La semaine dernière, à bord de notre Jet, nous avions brièvement évoqué ce marathon judiciaire qui se poursuit toujours et nul ne sait pour combien d’années encore car, l’audience correctionnelle de la Cour d’Appel de Bamako de ce lundi 24 mars 2014, présidée par M. Léon Niangaly l’a encore renvoyé au 26 mai prochain. Il était assisté de M. Baya Berthé et de M. Yaya Togola, conseillers, en présence de M. Hamet Sam, occupant le banc du ministère public, avec l’assistance de Me Arméissa Touré, Greffier.
Niankoro Mariko, né il y a 76 ans à Wola, Commune rurale du même nom, cercle de Bougouni, Bakary Mariko, 90 ans, chef de village de Wola, Djofolo Doumbia, 110 ans, chef de village de Chouala, dans la même commune, Zoumana Diarra, 74 ans, notable de Djalan, toujours dans la même commune, Hamidou Doumbia de Djalan (il ne connaît pas son âge), Mamourou Doumbia, 74 ans, notable de Wola et Mamadou Fomba, 39 ans, notable de Djelen toujours dans la Commune rurale de Wola sont poursuivis depuis 2003, il y a 11 ans pour dommage à la propriété mobilière et immobilière d’autrui au préjudice de Lassana Diakité, cultivateur domicilié à Massigui, cercle de Dioïla et cinq autres puis opposition à l’autorité de l’Etat.
A son audience publique ordinaire du jeudi 3 juin 2004, la Justice de Paix à Compétence Etendue de Bougouni a reconnu que des dommages ont été causés aux propriétés des parties civiles, dommages résultant d’un mouvement de foule, mais qu’aucune preuve n’a été apportée par rapport à la participation des prévenus aux faits incriminés.
En conséquence, le juge les a déclarés non coupables des faits à eux reprochés au bénéfice du doute et les a relaxés. Les demandeurs ont fait appel de cette décision.
Malheureusement, le jugement de Bougouni est confirmé par la Cour d’Appel de Bamako par un arrêt en date du 15 mai 2006. Les demandeurs qui n’étaient plus assistés de Maître Abdoulaye Cissé, mais de Maître Amidou Diabaté, avocat à la Cour, se sont pourvus en cassation contre cet arrêt devant la Cour Suprême. Une fois encore, ils seront déchus de leur pourvoi par un arrêt du 23 mai pour une autre raison, à savoir une erreur de procédure relative au paiement de la consignation. L’abnégation de Me Diabaté faisant, l’affaire est renvoyée devant la Chambre criminelle pour examen du pourvoi, pourvoi qui sera déclaré recevable. Heureusement. Maître Amidou Diabaté a demandé à la Haute Cour (la Cour Suprême) de casser l’arrêt de la Cour d’Appel, autrement, de dire que la Cour n’a pas dit le droit et de lui ordonner de réexaminer l’affaire pour deux raisons. Primo dit-il, la Cour d’Appel, à la suite du juge de Bougouni a écarté purement et simplement le procès verbal d’enquête préliminaire de la gendarmerie de Koumantou.
Dans ce document transmis au juge, il ressort que les prévenus ont pris les armes contre les gendarmes une première fois et qu’ils ont été conduits manu militari une seconde fois en prison grâce à un renfort de gendarmes venu de Sikasso. Certains d’entre eux avaient reconnu les faits à l’interrogatoire.
Secundo, la Cour d’Appel, répétant systématiquement ce qu’a dit le juge de Bougouni a pris fait et cause pour les prévenus en croyant ceux-ci quand ils disent qu’ils ne reconnaissent pas les faits et sans chercher qui alors a fait le saccage qui n’est pas fictif.
La Cour Suprême après examen de ses arguments de Maître Diabaté, s’agissant du premier grief, a dit ceci : « L’arrêt, c’est-à-dire la décision de la Cour d’Appel) n’a donc pu prononcer une relaxe en faveur des prévenus qui n’ont pas comparu qu’en s’écartant des règles relatives à l’appréciation des preuves. Dans ces conditions, la relaxe prononcée sans aucune explication revêt un manque de motivation de la décision et expose l’arrêt à la censure de la Haute Cour.. ».
Sur le second grief soulevé par Maître Diabaté, la Cour Suprême a dit ceci : « En constatant que le saccage avait été l’œuvre de la foule et qu’aucun des prévenus n’avait pu être identifié comme ayant participé aux actes, l’arrêt a fait une constatation rendant nécessaire des recherches supplémentaires en vue d’identifier les éléments qui ont commis le saccage.
En n’ordonnant donc pas de mesure visant à retrouver précisément les auteurs du saccage, il (l’arrêt) s’expose à la censure de la Haute Cour.. ».
