Criblé de balles, puis brûlé, le 14 décembre 1998 sur la route de Sapouy, village situé à 100 Km de Ouaga, Norbert Zongo vient d’être victime d’un second assassinat : l’adjudant –chef Kafando, son « présumé » assassin a été liberé. Le témoin à charge s’est rétracté, a conclu la justice burkinabè. Curieusement.
« Je sais que tôt ou tard, ils m’élimineront. Mais en attendant, j’exercerai mon métier de journaliste », me confiait –il, les larmes aux yeux, ce 12 mai 1997, veille de mon retour définitif dans mon pays, le Mali, après une collaboration qui aura duré quatre ans. Avant d’ajouter, en me serrant dans ses bras : « j’espère que d’ici là, on se reverra pour la dernière fois ».
Hélas, on ne se reverra plus. Plus jamais. Norbert Zongo, plus connu sous le nom de plume de Henri Selgo est décédé, lundi 14 décembre, en début d’après –midi suite à un « accident de la circulation » à Sapouy, localité située à 100 Km au sud de la capitale. Accident provoqué ou simple coup du destin ?
Une certitude : la carrosserie du véhicule, à bord duquel il se trouvait avec trois autres compagnons, n’avait pas une bosse. Du moins, si l’on en croit les informations, diffusées par les radios internationales qui, très vite, se sont fait l’écho du drame. Mieux, l’une des portières du véhicule comportait des trous béants. Sont –ils dûs à des grenades ou à des balles ?
Du coup, les étudiants burkinabè concluent à un assassinat. Un assassinat, froidement, exécuté. Ils étaient près de 10.000 à protester, le lendemain, dans les rues de Ouaga, incendiant –au passage –deux véhicules, ainsi que le siège de la convention pour la Démocratie et le Progrès (CDP), le parti au pouvoir. Tout un symbole.
Assassinat prémédité
En effet, « Mr Cola » comme on l’appelait à la Rédaction de l’Indépendant, dont il était le Dirpub (parce qu’il lui fallait toujours un morceau de cola pour affronter ce qu’on appelle « l’angoisse » de la feuille blanche) était réputé pour ses articles au vitriol contre le régime des capitaines.
Ce journaliste, à la probité morale et intellectuelle reconnues, a su porter au bout de sa plume incisive, le martyre de son peuple. Et cela, à un moment où, ses confrères s’échinaient à la périlleuse moisson des glorioles. Mais aussi, à la dangereuse chasse aux honneurs. « Lorsque par peur, nous cautionnons le mensonge et l’injustice, lorsque par intérêt nous collaborons et profitons des hommes que notre histoire inculpera de « crimes contre la Nation », nous nous exposons à ce cancer (NDLR : entendez le laxisme) des plus incurables », écrivait –il dans son éditorial du 20 septembre 1994, intitulé « le cancer ».
Ni les menaces de mort, ni les valisettes bourrées de billets craquants, n’ont réussi à le faire taire. Quelques anecdotes : à la BICIA où « l’Indépendant » était domicilié, Norbert eu, un jour, la surprise de découvrir plus de 100 millions CFA dans son compte. Furieux, il exige des explications. Alerté, le Directeur général de la Banque lui fait savoir qu’ordre lui a été donné de déposer cette somme dans son compte. Il n’en dit pas plus. La réaction de Norbert ne se fait pas attendre : « débarrassez –moi de cet argent et dites à vos commanditaires que je ne suis pas à vendre ».
Aussi, une nuit de 1994, des hommes en treillis se rendent à son domicile avec une mallette contenant, cette fois, 200 millions CFA. Norbert les congédie avec leur précieuse « marchandise ».
Pour le faire plier, le pouvoir a recours à une autre arme, fatale à ses yeux : sa vieille mère. Celle –ce reçoit, à son tour, à Koudougou, ville située à une soixantaine de Kilomètres de Ouaga, la visite d’un détachement de la garde présidentielle. Objectif : faire pression sur elle, afin qu’elle persuade son fils de renoncer à ses critiques acerbes contre le pouvoir. En vain ! Norbert reste inflexible. Chaque parution de « l’Indépendant », notre journal, était un évènement. Tirant à 8000 exemplaires, l’hebdo du mardi est devenu, en l’espace de trois ans, la bible du lectorat burkinabè. Et ce, en dépit des saisies intempestives, et des menaces proférées contre son imprimeur.
