Les coups de la vie : La bijouterie

    0

    La bijouterie de dame Falilatou était l’une des plus fréquentées de notre cité. Toutes les grandes dames de ce pays, et même des hommes, passaient par là. C’était une femme belle et intelligente qui avait de l’ambition. Elle avait la réputation d’utiliser des matériaux de qualité comme l’or pur et l’argent blanc. Falilatou était Nigériane d’origine. Elle était arrivée en Côte d’Ivoire à 8 ans avec sa mère qui était commerçante. Cette dernière vendait des bijoux fantaisistes qu’elle achetait aux commerçantes d’Adjamé. Ce commerce était rentable. Seulement, il arrivait que les bijoux noircissent avant qu’on ne les revende. Etait un risque à prendre, car on n’avait aucune garantie.

       C’est fort de cela que Falilatou, une fois adulte, a décidé d’exercer ce commerce. Cependant, avec moins de risque. Ainsi, elle allait voir des bijoutiers qui confectionnaient des bijoux qu’elle revendait. En moins d’une année, sa clientèle s’est agrandie. C’est la raison pour laquelle elle s’est installée à son propre compte à l’âge de 32 ans, ouvrant “Or et argent”, sa première boutique à Treichville.

    Très vite, cette boutique s’est imposée. Falilatou a ouvert une deuxième aux Plateaux II. Cependant, elle devait le succès de ses boutiques à un homme : Samba. C’était lui la cheville ouvrière de ce business lucratif.  Il n’avait que 25 ans.

    Falilatou avait ouvert une succursale de sa boutique dans son pays d’origine où elle avait aussi une forte clientèle. Samba était au four et au moulin. Il disposait d’un talent particulier. Il travaillait jour et nuit, sans rechigner afin d’alimenter les différentes boutiques. Tous les autres bijoutiers respectaient la qualité de son travail. Il avait un doigté magique. Ses finitions étaient sans reproches.

    En plus, il était très honnête. Jamais personne ne s’était plaint des matériaux utilisés. C’était l’homme de main de Falilatou. Elle ne jurait que par lui. Elle le disait souvent : “Difficile de nos jours de trouver quelqu’un de si honnête et de si fidèle dans ce domaine”. Plusieurs personnes ont essayé de le débaucher, mais il est resté fidèle à sa patronne. Il a même refusé la proposition d’une dame qui avait une bijouterie en France.

    Dame Falilatou se vantait d’avoir le meilleur employé du monde. Alors qu’il était mal payé. Pourtant, pour tout le travail qu’il abattait, Samba méritait mieux. Mais ce jeune homme si humble, pieux et reconnaissant envers celle qui lui a offert son premier emploi, ne s’en plaignait aucunement.

     

    Après six ans de travail acharné. Samba avait décidé de se marier. Il informa en premier, dame Falilatou, qui, consciente de ce que représentait Samba pour ses entreprises, a décidé de prendre les devants des choses. Elle s’est érigée en marraine de la cérémonie et a financé tout le mariage. La mariée a bénéficié de plusieurs dons venant d’elle : des bijoux, des pagnes, des draps et des ustensiles. La cérémonie fut très belle. Deux semaines après le mariage, Samba annonça à sa patronne qu’il était temps pour lui de voler de ses propres ailes. Il a donc souhaité se retirer de l’entreprise “Or et argent” pour s’installer à son compte.

    Jamais Falilatou n’avait été autant déconcertée. Elle l’a supplié à genoux afin qu’il renonce à son projet. Elle a même proposé de doubler son salaire, mais Samba était bien décidé à partir. Il avait déjà loué un local moins grand que celui de “Or et argent” certes, mais c’était son espace à lui, et il en était fier.

    Dame Falilatou n’a pas supporté ce qu’elle considère comme une trahison. “Comment peut- il me lâcher alors que c’est moi qui ai financé son mariage ? C’est un ingrat et il va me le payer. Je retourne au pays et à mon retour, on verra qui de nous  deux est le plus fort”. A peine avait-il ouvert son petit atelier que les clients se ruaient chez Samba. Hadja, son épouse, lui était d’un grand soutien. D’ailleurs, il n’aurait jamais pris la décision de s’en aller, si elle n’avait pas été là. Falilatou le savait et lui en voulait aussi.

