Les coups de la vie : ‘’Le chèque qui tue…’’

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    C’est fou. Comme l’être humain peut être cruel. J’avais seulement onze ans lorsque j’ai perdu mon père. Il s’appelait Kassoum. ‘’Le vieux Kassoum’’, c’est ainsi que tout le monde le nommait. En plus de son poste de gérant d’une importante entreprise, il possédait un grand nombre de taxis et de cars. Le vieux Kassoum  était un polygame très futé. Il avait six femmes. D’origine burkinabé, il avait fait fortune dans son pays d’accueil, la Côte d’Ivoire. En reconnaissance, il avait épousé en plus de la Nigériane et des deux Burkinabès trois autres femmes ivoiriennes dont deux de l’ethnie bété et une baoulé. Et c’est avec ces femmes que le vieux Kassoum gérait son quotidien.

     

    Ma mère avait six enfants de lui. Quatre garçons et deux filles. On voyait rarement notre père. Il assurait correctement les charges de ses femmes ; mais on pouvait passer un à deux mois sans le voir. C’est avec ma mère qu’il a contracté le mariage civil. A mon avis, il l’a fait parce que non seulement elle était l’ainée de ses femmes, mais aussi parce que son travail le lui obligeait pour occuper un plus haut poste de responsabilité. Le choix de ma mère avait fait jaser plus d’un, mais qui aurait pu tenir tête au vieux Kassoum ? Il était Dieu sur terre, au sein de sa famille et personne n’osait contester ses décisions. Lorsqu’il commença à prendre de l’âge, le vieux Kassoum ne craignait pas pour ses vieux jours car, malgré ses nombreuses charges, il avait suffisamment préparé sa retraite. Il avait gardé le même train de vie et il recevait toujours de l’argent de la part de son entreprise dont il avait pu acquérir quelques parts.

     

    Mais, comme par enchantement, deux ans après sa retraite, les choses commencèrent à se gâter. Papa perdit ses taxis les uns après les autres. Pareil pour les cars. Mon père n’y comprenait rien. Pour couronner le tout, sa santé se fragilisa au fil du temps. Il n’arriva plus à assumer les charges de sa nombreuse famille. Puis un matin, c’est avec amertume que j’ai été réveillé par les pleurs de ma mère : mon père venait de mourir, laissant derrière lui six femmes et dix enfants inconsolables. Il fallait prévenir la grande famille au Burkina et organiser les funérailles. Les frères et les oncles du défunt sont arrivés en très forte délégation du Burkina. L’inhumation s’est faite à Abidjan, au cimetière de Koumassi.

     

    Après l’enterrement, la famille de mon père a convoqué une réunion avec les femmes de papa. Celui qui a pris la parole était le frère de papa. Il nous a fait comprendre qu’ils avaient décidé de récupérer les droits de papa dans son service et de vendre tous ses biens. C’est à dire les véhicules encore en état de rouler, les trois maisons et de nous emmener tous vivre au Burkina. Cette décision n’a réjoui personne. Pour ajouter à notre colère, l’un des oncles a déclaré qu’il épouserait ma mère comme l’exige la tradition et qu’il s’occuperait ainsi de nous. Ma mère leur a opposé un refus catégorique et leur a fait savoir qu’elle comptait bien vivre à Abidjan après la mort de son mari avec les biens laissés par ce dernier. Bien qu’elle fût reconnue par la loi comme l’épouse légale du défunt, elle avait décidé de partager les biens du vieux avec ses coépouses afin que chacune puisse se prendre en charge. En gros, elle avait fait comprendre à cette bande de vautours qu’ils n’avaient droit à rien, vu que le défunt avait plusieurs enfants et plusieurs femmes. La décision de ma mère a plu aux autres femmes. A leur tour, elles ont refusé de céder leur maison et aussi d’aller vivre au Burkina. Elles ont donc fait bloc autour de ma mère pour combattre la famille de mon père. L’un des frères de mon père, le plus intellectuel du groupe, s’est rendu au service de papa dans l’intention de récupérer les droits de ce dernier qui avait été évalués à vingt-trois millions de francs CFA.

