaucoup trop de travail avec ses nouvelles responsabilités”, disait-elle. Quand il arriva que Sidi découche carrément, Amiblèn fit l’effort de le comprendre. Il en alla ainsi jusqu’au soir où deux amis de son époux, accompagnés d’un vieux, vinrent lui faire l’annonce officielle que le second mariage religieux du “traître” se ferait le lendemain. Ils venaient demander à Ami de faire preuve de beaucoup de compréhension. Une telle mission n’est guère aisée pour ceux qui ont la charge, on le comprit à la manière dont ils se retirèrent en se marchant pratiquement sur les pieds, pressés qu’ils étaient de quitter les lieux.

Tragédie intime. Amiblèn entra dans un état de prostration terrible. Sans cri, ni murmure elle essaya de faire face, mais fut obligée de rester dans la chambre d’où elle donnait des ordres aux domestiques. L’accueil glacial dont Sidi fut l’objet en revenant créa chez lui une énorme gêne dont son épouse cependant ne voulut pas tirer profit. Le long monologue qu’il entreprit pour se justifier tomba littéralement dans les oreilles d’une sourde. Bien après Amiblèn dira à sa copine Sira en parlant de ses relations avec son mari : “Avant je faisais l’amour avec lui, maintenant je le subis. C’est cela sans doute le destin des épouses trop aimantes”. En mettant son infortune au compte de la fatalité, elle parvint à donner du change à son entourage. Un an après Sidi fut arrêté et déféré pour détournement de chèques. Ami battit le rappel de la solidarité de sa famille tandis que sa coépouse, qui ne vivait pas sous le même toit qu’elle, demanda le divorce qu’elle n’eut d’ailleurs de pas de mal à obtenir au bout d’une procédure très accélérée. Sidi fut mis en liberté provisoire en attente de son jugement, le montant du détournement avait été intégralement remboursé par sa belle-famille. Le dégel dans le couple ne se fit cependant que très lentement. Ami, elle-même, reconnut beaucoup plus tard que la persistance de sa réserve provenait plus de son ressentiment contre “la voleuse de mari” que d’une quelconque répulsion vis-à-vis de son époux. Sa tragédie intime dura ainsi quatre longues années. Elle croyait être handicapée pour la vie quand la situation se dénoua de la manière la plus inattendue. Une nuit, alors qu’ils venaient de conclure un ébat conjugal qui l’avait laissée comme d’habitude insatisfaite, Ami se résolut à poser enfin la question qui la taraudait. Pourquoi Sidi avait-il fait “ça” ? Son mari la regarda longuement et lui répondit avec une entière sincérité qu”’il ne savait pas”. “Je devais être envoûté, murmura-t-il sur un ton qui convainquit Ami qu’il ne se dérobait pas. Mais après coup, j’ai réalisé qu’elle était loin de te valoir dans l’intimité”. Amiblèn ne dormit que d’un œil cette nuit là et lorsque Sidi la sollicita aux aurores, elle recouvrit devant l’ardeur fougueuse de son époux les sensations qu’elle croyait à jamais perdues”. Mâh se tut et devant le silence qui se prolongeait parmi mes confidentes, je profitais pour dire que l’homme, s’il est fautif, a la possibilité de réparer. Pourvu seulement qu’entre son épouse et lui il y ait un minimum de sincérité pour aborder le problème. Je me fis assez brutalement interrompre par Kady, une des plus virulentes du groupe. Pour elle, l’écoute de l’autre était la chose qui fonctionnait le plus mal dans les couples de chez nous. L’homme, selon elle, n’est en fait qu’à l’écoute de lui-même, de ses soucis, de ses problèmes. Combien d’époux en rentrant à la maison parlent d’abord de leur journée fatigante (ce qui va les pousser à se coucher tôt) ; ou alors évoquent une obligation sociale (ce qui leur permet de ressortir presque aussitôt) ; ou annoncent tout simplement qu’ils rejoignent leur grin (ce qui va les occuper jusqu’à une heure tardive). Avec tout cela, commentait amèrement Kady., où est-ce qu’un homme trouvera le temps de s’intéresser aux problèmes de son épouse ? Mâh prit le relais et enchaîna. “Regarde ce qui est arrivé à Kady. Elle en tous les cas n’est pas devenue frigide après que son mari lui ait imposé sans la prévenir une coépouse. Dans la compétition elle trouva au contraire une espèce de stimulation qui la rendait par moments irrésistible. Elle s’était adaptée dans ses habitudes amoureuses et semblait tenir le bon bout.

