Un mariage forcé, un mari non aimé et une union plus subie que vécue. Des destins de jeunes filles se brisent ainsi avant de commencer l’âge adulte
C’est un sujet tabou devant lequel les résistances sautent de plus en plus, surtout chez les femmes. La frigidité, caractérisée comme l’absence de plaisir, pendant les relations intimes, toucherait selon certaines statistiques datant des années 80, plus de quarante-six pour cent de la gent féminine de par le monde. Depuis, il est certain que ce pourcentage a dû croître pour qui connaît la prolifération des déviations sexuelles qui ont cours aujourd’hui et qui très souvent produisent des effets bloquants. Dans notre société à nous, nous ne disposons pas de chiffres fiables sur le phénomène, mais l’ampleur de la frigidité dans le milieu féminin malien ne fait aucun doute. Il suffit d’écouter les confidences de nombreuses femmes qui avouent leur mal-être conjugal et qui se plaignent de la conduite aussi bien de leurs époux que de leurs amants. Les plus averties, comme notre confidente Mâh, établissent le rapport de cet handicap féminin (car c’en est bien un) comme touchant, à un moment où un autre de la vie, plus de quatre-vingt dix pour cent des femmes. Nous précisons bien “à un moment ou à un autre de leur vie”, car les situations ne sont pas irrémédiables et il suffit souvent de rencontrer le bon partenaire, qui soit tout à la fois attentionné et expert pour qu’une femme se métamorphose. Mais avant que cela ne survienne, le calvaire pour certaines est parfois difficile à vivre. Etre une amante ou une épouse apparemment sensuelle et physiquement comblée par la nature, mais en réalité froide à l’intérieur représente une situation vécue par beaucoup comme une imposture. Mais y a-t-il d’autres choix que de feindre l’extase quand on veut garder son homme ?
Mariage arrangé _ Cependant le conflit interne entre le souhait de rester fidèle et le désir de connaître le vrai plaisir est tellement âpre que le moindre faux-pas du partenaire masculin peut faire basculer la femme dans l’interdit. Ce sujet n’est pas des plus faciles à aborder, mais j’avais deux interlocutrices de choix, ma vieille connaissance Mâh et son amie K.M. Je savais que plus nous avancerions dans les confidences, plus les deux femmes se laisseraient aller. D’ailleurs je souhaitais qu’elles restent ensemble pour s’encourager mutuellement à parler. Ce jour-là, notre conversation tournait sur un visage particulier de la frustration féminine, celui du mariage forcé. Le sujet constituait du pain béni pour mes confidentes qui se bousculaient presque pour donner des exemples édifiants. Mâh se dévoua d’ailleurs pour commencer en parlant de sa propre expérience. Car elle, la femme de caractère, avait commencé par être une adolescente brimée. “Je sais, lança-t-elle, que tu connais la plupart des malheurs qui me sont tombés dessus dans ma vie de femme, d’épouse et de mère. Pourtant tu ignores comment j’ai été enfermée dans une union que je n’avais pas désirée et quelles furent pour moi les conséquences de cette situation. J’avais à peine dix-sept ans lorsqu’on me donna en mariage. J’étais à l’époque au collège et j’étais loin de me douter que les promesses faites par mon père à un de ses amis allaient gâcher le début de ma vie de femme. Mon géniteur m’obligea d’abord à abandonner mes études, car celui à qui il me destinait manifestait un empressement certain à se trouver une compagne, ayant perdu sa première femme morte en couches.