Au regard de tout cela, la Cour Suprême a cassé l’arrêt et renvoyé les parties devant la même cour, mais autrement composée. C’était le 5 juillet 2012. Et depuis, l’affaire cale en raison d’une pièce à verser dans le dossier. Vu le caractère usurieux du litige, deux prévenus sont décédés. La Cour demande que soient versés dans le dossier, les certificats de décès de ces deux prévenus décédés. Les prévenus vivants ont versé le certificat de l’un mais pas celui de l’autre.
Et voilà toutes les raisons du blocage pour une pièce qu’on peut obtenir en quinze minutes. En 2013, les victimes, constituées partie civile ont arrêté leurs travaux champêtres au village pour comparaitre neuf fois devant la Cour d’Appel de Bamako. A chaque fois, c’est le défaut de certificat qui a justifié le renvoi. Rien que cette année, elles étaient à leur neuvième passage devant la Cour d’Appel le lundi 24 mars dernier. Mais, elles devront repasser encore le 26 mai prochain, les prévenus n’ayant pas pu obtenir le certificat de décès.
Voici les faits
Le mercredi 10 avril 2002, les villageois de Wola, Djalan, Chouala, Djelen, dans la Commune rurale de de Wola, arrondissement de Sanso, cercle de Bougouni, après concertation se sont déployés dans les hameaux de culture de Lassana Diakité et de cinq autres qui lui sont proches, en l’occurrence Abou Togola, Daouda Togola, Moctar Diakité, Saribou Diakité et Bourama Diakité pour détruire leurs cases au nombre de quinze, brûler leurs greniers remplis de mil, couper leurs arbres fruitiers, faire ébouler leurs puits, empoisonner douze chèvres, quarante quatre pintades, tuer des ânes, emporter de l’argent etc.
La raison ? Le chef de village de Djalan a ordonné à tous les ressortissants vivant en brousse de rentrer au village pour le grossir. Mais pour les victimes, cet argument est faux. C’est parce qu’elles ne sont pas natives du village et qu’elles se sont enrichies en cultivant les terres à elles prêtées par les casseurs devenus jaloux. Le lendemain jeudi 11 avril, Lassana Diakité a déposé plainte auprès du Commandant de la Brigade territoriale de gendarmerie de Koumantou, Bourama Sidibé pour dommage à la propriété mobilière et immobilière d’autrui.
Des convocations ont été adressées aux chefs de villages concernés, mais aucun d’eux n’a daigné répondre. C’est à la suite de ce refus d’obtempérer que Sekou Kamissoko, adjoint du Commandant va conduire sur les lieux, une mission composée de quinze éléments. Mais ils seront éconduits par les hommes, les enfants, les femmes armés de fusils, coupe-coupe, gourdins, haches etc.
Il faut attendre du renfort venu de Sikasso pour organiser une seconde mission et interpeller manu militari une cinquantaine de meneurs qui seront casés à la maison d’arrêt de Bougouni.
A l’enquête préliminaire de gendarmerie, Zoumana Diarra, l’un des meneurs né en 1940 à Djalan a dit ceci : « Je suis un conseiller du chef de village de Djalan. Courant 1983, Adama Diakité, le grand-frère de Lassana Diakité a offert dix noix de kola au chef de village aux fins d’obtenir pour ce dernier, un champ de culture. Le chef de village lui a cédé une parcelle. Après quelques années d’exploitation dans les hameaux, le chef de village a lancé un appel à tous ceux qui vivent en brousse afin qu’ils retournent au village pour le grossir. Beaucoup de gens ont obtempéré, mais pas Lassana. Immédiatement, le chef de village lui a retiré sa parcelle qu’il n’avait qu’à titre de prêt. Lassana nous a convoqués devant les autorités, chose que nous les paysans on n’aime pas. Vu la tension, tous les bras valides du village se sont dirigés sur son hameau pour le démolir… ». Fin de citation. Certains villageois ont dit la même chose, d’autres n’ont pas nié les faits, mais n’ont pas reconnu leur participation soit parce qu’ils ne le savaient pas ou parce qu’ils étaient absents du village.
Non seulement il y a donc eu le saccage, mais il y a eu aussi le refus de répondre à la convocation et surtout le fait de s’armer contre la gendarmerie pour l’empêcher de faire son travail. Tous ces faits ont été consignés dans le dossier et transmis au juge. Au jugement le 03 juin 2004, l’avocat des parties civiles, Me Abdoulaye Cissé a démontré que c’est à la suite d’une réunion qu’il a été décidé de faire cette expédition punitive contre ses clients. Il a plaidé en faveur d’une peine à caractère pédagogique.
Mais il ne sera pas entendu. Le juge Issa Traoré, assisté de Maître Oumar Seremé, Greffier, malgré les aveux contenus dans le procès verbal, dira à la suite de Maître Mamadou Diarra, avocat des défendeurs qu’il n’y a aucune preuve contre les prévenus et les a relaxés. Purement et simplement. Et depuis, les pauvres victimes courent derrière une hypothétique réparation.
Source net