« Voleuses d’hommes ». Mais elle reçut un coup au moral quand elle se rendit compte que son mari aidait sa rivale en lui dévoilant ses recettes. Pour elle, c’était une forme de déloyauté qui faussait la compétition et qui donnait l’impression d’une faiblesse du mari pour la seconde épouse. Cette dernière n’arrivait pourtant pas à suivre les recommandations de son conjoint, qui s’en sépara. Mais ce fut pour épouser presqu’aussitôt une autre à qui il suggéra de copier les méthodes de Kady : encens, “moromoro”, baya et sous-pagne. Notre copine comprit alors que l’homme avait besoin de deux fers au feu pour satisfaire tous ses fantasmes et quelque soit son inventivité, elle ne comblerait pas seule une telle gourmandise sexuelle. Elle en perdit le goût de la compétition et aussi son aptitude au plaisir. Pour donner le change, elle joue parfois à la femme vulgaire au lit. Son “imbécile de mari” (elle l’appelait désormais ainsi) appréciait cela au point d’en réclamer. Alors de temps à autre elle se venge en l’échauffant avant de se détourner de lui et de feindre le sommeil. Kady cependant malgré toute sa frustration n’a pas franchi la frontière de l’infidélité. Elle souffre terriblement, mais en silence.” Binta fit remarquer que si la polygamie et surtout l’injustice des hommes qui en découle causent un tort immense aux femmes aimantes, il arrive aussi aux secondes épouses, qui sont souvent présentées comme les bourreaux de leurs “grandes sœurs”, de se trouver elles aussi dans le rôle de victimes. Elle raconta la mésaventure de N’Tou qui faisait partie de leur groupe et qui a connu une expérience peu commune. Elle avait connu son futur mari, Aly, bien avant que celui-ci n’épouse en premières noces une certaine Dala. Mais ses parents s’opposèrent de toutes leurs forces à leur union. Le prétexte était un problème de caste. Alors N’Tou, qui n’avait pas accepté le mariage de son amant se décida cinq ans plus tard à avoir un enfant de lui pour forcer la décision de ses parents. Rien à faire, son père s’y refusait toujours bien que le couple continuait à se voir régulièrement. A la mort du vieux six ans après, l’oncle de N’Tou se montra plus accommodant. Notre amie réalisa ainsi son rêve le plus cher et même si elle était la seconde épouse, elle n’avait aucune considération pour Dala qui, à ses yeux, faisait figure de vulgaire “voleuse de mari”. Pour elle, Aly était “son” homme, le seul qu’elle ait connu depuis douze ans et qui entretenait avec une extraordinaire entente physique. Leur mariage célébré, elle lui donna deux autres enfants. Mais le bonheur de N’Tou allait au bout de quelques années s’enfuir brutalement. Une bonne âme lui annonça que Aly avait mis en état de grossesse une femme travaillant dans une grande banque de la place et qu’il s’apprêtait à l’épouser en troisièmes noces. La trahison de son ancien amant la transforma littéralement en morte-vivante. Ses amies essayèrent de la raisonner, mais en vain. a bout de patience l’une d’entre elle rappela brutalement à N’Tou qu’elle aussi avait bâti son bonheur conjugal en déclassant une autre et en utilisant des moyens déloyaux. La dispute qui s’engagea fut des plus chaudes. N’Tou voyant que ses amies commençaient à être agacées par ses lamentations les fréquenta moins. A celles qu’elle voyait encore, elle répétait sans cesse que les choses ne pouvaient pas durer entre son Aly et “la banquière” comme elle l’appelle. Mais cela fait déjà plus de six ans que cela dure et N’Tou est en train de perdre ses attraits. Elle-même se définit comme “une plante qu’on a oublié d’arroser”, mais assure que le jour où elle obtiendrait ce qu’elle voulait, elle redeviendrait “belle comme avant”. Binta eut un petit rire moqueur en rapportant la remarque de son amie. Pour elle, une femme qui a quarante-cinq ans ne peut plus regagner le terrain perdu sur le plan physique. Kady ajouta son commentaire venimeux en précisant que la première fille de N’Tou qui a eu vingt ans il y a quelques mois s’était mariée tout récemment. Je compris que mes interlocutrices ne compatissaient pas tellement aux malheurs de N’Tou. Celle-ci avait fait partie de leur groupe, mais elle appartenait aussi à la catégorie “des voleuses d’hommes” dont avaient été victimes Binta et Kady. Le groupe n’était donc pas solidaire d’elle dans le malheur et quelque part, jugeait qu’il est normal que celle qui a triomphé par le détournement d’homme soit à son tour victime du détournement d’homme. Telle est la loi du milieu féminin.

A suivre

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