Un rapport de quatre experts indépendants dénonce la culture et la gestion des cas de harcèlement et ébranle le directeur exécutif, Michel Sidibé.
«Le secrétariat d’Onusida est en crise, une crise qui menace son travail vital.» C’est en ces termes que s’ouvre le rapport d’un comité d’experts indépendants publié vendredi 7 décembre et présenté lors du conseil de coordination du programme Onusida, qui s’est tenu à Genève du 11 au 13 décembre. Cette instance de direction, devant laquelle le secrétariat rend compte, avait mis sur pied, le 20 juillet, le comité d’experts constitué de quatre membres, à la suite de la demande du directeur exécutif de l’Onusida, Michel Sidibé, en février.
Les experts devaient évaluer la culture et la politique internes, et proposer à l’organisation onusienne des recommandations destinées à «renforcer la mise en œuvre de sa politique de tolérance zéro à l’égard du harcèlement sexuel». Leur rapport met sévèrement en cause l’équipe dirigeante de l’institution et appelle à la mise en place d’une nouvelle direction. Le jour où le rapport du comité d’experts a été mis en ligne, le 7 décembre, le secrétariat d’Onusida a simultanément publié sa réponse sous la forme d’un document de 62 pages incluant la mise en place d’un «agenda du changement» destiné à «transformer l’Onusida».
Dans la foulée du rapport des experts indépendants, des voix se sont multipliées pour réclamer la démission de Michel Sidibé : du rédacteur en chef de la revue Lancet, Richard Horton, au gouvernement suédois, qui vient d’annoncer le gel de sa contribution à l’Onusida tant que le directeur exécutif n’aura pas démissionné.
Harcèlement, intimidation et abus de pouvoir
L’émergence du mouvement #metoo à la fin de l’année 2017 a fait éclore sur la place publique une affaire antérieure d’accusations de harcèlement sexuel de la part du directeur exécutif adjoint d’Onusida, le Brésilien Luis Loures. En novembre 2016, un haut responsable de l’Onusida, Badara Samb, signale un incident, survenu dix-huit mois plus tôt, au cours duquel son supérieur hiérarchique –Luis Loures– aurait tenté d’embrasser de force dans un ascenseur une employée de l’Onusida, Martina Brostrom, qui est la compagne de M. Samb.
Auparavant, en mars 2016, M. Samb et Mme Brostrom avaient fait l’objet d’une enquête pour des soupçons d’abus d’autorité et d’inconduite. Menée durant quatorze mois par le bureau des services de contrôle interne de l’Organisation mondiale de la santé, l’enquête sur les soupçons de harcèlement sexuel a conclu que les accusations n’étaient pas suffisamment étayées et recommandait de classer l’affaire. Luis Loures a quitté l’Onusida en mars. Quatre autres femmes se sont également manifestées et ont signalé des faits analogues contre M. Loures.
Le rapport présenté au conseil de coordination du programme Onusida par le comité d’experts indépendants dresse un véritable réquisitoire contre le secrétariat et au premier chef contre le directeur exécutif, même s’il reconnaît à ce dernier sa «contribution exceptionnelle» à la lutte contre la pandémie de VIH-sida. Le rapport attaque, bille en tête : «Les dirigeants, les politiques et les procédures de l’Onusida ont échoué à prévenir ou à répondre convenablement aux accusations de harcèlement y compris sexuel, d’intimidation et d’abus de pouvoir à l’Onusida. Les preuves d’une culture organisationnelle brisée rassemblées par le comité d’experts indépendants sont écrasantes.»
La raison, estiment les quatre experts, en est que l’Onusida est «gouvernée d’une façon qui a établi un vide de responsabilité». Le secrétariat «n’accepte pas la responsabilité d’une culture d’impunité devenue prévalente dans l’organisation, une culture qui ne garantit pas un lieu de travail sûr et digne pour le personnel, et ne respecte pas les droits humains». S’est installée, selon le rapport, «une culture de travail faite de peur, de défiance et de représailles contre ceux qui prennent la parole sur le harcèlement ou l’abus de pouvoir».
Des mesures «cosmétiques»
Insistant sur l’urgence d’un changement, le comité juge impératif «un remaniement significatif des procédures et de la culture de travail, et de la direction qui est responsable de cet état de fait». Les mesures adoptées par le secrétariat face à ces problèmes «systémiques» et notamment son «plan en cinq points» sont qualifiées de «guère plus que cosmétiques». Ailleurs dans le rapport, elles sont jugées «superficielles et insuffisantes».
Dans ses recommandations, le rapport enfonce le clou vis-à-vis du directeur exécutif, indiquant que le comité «n’a pas confiance dans la capacité de l’actuelle direction à conduire un changement culturel quand cette direction a été largement responsable du malaise actuel» et estime nécessaire un changement.
Sans surprise, ce n’est pas le point de vue de Michel Sidibé et du secrétariat de l’Onusida. Dans l’avant-propos du mémoire publié simultanément au rapport des experts, Michel Sidibé rappelle que, depuis dix ans, il est chargé de diriger l’Onusida dans sa mission vitale : «soutenir les pays afin de faire progresser la vision de zéro nouvelle infection par le VIH, zéro discrimination et zéro décès lié au sida». Il affirme : «le personnel est notre atout majeur» et «le comportement exemplaire commence par moi».
Des problèmes qui remontent à 2011
Le directeur exécutif dit «accueillir favorablement beaucoup des recommandations» du rapport et introduit les cinq composantes du plan d’action : «Placer le personnel au centre, renforcer les normes de comportement, galvaniser la direction, la gouvernance et le contrôle, investir dans les systèmes et activité de management et, enfin, développer les capacités.»
Plus concrètement, le mémoire déclare que «le secrétariat de l’Onusida travaille à se transformer en éliminant toute forme de harcèlement et la culture qui lui permet de se produire». Le document rappelle que, tous les ans, l’Association du personnel du secrétariat de l’Onusida (USSA) mène une enquête et que celle présentée en juin au conseil de coordination du programme estime que «bien que pas toujours parfaites, les relations de management du personnel au sein de l’Onusida continuent à être considérées comme un modèle pour les autres organisations». Les premiers problèmes d’intimidation, de harcèlement et d’abus de pouvoir au sein du secrétariat ont été identifiés par l’enquête annuelle de 2011, signale le mémoire, qui reconnaît que toutes les failles n’ont pas été comblées dans ce domaine.
Un ancien membre d’Onusida confie au Monde sa critique de la méthodologie adoptée par les experts :
«D’un côté, ils ont fait une enquête par questionnaire qui recoupe ce qui était connu par celles de l’USSA et, de l’autre, ils ont eu des entretiens avec des personnes qui se sont manifestées d’elles-mêmes, y compris des anciens membres du personnel, sachant qu’en dix ans, l’effectif est passé de 1 100 à moins de 700, ce qui a engendré des frustrations. Onusida n’est ni meilleure ni pire que les autres organisations des Nations unies et les règles sont établies par les Etats membres.»
Michel Sidibé a fait savoir qu’il n’entendait pas démissionner. Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Gutteres, a seul le pouvoir de le démettre de ses fonctions. Les regards se tournent donc vers lui.
Paul BENKIMOUN