Dans l’édition N° 09 d’Option, nous avons fait un récit du trajet Bamako-Diboli, dans le cadre d’un carnet de voyage sur l’axe Bamako-Dakar-Bamako. Notre objectif est de voir toutes les souffrances racontées par les usagers de ce tronçon. Souffrances dans les cars, aux mains des policiers, gendarmes et douaniers des deux côtés. La suite…
Il est 17 h 33 quand notre car de Gana Transport qui a quitté Bamako à 06h du matin arrive à Diboli, à la frontière du Sénégal. Le village est séparé de Kayes par environ
17h 53. Pendant que je discute avec un Ghanéen qui m’avoue passer sa cinquième journée sur place pour « business » et détenir un (faux) passeport malien, je me rends compte que le car de Gana Transport est parti pour Kidira, me laissant en rade. Je pense d’abord à une plaisanterie. Mais non, le car est vraiment parti. Je me retrouve avec un passager sénégalais qui ne parle que wolof et un … apprenti oublié par le chauffeur. Alors, on caresse le macadam. Quatre kilomètres de marche, en slalom entre la centaine de « remorques », cars et voitures personnelles alignés. Le Sénégalais prononce sans arrêt des « Serigne Touba », profère des jurons et insulte. Nous tentons notre possible pour le calmer. Rien à faire. Le bonhomme n’aime ni marcher ni faire des exercices physiques ni suer surtout après avoir payé. Nous traversons le pont qui constitue la frontière Mali-Sénégal à pied sans qu’un chat ne nous inquiète ! Et nous arrivons à Kidira.
Je me pointe au bureau de douanes de Kidira où les douaniers sont aussi mal habillés que leurs collègues maliens. On se croirait dans un bazar tellement le désordre est insupportable. Je raconte au « commis » affalé dans son fauteuil que je n’ai rien à déclarer. En fait, les douaniers sénégalais salivaient déjà. Leurs indicateurs leur ont signalé la présence d’un jeune homme malien M.L. Traoré qui transporte environ 250 pièces de Bazin teint indigo et d’une autre dame qui a quatre malles d’habits. C’est le début de l’enfer ! M.L. Traoré doit sortir tous ses Bazin, les compter et les recompter, discuter, négocier, reprendre face à des douaniers qui bavent à l’idée des Cfa qu’ils allaient lui voler. C’était franchement dégoûtant ! La dame aux malles ne transporte finalement rien de valeureux à part quelques breloques. On lui demande de payer 20 000 Cfa. Elle n’a pas l’argent. Finalement, nous la laisserons à Kidira aux mains des douaniers sénégalais. Gana Transport lui a remboursé la différence puisqu’elle avait payé pour Dakar. M.L. Traoré paiera plus de 100 000 pour ses Bazin. Il est tenace et féroce le petit. Visiblement, les gabelous voulaient sa peau. Agé d’à peine 20 ans, il a tenu coriace son bout. C’était franchement pathétique de voir des passagers maliens bon teint se tenir du côté des douaniers sénégalais pour enfoncer leur compatriote. Des propos du genre « paie ce qu’ils veulent », « arrête de jouer les malins » ou « tu mérites qu’on t’emmerde » sont indignes mais sont bien sortis de la bouche de certains maliens. Une dame de Koulikoro s’est même improvisée experte auprès des Sénégalais pour perdre le jeune Traoré. « C’est du Malien tout craché, me jure le chauffeur, tu ne verras jamais les Sénégalais faire ça à un Sénégalais au Mali ».
Arrivés à 17h 33 à Kidira, nous ne quitterons la douane que quatre heures plus tard pour … la police des frontières du Sénégal. Je ne mange que du pain et des biscuits et boit de l’eau minérale. Trop peur de la diarrhée du voyageur et des “viandes bizarres”.
Les locaux de cette police des frontières et des étrangers sont en ville. Il faut laisser l’asphalte et trimballer le car dans les ruelles pour y arriver. Là, un adjudant sénégalais, la chemise déboutonnée et le ventre proéminent se met à la porte et saisit toutes les pièces d’identité. Nous sommes ensuite parqués comme du bétail (ou des malfaiteurs) dans la cour. Près d’une heure plus tard, on procède à l’appel. Les Sénégalais en premier et on leur remet leur pièce sans commentaires. Ensuite, ce sont les Maliens. Chaque malien doit payer
Mon voisin, le Tamashek noir, est descendu à Kidira. Une Sénégalaise prend place à mes côtés et me lance : « Vous les Maliens, vous êtes franchement malheureux. On ne vous respecte pas à l’étranger et on ne vous respecte pas dans votre propre pays. Une fois que nous, nous entrons au Sénégal, nous sommes en paix ! » J’écoute attentivement les deux et ne bronche pas. Je veux voir la suite des événements.
Après une heure au poste de police, nous reprenons la route. Direction : Tambacounda, située
Mercredi, le 23 juin 2010, 01h 42 du matin. Nous arrivons à Koumpentoum, à
Probablement informé par téléphone, la seule chose qui l’intéresse est le stock de Bazin du jeune M.L. Traoré. Il vérifie ce qui est écrit sur les papiers et ordonne de tout rouvrir pour recompter. Simple procédure de routine avons-nous pensé. Mais, non ! Le petit douanier, avec un tout petit « v » sur l’épaule veut passer pour un boss et un tyran. « Foutez-moi tout ça à la brigade et que ça saute ! » ordonne-t-il à son subalterne en se présentant comme « chef de brigade ». Je lui fais remarquer que pour un porteur d’uniforme, son langage est vulgaire et dénote un manque flagrant d’éducation. Il bafouille quelques mots et entre dans son bureau. « Votre D.G., le colonel Armand Nanga que je connais bien, n’aime pas ce genre d’impolitesse » ai-je ajouté. Il me « vire » et tourne les talons. Je ne bluffe pas, j’ai envoyé une lettre de protestation.