Karim, comme il s’appelait, avait largement dépassé la quarantaine. Il avait une bonne situation en tant que cadre après l’indépendance. Mais ses tempes grisonnantes faisaient que je voyais surtout en lui “un petit oncle”. Par la suite, j’allais pour mon plus grand déplaisir découvrir que c’était un autoritariste, un homme raide, peu accommodant, bien dans la ligne des doctrinaires qui fourmillaient à l’époque. « Mes noces décidées à quelques jours de la fermeture des classes et fixées au début des vacances, je ne retournais plus au collège. Aujourd’hui encore, il m’arrive rétrospectivement d’en vouloir à mon père pour avoir ainsi sacrifié ma jeunesse de cette manière au nom de l’amitié. L’oncle de Karim était son voisin et son camarade de promotion. Belle et bien faite comme j’étais, je ne méritais pas de devenir l’épouse d’un homme qui pouvait à la limite être mon père à cause des vingt-trois ans qui nous séparaient. Même ma mère que je n’avais jamais vu se rebeller contre son mari, montra de la réticence sur cette union arrangée. Le petit frère de mon père se révolta carrément, mais force resta à la loi et mon père était cette loi. Toutes les fibres de mon corps se refusaient à un mariage arrangé et lorsque je me retrouvais à ma première nuit de noce dans les bras de cet être imbu de sa personne, j’étouffais littéralement de rage contenue et de douleur. Mon mari triompha sans ménagement de ma virginité avant de faire venir un couple de griots et leur annoncer qu’il m’offrait une génisse. Je ne rappelle plus pendant combien de nuits j’ai pleuré silencieusement, mais une de mes tantes fit remarquer que j’étais au bord de l’apathie et qu’il fallait exiger de mon mari qu’il fasse des efforts pour me procurer un peu de joie. J’ignorais comme cela était possible, car j’étais pratiquement sans âme. Mon époux multiplia alors les invitations à dîner à domicile avec ses collègues, pendant pratiquement une année, croyant que cela contribuerait à mon épanouissement. Je ne manquais de rien, c’est vrai, mais je ne demandais rien, non plus. Au lit j’étais encore plus froide. Un jour que mon époux me fit la remarque de mon peu d’enthousiasme, je ne pus n’empêcher de lui répondre sèchement : “Tu as payé pour ça, non ? Alors vas-y”. Je constatais que ma remarque acide humanisa un peu mon époux, puisqu’il commença à me demander quelques fois “si j’en avais envie”. Pour ne pas lui répondre, je lui tournais le dos et silencieusement mes larmes coulaient. Alors il refrénait ces nuits-là ses ardeurs mais c’était pour, deux jours plus tard, me prendre pratiquement de force.
C’étaient les moments que j’appréhendais le plus. Cette hantise disparut après ma première maternité. Je venais d’avoir vingt ans. Ensuite il s’installa en moi une espèce d’indifférence pendant les actes conjugaux tandis que mon mari semblait toujours s’émerveiller d’avoir une épouse comme moi. Physiquement je m’étais épanouie et je devenais l’objet de nombreuses attentions. Les regards concupiscents de ses amis et collègues lors des réceptions auxquelles nous participions me flattaient intérieurement. Mais cela ne mettait aucune lumière dans ma vie tandis que mon mari s’installait lentement dans la jalousie. Sans le faire exprès j’avais réussi à susciter ce sentiment en lui. Il décréta que je n’irai plus aux réceptions après ma seconde maternité. Quand il y allait, il me revenait puant l’alcool. Le phénomène alla en empirant, au point que je me sentais en danger avec lui certaines nuits. Maintenant c’était de la véritable répulsion que j’éprouvais pendant nos rapports conjugaux, et je me confiais à une de mes tantes qui m’aida à mieux cerner la situation. Je devais fréquemment brûler de l’encens pour mieux respirer dans ma chambre qui empestait de vomissures de mon époux. Alors que mon mari s’avilissait, mon autorité s’affirmait sur lui et je le menaçais à plusieurs reprises de divorcer. Puis de guerre lasse, je finis par me résoudre à cette extrémité. Je dois reconnaître que mon père se montra très compréhensif pour une fois. Avec Karim, ma vie intime avait été le pire des échecs qu’une femme puisse connaître. J’étais frigide, mais il était écrit que pour moi les limites du pire pouvaient être reculées.
Le drame de Sokona _ Après mon divorce, j’épousais en secondes noces celui qui était mon petit ami quand j’étais collégienne. Je pensais revivre ainsi après l’épreuve qui m’avait été imposée. Tout se passa au mieux pendant quatre ans. J’eus deux filles de ce second mariage, mais j’avoue que le plaisir physique que j’espérais en tirer ne me fut pas donné. Jamais avec mon nouvel époux, je n’entendis la foudre et le tonnerre dont m’avait parlé une de mes amies. Pourquoi ? De cela nous parlerons une autre fois. Mais à travers mon exemple, tu peux voir comment peut être traumatisée très tôt une jeune fille. Il suffit d’une entrée ratée dans le mariage, d’un époux imposé et incompréhensif, pour que l’union devienne cohabitation et que dans cette cohabitation la chair devienne triste”. Mâh se tut un long moment comme pour laisser s’évanouir cette partie de sa vie d’où en tant que femme elle ne tirait pas le moindre bon souvenir. K.M, comme pour ne pas laisser cette réflexion amère s’allonger, intervint pour évoquer le cas de Sokona, une jeune femme que je ne connaissais pas, mais qui faisait partie de leur groupe d’amies. Mâh se secoua pour raconter ce destin, lui aussi tout à la fois particulier et répandu. “Sokona, se souvint-elle, que nous affublions du sobriquet “Ni” à cause de son allure de fille menue au début des années 60, n’avait que treize ans quand son père la donna en mariage au fils d’un de ses amis installé en Côte d’Ivoire. Cela fit d’elle la plus jeune mariée de notre groupe et franchement à l’époque on se demandait avec inquiétude comment son mari allait faire une femme de la chétive Sokonani. Nos craintes s’avérèrent fondées, car sa tante qui l’avait accompagnée séjourna près de six mois à Abidjan avant de revenir. Sokona, raconta-t-elle, n’avait pas cessé de pleurer durant les quatre premiers mois.