    Après deux semaines d’absence, dame Falilatou est revenue de son voyage. Elle a constaté que sa clientèle avait diminué de plus de la moitié depuis le départ de Samba. Elle ne comptait pas laisser les choses en l’état. Il était urgent de reconquérir Samba. Elle lui a rendu visite nuitamment avec des cadeaux rapportés du Nigeria pour son épouse et lui.

    Hadja était très heureuse des présents qu’elle venait de recevoir de sa marraine. Quant à Samba, il semblait moins enthousiaste. Il avait compris que ces présents cachaient quelque chose. Falilatou s’est adressée à Hadja et à son époux, car elle se disait que si elle arrivait à convaincre Hadja, elle gagnerait la partie.

    Tu sais Hadja, depuis le départ de Samba, tout s’est arrêté. Rien ne marche ! Je viens du pays. Il y a énormément de  commandes de nos clientes de France et des Etats-Unis au Nigeria. S’il te plait, demande à ton mari de venir avec moi  au Nigeria pour deux mois, afin de me permettre de réaliser ces commandes qui urgent. Après quoi, il sera libre de travailler pour lui-même. Je le promets. En plus, je propose de lui donner pour ces deux mois, deux millions”.

    La proposition de deux millions a attendri Hadja. Elle demanda à Samba d’accepter. Celui-ci a obéi sans grande difficulté. Hadja avait peut-être réussi à convaincre son époux, mais avait-il le choix ? Quand on sait que dame Falilatou est allée rencontrer Bawoul, son féticheur, qui lui a promis de mettre Samba à ses pieds.

    L’entreprise “Or et argent” du Nigeria était beaucoup plus grande que celle de la Côte d’Ivoire. Falilatou était une dame très respectée dans son pays. Un véritable modèle de réussite. Elle avait construit deux grandes villas dans son pays : une qu’occupaient ses parents et l’autre pour elle-même. Elle avait un véhicule 4×4. En Côte d’Ivoire, elle avait plusieurs réalisations et deux véhicules : une Mercedes et une Toyota Camry. Son parcours est impressionnant. Quand on sait qu’elle n’a jamais été à l’école.

     

    Samba a été logé dans une dépendance de la villa de Falilatou. Elle était à ses petits soins. Ses repas étaient préparés par elle-même. Elle y mettait toutes sortes de potions prescrites par son féticheur. Elle prenait soin de l’inviter à sa table afin de s’assurer qu’il mangeait ses repas. Samba se donnait à fond au travail pour satisfaire sa patronne.

    Pendant ce temps, Falilatou a changé ses plans. Elle a vendu ses deux boutiques d’Abidjan et s’est installée définitivement au Nigeria. Elle a confié tous ses biens immobiliers à une agence et a vendu ses véhicules. Par ailleurs, elle continuait, en plus de la nourriture, de faire ingurgiter des décoctions mystiques à Samba, en les mélangeant à sa boisson.

    Au bout d’un mois, Samba avait oublié Hadja et même sa famille. La pauvre Hadja n’avait plus de nouvelles de son cher époux. Pourtant, il fallait qu’elle lui annonce qu’il était sur le point d’être papa. Plus les mois passaient, plus Hadja et Adjo, la sœur aînée de Samba, s’inquiétaient. Les deux mois étaient largement passés et Samba n’avait toujours pas donné signe de vie. Les deux femmes sont allées dans les entreprises “Or et argent”, mais personne n’a pu donner des nouvelles de Samba. La nouvelle responsable des locaux en avait fait des magasins de bijoux importés et de prêts à porter de luxe.

    Pour que Samba oublie définitivement son pays et sa famille, le féticheur de Falilatou a demandé à cette dernière de coucher avec lui. C’était la condition pour qu’elle l’ait à sa merci. Falilatou n’a pas trouvé d’inconvénient à cela. Bien qu’elle n’ait jamais eu l’idée de sortir avec son meilleur employé, l’important pour elle était de sauver son business. Elle devait en l’occurrence introduire un fétiche dans son sexe et coucher avec Samba.

