Ils se trompent d''époque (2) : LE DEUXIÈME RAPT DE TAMTCHI

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    Une voix gutturale murmura à l”oreille du gamin : "Si tu tentes de t”échapper ou de crier pour alerter les gens je te tue".

    Certaines personnes n”ont cure de la République. A Menaka, la capitale de l”Azawagh, les différentes autorités ont attendu des jours, des mois, voire une année sans que la promesse faite soit remplie. Le chef du hameau n”a jamais ramené les deux enfants qui manquaient à l”appel lors du retour de mission de ses émissaires. Toutes les tentatives de rencontrer Alhassane Ag Kassoum ont été vaines. Cet homme orgueilleux et les siens ont mis à profit la situation sociopolitique dans cette vaste partie de notre pays pour ne pas honorer la parole donnée aux autorités administratives de la circonscription.

    Quant à Tatchi, elle était envahie d”une crainte qui s”est avérée juste. Elle suppliait tous de redoubler d”efforts pour faire revenir auprès de leurs parents, les deux enfants encore entre les mains de leurs ravisseurs. Cette maman était convaincue que rien n”empêcherait son "maître" de revenir pour kidnapper à nouveau son premier garçon Tamtchi. Elle continua alors à consulter les marabouts et les adeptes des djinns dans l”espoir de faire renoncer Mahomed I. à asservir son fils Tamtchi. Mais les dieux n”ont pas exaucé ses prières et celles des oracles qu”elle a consultés. Au cours de l”hivernage 2004, le hameau de Tatchi déménagea loin des pâturages fréquentés par Alhassane Ag Kassoum. La femme et son mari avaient pensé que seul l”éloignement pouvait protéger leur enfant contre un nouveau kidnapping.

    BAILLONNE PAR UNE LARGE MAIN

     Arriva la période des récoltes et de la cueillette des produits sauvages. Les enfants ne rentraient des pâturages qu”à l”approche du crépuscule. Toute la journée, ils surveillaient moutons et chèvres sur les collines et les dunes les moins arrosées. Un soir, tandis que Tamtchi faisait rentrer le troupeau dans l”enclos d”épineux, une large main le bâillonna. Celui qui empêchait ainsi le garçon de crier, tenait une arme de l”autre main. Une voix gutturale murmura à l”oreille du môme : "te voilà une fois de plus entre mes mains. Si tu tentes de t”échapper ou de crier pour alerter les gens je te tue. Je réserverai le même sort à ton père et à ta mère. C”est fini pour toi, tu ne pourras plus m”échapper même si le monde entier venait à ton secours". L”homme qui proférait ces menaces n”était autre que Mohamed I. qui venait d”enlever pour la deuxième fois l”enfant de Tatchi.

    Plusieurs garçons qui avaient assisté de loin à la scène coururent annoncer à Tatchi que son fils venait d”être enlevé par Mohamed I. La mère se redressa précipitamment et se rua dans la direction indiquée par les enfants. Après quelques pas, elle entrevit dans la pénombre, Mohamed I. qui hissait Tamtchi derrière la selle d”un chameau. Elle assista impuissante au rapt de son rejeton. Le ravisseur et son otage se fondirent dans l”obscurité.

    Dès l”aube Tatchi, qui n”avait pas fermé l”œil toute la nuit, se leva pour aller avertir son cousin Intamat Ag Inkadewene. Elle lui relata les faits de la veille. Comme la première fois, son parent solidaire tenta de mobiliser l”administration. Le père de l”enfant alla informer le maire de Talataye, la commune d”où relève administrativement Mohamed I. Il rencontra à la mairie le chef de la fraction Karsossotane, un certain Mohamed, qui supervise le hameau de Alhassane Ag Kassoum d”où est parti Mohamed I.

    PROMESSE NON TENUE

     Le chef de la fraction Karsossotane possède une concession en banco à Talataye. Quand le père de Tamtchi eut fini d”expliquer les raisons de sa visite, Mohamed le rassura et s”engagea à lui rendre l”enfant kidnappé. Mais à une condition. Le petit ne lui sera rendu que lorsqu”il aura fini de crépir toutes les maisons et le mur de clôture de la concession du chef de fraction. Le malheureux père accepta cette condition en se persuadant que le chef de fraction allait honorer sa promesse.

    Le père, Alhassane Ag Iklinine, porté par l”espoir, se mit au travail. Pendant une dizaine de jours, il trima sans dételer pour achever l”enduit des maisons. Le dixième jour, il se vit offrir une chèvre, une brebis, du thé, du sucre et un bidon d”eau. Le chef Mohamed le congédia en lui disant : "tu peux rentrer chez toi. Quand nous retrouverons ton fils nous te l”enverrons". La mort dans l”âme, Alhassane Ag Iklinine rentra chez lui bredouille.

    Dans son hameau, sa femme Tatchi passait toujours son temps à chercher une aide. Elle frappa sans succès à de nombreuses portes. Elle continua de prier et de consulter les oracles pour retrouver son fils. Dieu entendit ses supplications une aube de 2005. Ce jour-là, il était 4 heures du matin. La lune brillait encore. Alhassane Ag Iklinine était en train de faire des prières subrogatoires. Tatchi allaitait son dernier bébé quand tout à coup une silhouette humaine s”arrêta devant le chef de famille et lui tendit la main sans prononcer le moindre mot. Alhassane Ag Iklinine leva le regard et reconnut son fils.

    Le père tout aussi silencieux prit son enfant dans ses bras. Il le serra fort contre sa poitrine et versa des larmes de joie. Puis il demanda à l”enfant qui n”avait toujours pas prononcé le moindre mot, d”aller saluer sa mère. "J”avais cru que mon fils était devenu un sourd-muet", a raconté plus tard Tatchi. A son tour, elle pleura à chaudes larmes. Mais en mère clairvoyante elle s”était gardée de pousser le moindre cri pour ne pas alerter d”éventuels poursuivants de son fils. Elle avait déduit que son enfant avait déjoué la vigilance de ses geôliers. L”émotion des retrouvailles passée, Tamtchi confirma qu”il avait fui le hameau de Mohamed I. situé à une journée de marche.

    Ne tenant pas à perdre son fils à nouveau, Tatchi attacha son bébé sur son dos, prit la main de Tamtchi et une gourde d”eau. Elle alla rejoindre son cousin Intamat. Au bout de trois jours et trois nuits de marche, elle le retrouva installé sur un nouveau site de transhumance. Elle présenta l”enfant et expliqua qu”elle ne voulait rester auprès de son cousin tant que son fils serait en danger d”être enlevé et contraint de servir des prétendus maîtres. Intamat comprit cette inquiétude de la mère et conduisit l”enfant devant les autorités locales qui assurèrent qu”elles le protégeraient.

    Deux jours après le départ de Tatchi, le kidnappeur était arrivé et avait demandé à voir son "esclave". Le père Alhassane Ag Iklinine lui apprit qu”il avait accompagné sa mère en ville. Mohamed I., fou de rage contre Tatchi, roua le mari de coups de cravache avant de le contraindre sous la menace d”un kalachnikov à le suivre à son campement. Au hameau de Mohamed, Alhasane Ag Iklinine travailla plusieurs jours à la place de son fils. Tous les matins, on lui demandait de révéler la cachette de celui-ci. Le pauvre père martyrisé répétait sans cesse que sa femme avait fui avec l”enfant.

    Un matin le "maître" Mohamed I. lui ordonna de s”en aller. L”esclavagiste avait appris que le grand frère de Tatchi cachait l”enfant et sa mère. Il se promit de régler définitivement cette affaire.

    (à suivre)
    G. A. DICKO

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