Le singe et l’or

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    Depuis très longtemps des pratiques incorrectes existent, car de tout temps des hommes de mauvaise foi ont cherché à vivre en suçant le sang de leur semblables, tant le prurit du gain a emporté chez eux. Aussi tout tort se paye-t-il.

    On avertit également que lorsque la réparation du tort (autrement dit la sanction) dure en chemin, c’est qu’il est allé chercher du fouet en bois vert.

    Et puisque tout tort se répare au détriment du fauteur, A.B., un vieux bambara, propriétaire de troupeaux nombreux paya de sa malhonnêteté.

    Il fait déjà de nombreuses années que A.B. vivait heureux avec sa famille heureuse et nombreuse et ses troupeaux parqués non loin de son village de T. dans le cercle actuel de Bla.

    Chaque matin ses vaches lui donnaient beaucoup de lait qu’il vendait dans son village et dans bourgs voisins. Après la traite du lait, une fois la consommation de la famille enlevée, A.B. demandait à ses épouses d’ajouter une quantité conséquente d’eau au reste du lait à vendre. Celles-ci s’exécutaient à contre cœur au départ, mais au fil du temps elles y prennent goût à cause du gain facile et rapide. Cela dura des années et A.B. et ses épouses s’enrichissaient chaque jour davantage.

    Un matin, B.D. l’ami personnel de A.B. qui est propriétaire aussi de troupeaux eut besoin de lait car son beau-frère du village de S. vint lui rendre visite et il ne lui restait plus de lait. Il envoya sa plus jeune épouse chercher du lait chez A.B. celle-ci protesta d’abord, mais par respect à son époux elle alla chercher du lait. Ne sachant pas les raisons de sa protestation, par respect à l’étranger, il ne réagit pas tout de suite. Cependant quand elle ramena du lait, elle le montra à A.B. qui sourcilla avant de goûter le contenu de la calebasse. Finalement, il trouva une excuse pour ne pas offrir ce lait de mauvaise qualité à son beau frère qui prenait un bain entre temps. Il prit soin de garder le lait avec la ferme intention d’interpeller son ami A.B.

    Le lendemain, au soir, il retrouva son ami A.B. à leur place de causeries quotidiennes, non loin de leurs parcs à bétail. A.B.qui était pressé de savoir ce que B.D. a fait du lait qu’il était venu demander la veille, l’interrogea ainsi :

       Mon homme, quel besoin de lait avais-tu hier ?

    ·         Mon beau-frère me rendait visite ; je voulais lui offrir du lait. Mais l’eau que tu m’as envoyée ne lui convenait pas.

    ·         Je coupe ainsi toujours un peu mon lait, mais c’est très loin de l’eau. N’exagère pas.

    ·         J’ai l’habitude de te dire que Dieu ne laisse jamais l’eau dans du lait.

    ·         Je ne fais du mal à personne, tout juste un peu d’eau car mon lait est un peu concentré à mon avis.

    ·         Tu m’en mordras le doigt un jour. Ne viens pas me dire que tu n’as pas été averti.

    ·          Dieu comprendra que je ne le fais pas par cupidité, c’est sûr.

    Ils en restèrent là.

    Quelque temps plus tard, A.B. allait rendre visite à son frère dans un village de la contrée. Fatigué par la marche, il arriva au bord du fleuve qui coulait dans la région. Il décida de se débarbouiller un peu et de se rafraîchir le corps avant de se reposer.

    Avant de plonger dans l’eau, il accrocha sa besace à la banche de l’arbre sur le rivage. Dans son bain, son regard ne quittait pas son sac.

    Soudain, venu de nulle part, un singe s’empara de la besace, l’ouvrit et en retira une longue chaîne en or. Pour s’amuser, il tournait la chaine au-dessus de sa tête comme une fronde. A.B. sortit de l’eau comme un missile. Il prit une pierre qu’il lança à l’animal. Celui-ci, comme pour le narguer, regagna les branches supérieures de l’arbre. Une fois en hauteur, il cassa la chaîne à son milieu. Il laissa tomber un morceau par terre. A.B. s’empressa de le ramasser. Il regagna le sommet de l’arbre avec l’autre morceau, le fit tourner  de toutes ses forces et l’envoya loin dans le fleuve. A.B. se précipita d’abord dans le fleuve, puis s’avisa de son inaptitude à nager et finit par faire recours aux bozos, pêcheurs-nageurs, des lieux.

    Les recherches ont duré une huitaine de jours. Tous les efforts furent vains. Point de chaine en or. Lorsqu’il racontait son aventure, tout le monde s’étonnait de la présence inhabituelle de singe dans les régions. A moins qu’il ne s’agisse d’un animal égaré.

    Le moral suffisamment entamé, il renonça à son voyage et retourna dans son village. Il s’est porté malade pendant une semaine. Son ami B.D. lui rendait visite tous les soirs après le soin porté aux animaux des deux parcs.

    Ce jour, quand B.D. s’apprêtait à partir, il lui demanda de patienter. Alors, il lui narra en détail sa mésaventure avec le singe. Ainsi il lui précisa que Dieu a soustrait l’eau du lait. La chaine que le singe avait coupée était la fortune qu’il avait amassée par la vente de « son lait légèrement coupé à l’eau ». B.D. bien que compatissant à la douleur de son ami, rendit grâce à Dieu.

    L’appât du gain aveugle le cœur de l’homme. Or, le proverbe chinois dit : « Chaque brin d’herbe a sa part de rosée ». Dieu est omniprésent, omniscient, omnipotent et suffisamment patient pour rétribuer à sa juste mesure et au moment juste chaque action de l’homme. Seule la foi sauve l’homme de l’égarement et de la perdition.

    AMADOU K TOURE

    Académie d’Enseignement de Ségou.

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