Le fou gémissait et tremblait de tout son corps sous l’effet de la surprise. Une cohorte de jeunes coupait la retraite à son agresseur. Les coups de poings reçus étaient aussi aigres que les railleries après coup de ses amis qui lui avaient pourtant encouragé à commettre l’acte.
Malick vivait une nuit angoissante. Enervé et inquiet, il allait et venait dans sa chambre. Quelque chose de terrible s’était passée. Affreuse la gifle que lui avait administré un fou errant. Malick n’avait plus l’air dans son assiette depuis qu’il avait fait le récit de l’incident à ses amis réunis autour d’un verre de thé. De tout le charabia de sottises qu’il lui avait débité, s’il ne rendait pas la gifle au fou dans les trois jours qui suivaient, il sombrait dans la folie.
Le plus drôle restait à faire : se lancer à la recherche de son agresseur, un gaillard aux yeux de feu capable de rattraper une moto lancé à vive allure. Mais où le trouver ? Avec un peu de chance, le fou commettrait l’imprudence de revenir sur les lieux de l’agression. Cette probabilité lui donnait des ailes.
A la fine pointe de l’aube, il sortait de sa chambre sa moto, démarrait en trombe et traversait les rues. Il manquait de peu de renverser une vielle femme qui regagnait le marché, portant sur sa tête une baignoire remplie de potager. Malick s’en excusait et reprenait son chemin. Son intuition ne l’avait pas trompé. Tout se passait fort bien, en effet. Son agresseur de la veille se dirigeait vers la gare de Sogoniko, Malick immobilisait joyeusement sa moto, allait à l’abordage du fou en marchant sur la pointe des pieds. Une fois la cible à portée de main, il lui administrait un baffle des plus mémorables.
Le fou gémissait et tremblait de tout son corps sous l’effet de la surprise. Une meute de jeunes hommes qui avaient suivi l’acte s’en étaient indignés. Une course-poursuite était lancée. Malick n’avait pas eu le temps d’allumer le moteur qu’il était encerclé. Les premiers coups étaient déjà partis. Un jeune pondéré et qui ne manquait pas d’autorité parvenait à arrêter les coups qui pleuvaient. Lui voulait en avoir le cœur net, la motivation profonde de cette agression.
Railleries dérangeantes
Les explications de Malick étaient plus émouvantes que les torrents de larmes qui perlaient ses joues. Son histoire n’avait rien à voir avec les recommandations d’un marabout. Elle ne manquait pas de convaincre. Mais, il n’allait pas se tirer comme çà. Les jeunes qui lui ceinturaient l’obligeaient à faire un petit plaisir au fou qui brûlait d’envie de savoir ce qui se tramait ici. Malick qui l’avait aperçu mordait nerveusement sa lèvre inférieure, puis soustrait de la poche de son pantalon bleu marine une billet de 5.000 F CFA qu’il tendait au hasard. Séance tenante, le fou était servi, bien servi qu’il s’étouffait de joie. Puisqu’il disait que cela faisait longtemps qu’il n’avait pas vu un gros billet, à fortiori d’en être propriétaire. Malick pouvait humer l’air frais. Les gens qui l’encerclaient tournaient les talons et s’éloignaient. Il avait eu beaucoup de chance, chose qui ne se présentait pas tous les jours.
La nuit était claire, avec un petit croissant de lune. Un chapelet d’étoiles ornait le ciel. L’heure des retrouvailles après une dure journée de travail avait sonné. Les amis de Malick étaient informés de sa mésaventure. On entendait des rires aigus, un peu trop aigus au goût de Malick, de plus en plus irrité des moqueries de ses amis du style « il faut aussi être fou que le fou pour se venger de lui » ou encore « nulle part au monde, la gifle administrée par un fou n’a rendu fou sa victime ». N’en pouvant plus, il ordonnait à ses amis de « quitter tout de suite son domicile et ne plus jamais y remettre les pieds de son vivant et après sa mort ».
Georges François Traoré