Elle n’aimait pas ce gros balourd de commerçant de colas à qui on l’avait donnée, et pire elle en avait une peur bleue. Durant la première semaine, l’homme ne put d’ailleurs consommer le mariage. Sa jeune épouse étant si frêle et si étroite que lui-même se rendait compte qu’en la forçant il pouvait provoquer l’irréparable. Les observateurs qui étaient là en convinrent tous et il fut décidé de procéder chirurgicalement à la perforation de l’hymen de la malheureuse. Laquelle resta très longtemps sous observation médicale. Le docteur conseilla au mari de laisser à sa jeune épouse un mois de récupération, si bien que ce ne fut que près de trois mois après son mariage que notre amie fut faite femme par son mari. Cela, on le sut au retour de sa tante. La suite, ce fut Sokonani qui nous le raconta lorsqu’elle nous revint sept ans plus tard avec ses deux enfants. Elle était en abandon de domicile conjugal et avait filé en catimini, presque sans bagages en se faisant aider par un ami de son père installé à Bouaké. Le calvaire de Sokonani commença lors de sa première nuit avec un homme pour qui, rappelons-le, elle n’éprouvait qu’une répulsion mêlée à la peur. Le commerçant ne mesurait qu’un mètre soixante dix huit, mais il devait peser à l’époque, aux dires de notre amie, plus de cent kilos. Sans doute impatient de consommer la vierge qu’on lui avait envoyée comme un mouton de sacrifice, il l’épuisa pratiquement. Sokona eut beau hurler, rien n’y fit. Il s’y prit avec une telle force qu’elle s’évanouit. “C’est une boucherie que j’ai subie”, dira notre amie pour dépeindre la situation. Il a fallu la ramener à l’hôpital où elle resta une bonne semaine alitée. Cette fois le docteur dut faire mention de ce cas dans un rapport confidentiel qui, parvenu au chef-lieu de préfecture, permit à l’administration d’envoyer un observateur.
Les tractations se firent discrètement. L’homme interrogea Sokona, hocha la tête et s’en alla sans faire d’autres commentaires. Les vieux tinrent conseil et l’ami du père de Sokona, venu de la grande ville, fit des recommandations pour que sa filleule soit ménagée. Notre amie au bout de toutes ces interventions bénéficia à sa sortie d’hôpital d’une trêve d’une dizaine de jours avant de subir à nouveau les assauts de son époux. Ce dernier était devenu comme insatiable et toutes les recettes des vieilles du quartier pour atténuer le calvaire de Sokonani s’avérèrent sans effet. La malheureuse crut que sa première grossesse la dispenserait des assiduités de la brute, mais c’était mal connaître l’homme. La jeune femme s’en plaignit auprès de l’imam du quartier. Sans aucun effet. On lui fit une césarienne pour le premier accouchement et le second à Abidjan. Après cinq ans de mariage et un second enfant, le mari de Sokona devenait intenable et ses sollicitations tournaient à l’obsession. Comme ses protestations ne rencontraient pas d’écho, Sokona se résolut à fuir et mit près de six mois à préparer son coup. Le mari vint la chercher après sa fuite. Mais à la réunion de famille qui devait trancher son cas, la jeune femme éclata en sanglots et déballa en bonne partie le calvaire physique qu’elle subissait. Toute l’assistance fut émue, d’autant plus que l’époux présent ne chercha pas à nier les faits. Il évoqua seulement pour sa défense le “besoin irrépressible” qu’il nourrissait pour sa femme. C’est ce jour là que le père de Sokonani consentit à la séparation. Devenue une femme libre, notre amie, traumatisée par la terrible souffrance morale et physique subie durant sept ans, mit cinq bonnes années avant d’accepter d’aller avec un homme. Dans son cas il ne vient à l’esprit de personne d’effleurer la question de plaisir physique. Sa frigidité étant devenue un fait qu’on croyait irréparable tellement Sokonani avait la hantise des sollicitations des mâles”.
