Il était taximan et s’en tirait plutôt bien. Mais son dada (occupation favorite), c’est la chasse aux autographes : c’était finalement devenu une véritable obsession chez lui. Aussi possédait-il des albums remplis de signatures de stars et d’autres célébrités de la musique, du show-biz, du cinéma, des hautes finances, de la politique, etc. Il, c’était Pierre Dumont, avec un T à la fin du nom, comme il se plaisait lui-même à le préciser.
Pour le moment, il avait jeté son dévolu sur le richissime homme d’affaires anglais, Sir James Grant, et s’était juré d’obtenir sa signature. Pour Pierre, c’était comme un défi, voire même une question de vie ou de mort, surtout qu’il avait tenté l’aventure à maintes reprises, mais sans succès. Une fois, il s’était même introduit dans la chambre d’hôtel du riche Sir (prononcer Sœur), mais on l’en avait chassé comme un malpropre.
Un subterfuge savamment mûri
Un jour donc, il peaufina soigneusement son coup, ou du moins son plan : il avait réussi à s’introduire dans l’hôtel en se faisant passer pour…le chauffeur attitré de Sir James. Il avait ensuite téléphoné au vrai chauffeur de Sir James (ils se connaissaient bien) pour l’informer que « le patron n’aurait pas besoin de lui avant minuit et qu’il pouvait disposer de quelques heures ». Ce qui avait ravi le chauffeur. « Ça tombe bien : j’avais envie de me défouler. Une fin de week-end, vous pensez bien ! Comme ça, je pourrai aller faire la bringue », pensait-il en déposant les clés de
Amusé par autant d’assurance du nouveau chauffeur, Sir James ne s’en formalisa pas : « Du moment que vous êtes taximan, je n’y vois aucun inconvénient. Mais il me semble que vous n’avez pas la tête de l’emploi ; vous auriez plutôt du être homme d’affaires comme moi ». Sir James était tout sauf tatillon. Pierre lui répondit en riant : « Vous n’y pensez pas, Monsieur ! Un pauvre mec comme moi ? Et où dénicherai-je tout ce magot ? Pour être un homme d’affaires comme vous, il faut des potes haut placés qui vous font confiance. Et moi je… ». Alors le Sir éclata d’un rire gras et dit : « Vous me plaisez et je vois qu’en plus, vous avez la tête sur les épaules. Je pourrais vous engager en qualité de second. Vous ne pouvez deviner combien notre boulot est tuant. Euh…Je vous dois combien pour la course ? Oh merde ! Je n’ai plus d’argent liquide sur moi et, euh…vous accepteriez bien un chèque ? ». En bégayant presque, Pierre s’empressa de répondre, convaincu d’avoir cette fois-ci atteint le but qu’il visait depuis belle lurette : « B…B…Bien sûr, Sir ! Même un chèque en bois, je l’accepterai venant de vous. Vous êtes un homme bien, allez, et je réfléchirai à votre proposition. Vous me devez seulement 70 francs, et j’espère que ce n’est pas trop vous demander ». Alors Sir James protesta : «Allons, allons, pensez-vous ! Vous méritez bien plus et vous m’êtes sympathique ».
Un chèque désormais « sans provision »
Sir James remplit un coupon de son chéquier, y apposa sa signature et le remit au taximan. Ensuite, il se fit déposer à l’entrée d’une luxueuse résidence, serra la main de Pierre et disparut. C’est alors Pierre, ne tenant plus en place, se mit à exulter : « Enfin, je l’ai eu mon autographe ! Les copains vont maigrir de jalousie ! ». Arrivé près de chez lui, il sortit le chèque et, sans s’intéresser à son montant, découpa avec soin la partie comportant la fameuse signature et l’enfouit dans son porte feuille. « Je vais classer ce trophée dans mon catalogue. J’ai gagné ! ». Pierre se mit à swinguer sur place en chantonnant un slow langoureux. Ensuite, il froissa le chèque et, toujours sans regarder son montant, le jeta…dans une poubelle.
Une semaine plus tard, le videur de poubelle découvrit le chèque non encore déchiqueté. Il le déplia avec précaution et eut la surprise de lire, inscrit en chiffres bien distincts, un montant de…deux cent mille francs français payable à Monsieur Pierre Dumont. Mais la signature y avait été découpée !
Oumar Diawara
« Le VIATOR »