La mendicité, une profession libérale à Bamako : Les victimes du système

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    Par groupe de trois, quatre, voire davantage, elles écument, chaque matin, les grandes artères de notre capitale, en quête de leur putance quotidienne. Et la nuit tombée, elles dorment, à même le sol ou sur des cartons de fortune, sur les trottoirs. Chassées de leur village par la misère et la pauvreté, ces mendiantes tentent de survivre dans les centres urbains, de plus en plus, sourds à leur détresse. Enquête sur ces victimes collatérales de la mal gouvernance.rn

    En cette matinée de juillet, il est 6 H30mn. Il fait beau. La canicule est balayée par une légère brise, soufflant sur la capitale malienne.

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    Et les premiers rayons du soleil, pris en otage par de gros blocs de nuages. Les grondements de tonnerre alternent avec le vrombissement des moteurs. A peine endormie, Bamako se frotte, déjà, les yeux. Aux abords du Rail –dah, les petits marchands s’affairent autour de leurs étals. Mais sur les trottoirs des espaces verts, situés non loin du carrefour de l’hôpital Gabriel Touré, une vingtaine de mendiantes s’activent. Les unes autour de leur moustiquaire de fortune ; les autres, autour de vieux cartons, leur servant de couchettes.

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    Agées en moyenne de 58 ans, elles s’apprêtent, déjà, à prendre d’assaut, les grandes artères de la capitale. Ou les feux tricolores les plus fréquentés, à la recherche de leur putance quotidienne.

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    Sans famille ou presque, livrées à elles –mêmes, chacune d’elles a son histoire. Chacune d’elles a connu ses moments de bonheur, ses heures de gloire, si brèves soient –elles. Aucune d’elles ne pensait, un jour, faire le mendiant.

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    « Dans la vie, on doit s’attendre à tout : des instants de bonheur, comme des instants de malheur », nous confie A.D, en emballant sa vieille moustiquaire, dans un sac en plastique.

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    Originaire du Kénédougou, elle vit de la mendicité, à Bamako, depuis cinq ans. Du haut de ses 56 ans, elles en paraît dix de moins.

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    De taille moyenne et de forte corpulence, sa vie a basculé, il y a dix ans. « Avant de perdre mon mari, mes trois enfants [NDLR : deux garçons et une fille] sont tous décédés, la veille de leur quinzième anniversaire. Mon mari, lui, n’a pas résisté au chagrin. Dix ans après le décès du dernier, il est, à son tour, décédé ». Depuis, c’est la croix et la bannière pour A.D.

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    Traitée de « sorcière » par la famille de son mari, elle est, d’abord, chassée de la maison.

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    Et les biens de son mari, confisqués. Considérée, il y a peu, comme l’une des plus belles femmes du village, A.D est devenue, du jour au lendemain, la curiosité des siens.

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    Abandonnée à elle –même, sans ressources financières, elle quitta son village à pied, pour rejoindre Sikasso, la capitale régionale où, elle passa deux mois chez sa sœur cadette. Mais là encore, son calvaire est loin d’être terminé.

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    Mariée à un Enseignant, sa sœur interdit à ses enfants de l’approcher. « Parce que même pour ma sœur, qui a le même sang que moi, je suis une sorcière », ajoute t –elle, en brisant une larme sur ses joues creuses.

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    Supportant mal d’être mise à l’écart par sa sœur, elle rejoint la capitale. Sans lui en souffler mot. « Au moins ici, je mendie le jour et la nuit, je partage ces trottoirs avec toutes ces femmes, qui ont presque la même histoire que moi »

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    Victimes collatérales de la mal gouvernance

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    A l’instar de A.D, B.T, elle, est originaire de Ségou. Mais à la différence de la première, elle a eu le malheur de n’avoir pas eu d’enfant.

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    Chassée du domicile conjugal, elle est traitée de sorcière. Avant d’être livrée à la vindicte populaire. Conséquence : elle quitte son village, pour la capitale.

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    Par peur de se voir lynchée. Publiquement. « Voilà comment, j’ai été obligée de quitter mes champs, mes jardins. Avant de me retrouver, du jour au lendemain, comme une mendiante », nous confie t –elle, entre deux sanglots. Mais ces mendiantes sont, de plus en plus, rejointes par des hommes, qui partagent avec elles, la même histoire. Ou presque. Parmi eux, nous avons rencontré I.T, au rond –point du Grand –Hôtel. La soixantaine révolue, il ne survit que grâce à la générosité des passants.

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    Pourtant, il y a sept ans, il était ouvrier au port d’Abidjan. Marié à une ivoirienne, il entretenait ses quatre enfants avec ses maigres ressources. Et, un jour, Patatras : « Le lendemain de l’assassinat du général Gueï, ma maison a été attaquée par un groupe d’insurgés. Au cours de la fusillade, qui s’en est suivie, mes deux enfants ont reçu des balles. L’un au thorax et l’autre en pleine tête. Craignant pour ma vie, je me suis débrouillé pour rentrer au pays ».

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    Mais le plus grand regret de I.T, c’est l’impossibilité pour lui, de rentrer dans son village de Touminian, non loin de San.

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    « J’ai quitté mon village à l’âge de 28 ans. Et je n’y ait plus jamais remis les pieds », confesse t –il. Avant de conclure, la tête entre les deux mains : « je préfère mourir que d’y retourner dans cet état ».

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    Mendiant le jour, et dormant, la nuit tombée, sur les trottoirs, ces mendiants sont abandonnés à eux –mêmes. Avec le risque de se faire agresser ou dépouiller par les bandits. Victimes collatérales de la mal gouvernance, ils ne doivent leur survie qu’à la générosité des passants. Une générosité, de plus en plus, rare dans une capitale, devenue sourde à leur détresse.

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    Un revers cuisant pour notre gouvernement qui, par hypocrisie, a crée un Département ministériel, au nom de la « Solidarité » et des « Personnes Agées ».

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    Un Département qui peine, encore, à trouver un centre d’hébergement pour ces centaines de mendiants qui, chaque matin, se déploient sur les artères de la capitale, en quête de leur putance quotidienne. 

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    « Nous n’avons jamais reçu d’aide de ce Département. D’ailleurs, le gouvernement a d’autres chats à fouetter, que de s’occuper de pauvres gens, comme nous », concluent nos interlocuteurs. Avant de prendre congé de nous.

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    Le Mollah Omar

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