    Ainsi, après un repas copieux, dame Falilatou a invité Samba dans sa chambre et lui a offert son intimité. Samba s’est laissé prendre au piège. Le splendide corps de Falilatou qu’il avait dégusté sans retenue allait lui coûter cher. Désormais, il ne peut plus rien lui refuser. Il était devenu son esclave. Tous ses désirs étaient des ordres.

    Il travaillait pour elle sans être payé, espérant qu’elle l’invite à nouveau  dans son lit. Mais ce privilège, il ne l’aura eu qu’une fois, car Falilatou avait mieux à faire. Elle sortait avec des personnalités de son pays. C’était une femme aux mœurs très légères qui était prête à tout pour de l’argent. Samba faisait peine à voir, car il était devenu fou amoureux de sa patronne qui le considérait juste comme un instrument de travail.

    Le fils de Samba est né au pays. Hadja était malheureuse. Samba n’était pas à ses côtés. Adjo  s’était chargée de donner un nom à son neveu. Il s’appellera Sékou comme leur défunt père. Toute la famille s’est réunie pour le baptême du nouveau-né. Ce qui était censé être un événement heureux s’est achevé par des pleurs. Car, la nouvelle maman ne cessait de pleurer son mari. Ce qui a ému toute la famille.

    Plus de deux années, à présent, que Samba avait quitté le pays pour le Nigeria. Par deux fois, Adjo s’y était rendue, dans l’espoir de retrouver son frère en vain. Où était-il ? Elle avait appris que Falilatou venait quelquefois en Côte d’Ivoire. Cependant, personne n’avait pu lui fournir d’informations fiables afin de le retrouver. Elle avait fermé l’entreprise “Or et argent” et avait monté une entreprise qui exerçait dans le bâtiment. Samba était devenu son vigile. Elle l’avait chassé de son domicile. Il était payé 30 000 francs le mois et il devait payer son loyer et se nourrir avec cette somme. Le comble, c’est qu’il ne manifestait aucune envie de retourner au pays.

    Au bout de 15 années, il parlait correctement l’anglais et même la langue locale. Il ne travaillait plus pour Falilatou qui l’avait renvoyé comme un malpropre. Il fallait qu’elle se débarrasse de Samba, car elle craignait qu’il soit indiscret sur la fameuse nuit qu’ils ont passé ensemble. Elle était consciente que cette nuit-là était mémorable pour ce pauvre homme. C’était un risque de le garder auprès d’elle, surtout qu’elle était sur le point de se marier à un homme politique très renommé.

     

    Samba faisait de petits boulots, par-ci, par-là. A peine gagnait-il de quoi se nourrir et payer sa part de loyer. Il louait un studio avec deux de ses collègues : un Ivoirien et un Nigérian. L’Ivoirien, du nom de Yao, lui parlait souvent du pays. Samba se souvient de tout, mais il lui était difficile d’envisager un éventuel retour. Il parlait de Hadja, sa douce épouse, d’Adjo, de ses oncles et de son succès passé en tant que bijoutier.

    Après 19 années au Nigeria, Yao estimait qu’il était temps pour Samba d’envisager son retour. Beaucoup de choses avaient changé depuis son départ. Après six années sans nouvelles de lui, sa famille l’a déclaré mort et a autorisé Hadja à se remarier. Mais, ce n’est que 9 années plus tard qu’elle s’est remariée, ayant perdu tout espoir de revoir son mari. Le fils grandissait sans avoir connu son père.

    Yao trouvait l’histoire de Samba pathétique. Il n’arrivait pas à croire qu’un homme aussi insignifiant ait pu passer une nuit aux côtés de cette grande dame qu’on voyait souvent à la télé. Néanmoins, il insistait pour que Samba regagne le pays. Il était persuadé qu’une fois ici, il pourrait avoir une vie meilleure.

    A force de raisonnement, Yao a fini par pousser Samba à accepter son retour. Cependant, il lui fallait de l’argent pour ce voyage et surtout trouver un cadeau à tout le monde. Au fond de lui, il était malheureux. 22 ans perdus dans ce pays sans voir le temps passer. A 48 ans, qu’allait-il pouvoir faire de sa vie ? La bijouterie ? Il avait perdu tout son talent. Il était réduit à néant. La seule chose dont il était sûr, c’était qu’il ne voulait pas mourir dans ce pays étranger.

