Binta avait été élevé par son père, sa maman perdait la vie en donnant la vie. Un père dur, cassant, ne ménageant ni critiques ni blâmes. Son époux Abdou s’était replié sur lui-même, se cristallisait et se figeait. Mentalement il était bloqué comme un navire enlisé.
La mort en cascade et suivant l’ordre d’admission des malades dans l’infirmerie de la garnison militaire suscitait une grosse frayeur. L’angoisse se déclenchait devant un sentiment de danger. L’esprit des autres patients construisait des drames. A l’angoisse se joignait souvent le désarroi. La sensation d’impuissance était absolue devant le danger imminent.
Binta avait avalé ce récit comme une eau de source. Elle sentait une bouler lui monter à la gorge, à en étouffer, des pointes au cœur, et elle se disait : « partir ou mourir ». Elle éprouvait un réel besoin de décharger son angoisse, de faire des remarques cinglantes à son mari. Au lieu de cela, elle se montrait souriante, gentille et prévenante. Eviter l’hostilité de son mari et du médecin était donc un besoin vital, une préservation de sa sécurité, de sa vie. L’angoisse demeure toujours présente et sourde, comme une sorte de perpétuel malaise intérieur. Binta n’était pas prête à livrer bataille entre l’obsession et la raison, mais employait toutes ses forces pour cacher son angoisse afin d’éviter qu’on se moquât d’elle.
Ne se doutant de rien, le médecin traitant avait acquiescé à la demande du sergent-chef Abdou. D’ailleurs, il s’apprêtait à annoncer la bonne nouvelle quand le mari de sa patiente était venu lui voir.
Ecrasée et inférieure
Binta avait été élevé par son père, sa maman perdait la vie en donnant la vie. Un père dur, cassant, ne ménageant ni critiques ni blâmes. Elle revenait d’école avec angoisse ; précipitait les pas pour ne lui courroucer. Elle prolongeait ses heures de tâches domestiques une façon de signifier qu’elles pouvaient bien mener frontalement ces deux activités. La peur du blâme se mêlait aux sentiments de culpabilité. Son époux avait remué le couteau dans la plaie. En lui traitant de « vieille sorcière » tout son passé avait ressurgi. Un passé teinté de mépris de soi, sa mère n’était-elle pas morte par sa faute ? Binta avait cherché inconsciemment à soumettre, à faire plaisir, à servir les autres afin de faire taire les chuchotements dans son dos de « petite sorcière » dès qu’elle apparaissait dans un coin du village. Elle se sentait toujours en faute et coupable…parce que son père l’y avait habituée durant seize ans.
Son mari devenait un rappel de son père –autoritarisme, dureté, blâme – Binta se sentait tout écrasée, inférieure. Au fond d’elle-même, elle éprouvait une violente hostilité contre son père. Mais ses émotions sont vite tues, rangées dans les placards.
L’éducation est un sujet aussi vaste que le monde. Toute vie personnelle en dépend, mais aussi les joies et les souffrances collectives. Les guerres elles-mêmes ne sont-elles pas la généralisation des sentiments personnels ?
Bloqué comme un navire enlisé
L’éducation peut conduire à la joie, à la paix et à la sérénité. Mais aussi à une réduction des possibilités, à l’échec.
Le devoir de vérité exigeait qu’on divisât la poire en deux. Son époux Abdou s’était replié sur lui-même, se cristallisait et se figeait. Mentalement il était bloqué comme un navire enlisé. Il tournait sur lui-même, qu’il l’aurait voulu ou pas. Automatiquement, il était devenu incapable de compréhension. Le sergent-chef apportait chaque fin de mois un sac de 50 kg de riz pour neuf bouches à nourrir, puisant dans le magasin de cuisine pour recrues une foultitude d’ingrédients. Les trois épouses devaient mettre la main à la pâte : s’occuper du complément alimentaire, de renouveler leur garde-robe et celui des enfants, et surtout de songer à son boubou de fête, sans omettre son paquet de cigarettes. Celle qui se dérobait à cette dernière exigence verrait ses deux nuits annulées au profit de l’épouse attentionnée.
On ne parvenait jamais à la paix familiale en fractionnant les épouses et en opposant l’une contre l’autre. Diviser pour régner, une vieille stratégie qui fonctionnait bien. Tant, les épouses étaient démunies, enfantines, et pleines de peurs. Chacune avait une crainte, que sa cuisine ne plaisait pas autant que celle des autres. Elles s’attachaient chaque fois à lui demander son goût avant de faire les provisions et préparaient des plats à sa fantaisie. Chacune désirait qu’il soit dans son jour d’appétit, quitte à se ruiner financièrement pour y arriver. Les meilleurs morceaux de poisson et de viande étaient triés sur le volet et bien disposés dans son assiette.
Il faisait sombre dans la chambre, sans quoi le sous-officier aurait pu voir le visage pâle de Binta et surprendre le frisson nerveux qui effleurait sa poitrine. Après un instant d’hésitation, elle se décidait à rompre le silence, demandait « comment s’était déroulée sa journée ?». « Bien ! » s’était-il contenter de répondre en souriant. En vérité, le sous-officier avait de la peine : Sory était demeuré introuvable. Abdou y voyait une trahison. « Glouton » qu’il était, il aurait préféré se tailler avec tout le magot que de partager avec les autres.
Cette nuit la passion de Binta qui ne savait quoi s’imaginer était d’avoir un enfant, un beau garçon. Une maman heureuse de jouer des heures durant avec son petit garçon l’avait fort inspirée. Aussitôt qu’elle prononçait le mot « bébé », Abdou avait attrapé un fou rire. Binta se savait ménopausée, tout comme son mari. Le jeu de duperie battait son plein : Je te trompe, tu me trompes, nous nous trompons. Ainsi allait mieux la vie. Avec un air de plus grand sérieux il lui promettait que « ce sera pour bientôt ». Puisque c’était décidé « alors mettons-nous à l’œuvre dès maintenant » mendiait Binta.
A suivre
Georges François Traoré
c’est quel article….. bassesse de niveau….. ce pays va tres mal….
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