De petits malins s’invitent dans la conversation et demandent au jeune de « donner quelque chose ». Nous crions « non » ensemble. Le petit chef m’invite dans son bureau et les Maliennes m’encouragent à le harceler. Il commence, dans un français d’école primaire, à m’expliquer la fraude douanière. Malheureusement, son niveau d’instruction rudimentaire le poussait sans arrêt à se contredire. Après deux heures de bras de fer, les douaniers sénégalais de Koumpentoum qu’on dit les plus féroces rapaces du Sénégal, craquent et acceptent les « papiers » de Kidira. Nous pouvons remonter.
Le jeune M.L. Traoré vide le contenu de ses trois sacs et compte. C’est exactement ce qui est écrit sur les feuilles de Kidira. Mais les deux petits douaniers de village, aidé par un troisième qui fait irruption, ne veulent rien savoir. « Ils ont compté deux pièces comme une, impossible, c’est de la fraude ! » Je lui pose deux questions : Pense-t-il que les officiers de Kidira qui ont compté sont des idiots et en vertu de quel article du Code douanier conteste-t-il les décisions de ses collègues ? Il ne répond pas. Sarcastique, je lui lance : « Le Code de la douane est trop complexe pour que quelqu’un de peu lettré le comprenne et les abus de pouvoir en brousse, ça ne marche pas toujours ! » J’ignore les raisons de mon intervention, peut-être l’écoeurement, la colère.
L’atmosphère est tendue entre le petit groupe que nous avons formé autour de M.L. et les douaniers. Le « chef » commet une erreur en disant à son assistant, en wolof : « Il faut qu’on arrive à lui piquer son affaire ! » Les douaniers s’acharnent donc pour un des deux motifs : soit voler à Traoré son stock ou lui soutirer de l’argent. Trop gourmand le petit, au moins dix personnes parmi nous comprennent très bien le wolof. Et je me charge de lui envoyer un « satiè » (voleur) à l’oreille.
Dans le car, les allées sont de plus en plus encombrées de déchets et la puanteur provoquée par les sudations abondantes envahit l’habitacle. Il nous faut du vent. Et la route Tamba-Kaolack sur laquelle nous roulons est une des meilleures d’Afrique. Aucun nid de poule, aucune bosse, comme du papier glacé.
Nous arrivons à Kaffrine, à environ
Les douaniers de Kaffrine disputent la rapacité à ceux de Koumpentoum. Eux aussi, après une heure d’acharnement sur le jeune M.L. Traoré n’auront pas un sou. J’interroge le douanier « Pourquoi fouiller à Kidira, Koumpentoum, Kaffrine ? Et ces histoires de libre circulation des biens et des marchandises et les milliards que nous coûtent les CEDEAO, UEMOA, etc. ? » Il me répond que je verrai au retour. Dans toute la sous -région, les douaniers, policiers et gendarmes maliens ont la réputation la plus salace. « Ils sont corrompus et irrécupérables, mon ami » jure-t-il. J’aurai le temps de vérifier, au retour. Pour le moment, cap sur Kaolack. Il est presque 06h du matin et ça fait exactement 24 h que nous sommes partis de Bamako, pour un trajet total de
Une quinzaine de kilomètres et nous voilà encore à un poste douanier, entrée de Kaolack. L’agent de douane demande encore de « descendre les valises et sacs ». Mon Dieu, Dakar se trouve à près de
Les passagers sont fatigués, éreintés, las. Les arrêts, fouilles et harcèlements se multiplient. Chaque petit chef fait de son mieux pour montrer son petit pouvoir. Cependant, nous aurons du baume au cœur en constatant au moins que les Sénégalais respectent leurs compatriotes et respectent l’autorité. Car, à Kaolack, un lieutenant de la police sénégalaise embarquera avec nous. Sur les presque
Je me tourne vers une malienne d’un certain âge pour connaître ses états d’âmes après cette odyssée. Elle est fataliste : « Mon fils, j’ai fait le train pendant 20 ans et depuis 2002 je suis sur la route. Dieu sait que ces porteurs d’uniforme postés çà et là et leur famille vivent sur du haram. Tout ce qu’ils m’ont pris dans la vie, je demande à Dieu de leur demander compte demain. Ntè yafa abada ! Nous sommes des miskine et ils en profitent. Qu’ils profitent aujourd’hui et Allah nous rendra justice demain. Je ne peux pas laisser cette route, sinon comment vais-je survivre ? »
Il est midi quand le car de Gana Transport se gare derrière le stade de l’Amitié, la place que leur a octroyée le président Abdoulaye Wade pour calmer la grogne des syndicats sénégalais contre les transporteurs maliens. Nous avons passé exactement 30 heures sur la route pour parcourir
OPTION
Dans le prochain épisode, nous verrons que les Maliens qui reviennent du Sénégal sont encore plus abjectement traités par les douaniers maliens que les douaniers sénégalais. Pourquoi ? Parce que cela se passe dans leur propre pays, là où ils sont censés être respectés et en sécurité