Ses enquêtes, ses analyses, ses commentaires ne laissent personne indifférent. Pourtant, les écrits de Norbert juraient avec son personnage. Humble, de commerce agréable, il circulait à moto. Une vieille moto. Rarement en voiture, et toujours vêtu avec simplicité. Une simplicité qui lui a valu l’admiration de tous, y compris ses ennemis, impatients de le faire frire dans une barrique. Comme ce fût le cas de certains collègues. Malheureusement.
Double assassinat
Assassiné à coups de « Kalach », brûlé vif à l’aide de grenades, Norbert Zongo continue de susciter la colère du régime Compaoré. Un régime qui, non content de l’avoir réduit au silence, vient d’ordonner son second assassinat : la libération, pure et simple, de son assassin, l’adjudant –chef Marcel Kafando, alias « Kaf ». En détention depuis 2001 –soit trois ans après l’assassinat de Norbert –Marcel Kafando a été libéré, mercredi dernier, par la justice burkinabè. Le témoin à charge, l’unique, dit –elle, s’est rétracté. Loin d’enterrer Norbert, ce second assassinat relance le mythe Zongo. Et convainc les défenseurs de la liberté de la presse, de la nécessité de maintenir la pression sur le pourvoir burkinabè. Afin que les assassins de Norbert soient arrêtés et jugés.
Robert Ménard, Président de « Reporters sans Frontières » s’est dit scandalisé, sur les antennes de RFI, par cette décision. Avant de conclure : « Nous faisons la promesse que le régime burkinabè ne l’emportera pas au paradis ».
Norbert Zongo tire sa force morale de son parcours professionnel. Né en 1949 à Koudougou, il entre dans la vie active comme Instituteur. Après cinq ans passés dans l’Enseignement, il passe son bac et réussit le concours d’entrée à l’Ecole des Attachés de presse de Lomé. Etudiant, il publie un article corsé sur la gestion personnelle du pouvoir par feu Eyadema. Conséquence : il est renvoyé de cette école. Et sa bourse supprimée. Pire, il séjourne durant un an dans les geôles du Togo. Avant d’être rapatrié dans son pays.
Mais c’est grâce à Ahmadou Kourouma, l’auteur du « Soleil des Indépendances » qu’il intègre l’Ecole Supérieure de Journalisme de Yaoundé. Il en sortira en 1980, muni de son diplôme. Rentré au Burkina, il est affecté à « Sidwaya », le quotidien national. Mais très vite, il s’attire les foudres du colonel Saye Zerbo, président de la Haute –Volta d’alors.
Il lui est interdit d’écrire, quand ses articles ne sont pas gelés par son Red’chef aux ordres. De guerre lasse, il est affecté dans la province de la Bougouriba, comme Correspondant de l’Agence d’Information du Burkina (AIB). Face à son refus de rejoindre son poste, il est licencié. Commence, alors, pour lui, une longue période d’errements à travers la presse privée. Frustré par la conduite éhontée de ses Directeurs de publication (qui le licenciaient contre espèces sonnantes du pouvoir), Norbert se reconvertit en agriculteur. Sur les hauteurs de Sapouy, il aménage une ferme touristique. Mais surprise. En 1994, il revient à ses premières amours, en créant « L’indépendant ».
Le premier numéro, imprimé à crédit, a été mis sur le marché, la veille de son départ pour le Danemark où, il devait animer une conférence sur la « Démocratie en Afrique ». Il fait l’effet d’une bombe. Tout comme les autres éditions de « l’Indépendant ». Du coup, des comités de soutien sont crées. Et les Kiosques, pour accueillir le journal, se multiplient dans toutes les provinces du Burkina.
Bien plus, de jeunes journalistes –comme nous autres à l’époque –sortis, fraîchement, du centre de Formations professionnelle des journalistes, se bousculent au portillon de « l’Indépendant » pour acquérir de l’expérience. Son expérience. Une expérience à laquelle le « bourreau du Conseil » a mis fin, un après –midi du 14 décembre 1998.
Norbert a, certes, disparu. Mais l’espoir qu’il a sû insuffler à son peuple, lui, demeurera. Et pour toujours ! Dors en paix, chef !
Le Mollah Omar
“