     

    Une somme importante qui a tout de suite galvanisé la famille paternelle. Ces informations, ils ont pu les avoir de la part de l’entreprise qui employait papa. Mais pour ce qui est de récupérer l’argent, l’entreprise a expliqué que cela relevait des droits de l’épouse légitime qui, après avoir fourni certains documents, pouvait en disposer. Comme un troupeau de moutons, la délégation est revenue voir maman. Cette fois, ils lui ont exigé d’aller récupérer l’argent et de le leur remettre afin qu’ils retournent au pays. Furieuse, ma mère leur a fait savoir que jamais elle ne leur remettra cette somme car son défunt mari avait des femmes et des enfants. Ayant compris que la tache ne leur sera pas facile, parce que les femmes étaient déterminées et que la loi n’était pas de leur coté, l’un des oncles de mon père a dit ceci à ma mère :’’si tu te crois suffisamment femme pour refuser de nous donner l’argent de notre fils, essaie seulement de toucher à cette somme et tu verras. Je te le répète, essaie de toucher cet argent… nous sommes partis’’.

     

    Après ces menaces, la délégation est retournée au Burkina. Mais d’autres membres de la famille de mon père nous menaçaient. Chacun voulait quelque chose, sous prétexte qu’il en avait droit. Mais des droits de ses femmes et de ses enfants, personne ne se préoccupait. Et chaque fois, ma mère s’opposait pour ne pas que sa belle famille retire à ses enfants ce que leur père avait laissé. Malgré la menace, elle était décidée à aller jusqu’au bout afin qu’elle et ses coépouses héritent des biens de Papa. Trois mois après la mort de Papa, les tractations continuaient. Maman essayait tant bien que mal de réunir les documents légaux pour pouvoir récupérer les droits de son mari. Lorsque les documents ont été fournis, l’entreprise l’a convoquée. Ce jour là, elle s’est réveillée très tôt. Elle a demandé à notre ainé de s’occuper de nous, car la journée allait être longue pour elle. Le sourire aux lèvres, elle racontait à Mamie qui avait dix neuf ans à l’époque, qu’elle allait récupérer le chèque de Papa à son lieu de travail. Elle semblait très heureuse d’avoir réussit à braver tout le monde et d’être arrivée à ses fins. Elle n’a pas manqué de dire aussi qu’avec cet argent, notre vie allait changer car elle avait des projets à réaliser afin de nous assurer un avenir meilleur. Maman est sortie de la maison aux environs de six heures du matin. A midi, elle était déjà de retour avec, entre ces mains, le fameux chèque de vingt trois millions.

     

    A la question de savoir pourquoi elle n’est pas passée à la banque pour y déposer le chèque, maman a répondu qu’elle ne se sentait pas bien, et qu’elle irait le faire le lendemain. Elle était très pale et cela se voyait qu’elle se sentait mal. Sa température grimpa rapidement. Elle a demandé à Mamie de tremper une serviette et de la poser sur son front afin de faire baisser la température. Mais la fièvre n’a pas baissé. Elle a pris des cachets et a demandé, une fois de plus, à Mamie de mettre des glaçons dans la serviette. Au fil des heures, son état de santé se dégradait. Elle n’arrivait plus à parler. Ses membres se sont mis à raidir. Elle suffoquait. Mamie a appelé au secours certains parents ; ceux-ci l’ont conduite à l’hôpital. Vu mon jeune âge, ordre m’avait été donné de rester à la maison. Aux environs de dix sept heures, Mamie est revenue de l’hôpital en hurlant :’’ils l’ont eue ô, ils l’ont eue, ils ont tué maman’’. Maman est morte à cause du chèque, car ils avaient promis qu’elle ne touchera pas cet argent. Mamie avait donc raison. Les parents de mon père avaient proféré des menaces que maman avait négligées et elle en n’est morte, trois mois après papa, nous laissant seuls, sans soutiens. Après le décès de notre mère, le chèque de vint trois millions est resté intacte. Nous n’avions pas eu le courage de le toucher car la menace selon laquelle quiconque toucherait cet argent mourait, planait toujours…

    La rédaction

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    6 COMMENTAIRES

    1. La menace était destinée à votre maman qui a déjà payé par sa vie. Ne se transmettant pas par héritage, touchez votre chèque et “faites en bon usage”.

    2. la vie d’un homme est sacrée. Faite endossé le chèque au nom d’un albinos qui le touchera pour vous.
      Et on veras. si quelqu’un doit mourir ca ne sera plus un decendant légitime du vieux.
      qui vivra vera.

      • si salif keita(chanteur) t’attrape, tu verras. les albinos sont comme nous autres. n’oubliez pas(la redaction de publier l’auteur de l’article.

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