KINSHASA (AFP) – "Nous sommes les mieux habillés !": debout sur des tombes, les jeunes "sapeurs" exhibent fièrement leurs vêtements griffés. Le temps d’un hommage à une figure de la Sape congolaise décédée en 1995, le paisible cimetière de la Gombe à Kinshasa s’est mué en podium de mode.
Sur le portique d’entrée du cimetière d’un quartier chic de la capitale, une banderole invite "tout adepte sapeur à venir participer au 16e anniversaire de la mort du fondateur de la +religion kitendi+, Stervos Niarcos". Une petite centaine de jeunes -dont une seule fille- membres de la "Société des ambianceurs et des personnes élégantes" (Sape), fanatiques de "kitendi" (l’habillement en langue locale lingala), ont répondu à l’appel.
La cérémonie commence par un défilé sur un tapis rouge déroulé pour l’occasion sur l’allée bordant le cimetière, sous le regard d’une centaine de spectateurs, dans une ambiance de franche rigolade.
Moyen d’expression et d’exister pour des jeunes souvent au chômage, la Sape, très prisée aussi à Brazzaville au Congo voisin, s’est développée dans les années 80 en République démocratique du Congo, avec des ambassadeurs de renom comme le chanteur Papa Wemba.
Chaque "sapeur" fait quelques pas, s’arrête, claque des talons pour attirer l’attention sur ses chaussures, roule des épaules et montre avec ostentation ses vêtements, et surtout les étiquettes, répétant à haute voix le nom de la marque.
Veste en cuir, manteau, blouson, pantalon, parfois relevé à mi-mollet, bermuda, kilt, chaussures en cuir -version croco ou vernie-, dépareillées ou non, tennis, chapeau, casquette, lunettes de soleil, costume ample, cravate, noeud papillon, écharpe: tous les mélanges sont permis. Circonstance oblige, le noir et blanc dominent.
La plupart tirent une valise bourrée de vêtements et de chaussures, qui est déballée sur le tapis comme sur un marché aux fripes. Le bon "sapeur" accumule les effets, généralement fournis par des proches installés en Europe.
Seda, 22 ans, est un "amoureux" de kitendi depuis l’âge de 12 ans. Il porte un manteau et un large bermuda en papier beige, de sa propre création. "Tout le monde est habillé en Yamamoto, Gucci, Dolce & Gabbana… Moi j’ai conçu seul ce modèle: +l’usage unique+", dit-il, tout fier.
Les spectateurs applaudissent et taquinent. "Rapporte le sac à ta mère", crie l’un d’eux à un jeune arborant un vieux sac à main. "Tu trouves la même chez les Chinois à 1.800" francs congolais (2 dollars US), lance un autre au porteur d’une veste bariolée.
Après le défilé, les sapeurs prennent la direction de la tombe de leur idole, le musicien Mombele Ngatshie, alias Stervos Niarcos, à l’autre bout du cimetière aux allées envahies par les herbes folles, adossé à un superbe golf très prisé des expatriés et diplomates.
Né en 1952 à Kinshasa, considéré comme le "pape" de la Sape en RDC, Stervos Niarcos a vécu entre Kinshasa et l’Europe. Il est décédé en février 1995, alors qu’il était détenu à la prison française de Fresnes pour une affaire de drogue.
Après un dépôt de fleurs et quelques mots de circonstance, les élégants font à nouveau le spectacle, juchés cette fois sur des tombes, devenus de parfaits podiums.
"Nous sommes les mieux habillés !", crie un "sapeur", petites lunettes rondes aux verres solaires relevés comme des hublots, costume large à carreau beige, bas de pantalon relevés laissant voir des tennis montantes.
Sur une stèle voisine, un autre pose en costume bleu-vert, cravate courte, casquette sur les yeux, tenant d’une main un complet sur cintre et sous plastique, comme tout droit sorti du pressing.
AFP
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