Mouna n’oubliera pas de si tôt ce qu’elle a vécu au mois de mai dernier à l’aéroport international de Bamako. A quelques instants du vol de l’avion RAM à destination de Paris, après avoir rempli toutes les formalités d’usage, revenue une dernière fois pour "dire au revoir" à son bien-aimé, elle a vu des pages de son passeport broyées par ce dernier.
Il était exactement 23 heures quand l’enthousiasme était à son comble surtout pour Mouna qui avait longtemps rêvé de ce jour, d’être à Paris. Depuis presque 5 ans, elle caresse toujours l’envie de partir, tout comme des milliers de jeunes maliens. Après avoir reçu les refus de demande de visa dans quatre chancelleries occidentales représentées dans notre pays, plus rien, en principe, ne devait l’empêcher de voyager puisqu’elle avait fini par avoir le sésame. Un visa court séjour, d’entrée en France. Puisque toutes les formalités étaient remplies. Le visa d’entrée en France est devenu rare en Afrique mais, rien n’empêche certains jeunes à tenter leur chance. Comme bon nombre d’eux, Mouna, étudiante en 2è année Licence à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Bamako, rêvait d’aller en France. L’occasion lui fut offerte cette année grâce à une invitation de sa tante, mais c’était sans compter avec la jalousie de son fiancé Issou. Lequel avait peur de perdre sa moitié, avec laquelle il avait de nombreux projets surtout de mariage. Pourtant, il avait désormais adopté une attitude de résignation. Pour la confirmer, il était parti accompagner sa fiancée à l’aéroport, tout comme la quasi totalité des membres de la famille de Mouna qui y ont fait le déplacement pour la circonstance. A peine arrivés, Mouna et Issou s’étaient écartés des autres accompagnateurs pour un instant de solennité et d’intimité. Le couple se connaissait assez bien. Cela faisait 5 ans qu’ils vivaient ensemble. Mouna, quelque peu triste, tentait de consoler son futur époux en ces termes : «Ne soit pas triste mon cœur. Je reviens dans un mois avec des cadeaux. J’irais à la Tour Eiffel faire des photos pour toi ». Issou qui donnait l’impression de tolérer, répondait : «Ne t’inquiète pas, chou, j’avais eu un peu peur, mais à présent ça va… ». Les deux vont revenir dans le grand hall pour des séances de photos avec la famille de Mouna. L’ambiance est de taille. Le sourire se lit sur tous les visages mais, celui d’Issou demeure dubitatif. Quelques instants après, un haut parler doit distiller un message à l’instar des voyageurs de se diriger vers le poste de contrôle des bagages et les formalités du voyage.
Après une quinzaine de minutes de formalités, Mouna reviendra vers sa famille et son fiancé, cette fois pour leur dire au revoir pour la dernière fois, avant de longer le long couloir des salles d’embarquements. Entre ces deux propos, Issou dira à sa fiancé de lui montrer elle aussi une dernière fois son visa afin qu’il puisse bénir son voyage. Mouna qui ne s’attendait à aucun geste maléfique de son fiancé, doit lui tendre en toute confiance son passeport. C’est ainsi qu’après avoir donné l’impression de feuilleter entre les pages de ce passeport, il s’est saisi de la page du visa et d’un geste décidé, il a arraché deux pages qu’il a sur-le-champ mis dans la bouche devant le regard inoffensif de la famille de Mouna qui s’activait encore à faire des prises de vues avec cette dernière. Stupéfaite, Mouna crie : «Issou m’a tué, il a détruit mon passeport». Au moment où on demande à Mouna ce qui se passe, Issou, pris de rage s’applique à déchirer le reste du passeport resté entre ses mains. Après avoir compris ce qui se passait, l’un des grands frères de Mouna n’avait pu s’empêcher d’envoyer son gendre au tapis à travers de violents coups de tête. A quelques minutes du départ de l’avion, afin de se rassurer, le père de Mouna téléphone pour prendre des nouvelles. Il est horrifié d’apprendre ce qui s’est passé. Il décide alors d’arriver sur les lieux. Le père de Mouna qui au départ était souffrant, arrive sur place et toute la famille se transporte à la maison y compris Mouna en larme, tenant entre ses mains, les quelques pages "rescapées de son passeport", fruit de la furie de son fiancé. Elle est alors rassurée par son père qui lui promet de faire tout son possible pour qu’elle face ce voyage le plus tôt. Trois semaines après, c’était à nouveau le départ, pour l’occasion vous pouvez imaginez l’état d’esprit des uns et des autres avant le départ. A l’aéroport pour l’accompagner, il n’y avait plus que le père et la mère de Mouna et comme l’avait soupçonné Issou, elle risque de ne plus revenir.
Saly Kané