    Samba s’est donc mis à économiser. Il se privait de nourriture afin de mettre plus d’argent de côté pour le voyage. Il travaillait dans un moulin au marché et, de temps à autre, il portait les bagages pour quelques pièces. La vie de Samba était bien triste. Quand arriva le moment de rentrer dans son pays.

    Il s’est fait agresser au marché par quatre malfrats. Ils lui ont pris toutes ses économies et l’ont tabassé parce qu’il aurait essayé de se défendre. Il était très mal en point lorsque ses colocataires l’ont retrouvé. Vu l’état dans lequel il était, Yao ne voulait pas qu’il meure au Nigeria. Il a donc décidé de l’aider à rentrer au pays. Il a noté sur un bout de papier les références que Samba lui avait données : Adjamé, le quartier où il habitait, le nom de son épouse, le nom de sa sœur et les références de l’endroit où il travaillait, “Or et argent”  Yao l’a ensuite conduit à la gare routière et a demandé au chauffeur de le conduire au pays.

    Le chauffeur était hésitant, mais Yao lui a remis de l’argent pour le service. Le voyage a été long. A un moment donné, le chauffeur avait peur pour la vie de Samba, car il délirait. Il était brûlant de fièvre. Après 4 jours de voyage marqué par plusieurs arrêts, Samba est arrivé au pays.

     

    Le chauffeur, qui avait peur qu’il meure dans son véhicule, l’a abandonné au marché d’Adjamé. Adjo était devenue une grande commerçante. Elle achetait du Bazin au Mali, qu’elle revendait en Côte d’Ivoire. Avant chaque voyage, elle allait consulter son marabout et faire des sacrifices afin que le voyage se déroule bien. Cette fois-ci, le vieux Kéita lui a dit qu’elle était sur le point de retrouver une personne qui lui est chère. Puis, il lui a prescrit des sacrifices : des beignets, du mil et de la cola blanche.

     

    Abandonné en plein marché, Samba interpellait tous les passants. Il demandait de l’aide. Avec un accent étrange, il essayait de parler sa langue maternelle. Il disait qu’il était à la recherche de sa sœur qui n’habitait pas loin de la mosquée d’Adjamé. A force de ressasser cela, une vendeuse de fruits assise dans les environs, a compris qu’il n’était pas vraiment fou comme le laissaient croire les apparences.

    Elle s’est approchée de lui et lui a posé des questions. La bonne dame a décidé de l’aider en allant se renseigner au domicile indiqué. Heureusement qu’Adjo n’avait jamais quitté la cour familiale. Elle a reconnu avoir perdu un frère. Se précipitant sur les lieux, elle le trouva dans un état lamentable. Il ressemblait à un fou. Il pouvait à peine se tenir debout. Elle l’a conduit dans un centre de santé avant d’informer toute la famille.

     

    Que s’était-il passé ? Où était Samba depuis toutes ces années ? Telles sont les questions que tout le monde se posait. Le médecin n’a pas caché à Adjo que son frère était mal en point, il avait des côtes cassées et une hémorragie interne certainement due à des coups. Malgré la douleur, Samba était heureux de revoir sa famille, son épouse et surtout son fils Sékou. Lui qui se lamentait de n’avoir pas eu d’enfant, à son âge, Sékou était son sosie. Samba a alors dit qu’il pouvait mourir en paix, car il était retourné sur ses terres et avait pu voir son fils. Il avait les larmes aux yeux. D’une voix à peine audible, Samba a tenu à expliquer tout ce que Falilatou lui a fait subir dans son pays. L’enfer dans lequel elle l’avait abandonné. Toute la famille était émue. Dieu se chargera du sort de Falilatou.

    Malheureusement, Samba n’a vécu que trois jours sur la terre de ses ancêtres. Les coups qu’il a reçus d’on ne sait qui, ont eu raison de lui. Il est mort avec le sourire, même si sa vie n’a été que souffrance, sans or ni argent.

    Commentaires via Facebook :