Froideur et cynisme _ Mâh s’interrompit et un silence pesant régna pendant deux bonnes minutes, comme pour nous permettre de digérer le drame de leur amie. La nuit tombait et K.M avant de s’en aller, me promit de revenir un peu plus tard pour me livrer d’autres cas intéressants. Mâh regarda son amie s’éloigner avec un air pensif : « K.M est une belle femme n’est-ce pas ? dit-elle. A la voir on ne croirait pas qu’elle fut elle aussi est victime du mariage forcé. Elle va passer sûrement chez sa copine Anta pour la “briefer” sur les violences faites aux femmes qui entrainent la frigidité dont on parle actuellement. Et elle rappliquera aussitôt après. Je vais profiter de ce laps de temps pour te raconter ce qui lui est arrivé. K.M. malgré ses dehors de femme à la froide intelligence a subi l’épreuve du mari imposé, mais elle au moins sut faire payer ses désagréments au prix fort à son époux. Ce dernier, un nommé Drissa, était à l’origine un ami d’un de ses petits oncles et aimait vraiment K.M. Pour l’avoir, il dut recourir à toutes sortes d’émissaires qui vinrent plaider sa cause. Il accepta qu’elle termine ses études et ait un emploi de secrétaire au milieu des années 60. Il avala beaucoup de couleuvres, mais sa persévérance finit par payer. K.M, après avoir repoussé les assauts pendant plus de quatre ans dut, sous l’injonction de sa mère, faire contre mauvaise fortune bon cœur. Or elle était déjà très amoureuse d’un autre homme que son futur époux connaissait d’ailleurs. Il se lia d’amitié avec celui-ci et réussit on ne sait comment à lui faire abandonner la place. Comme son rival était un étudiant en France, ce ne fut pas trop compliqué. K.M. exigea beaucoup de choses de son fiancé pour le décourager, mais rien n’y fit, il tint bon. Alors obligée de se plier elle accepta du bout des lèvres l’annonce de la date de son mariage.
Drissa qu’on n’appelait que par son sobriquet “Dri” percevait l’hostilité de sa fiancée qui, intérieurement, lui en voulait de s’être immiscé entre elle et son amoureux. A cause de tout cela, ce fut dans l’aigreur totale pour K.M. que furent célébrées les épousailles. La jeune fille d’ailleurs résista durant toute sa première nuit sous la moustiquaire et une bonne partie du second jour. C’est de guerre lasse et complètement anéantie à force de lutter qu’elle céda sans chaleur. Son mari n’en eut cure. Il fit d’elle une femme et la virginité de notre amie fut pour lui une immense surprise en même temps qu’un éblouissement. Il s’était fait des idées préconçues et renforcées par la résistance de K.M. Dri devint encore plus amoureux et K.M. dut par la suite, sûre de son autorité, réguler leurs rapports. Elle fixa des “barèmes” qu’elle révisait à la hausse chaque fois que “Dri” la gâtait avec un cadeau de prix. D’ailleurs, de toutes les épouses de ce dernier car il en avait deux autres, elle fut la première à posséder une voiture et des bijoux de valeur. Tout cela offert par un mari qui s’élevait dans la hiérarchie de l’administration. A l’époque je la connaissais déjà, mais on ne se fréquentait pas trop. Plus tard elle me confia que pour subir un homme dont on n’a aucune envie, il suffit de compter les ondulations des tôles ou de s’imaginer en train de compter de l’argent avant qu’il ne termine. En général avant d’arriver à cent dans le premier cas et d’atteindre le million dans le second (en comptant par tranche de dix mille) la corvée s’est écoulée. Mais si tout ça parait un peu long, K.M. conseillait de pousser un ou deux gémissements éloquents. L’effet d’accélération est garanti, assure-t-elle. K.M, qui professait un total manque d’intérêt pour l’acte conjugal, usa souvent de ses subterfuges pour dissimuler sa frigidité. Il lui arrivait même de faire monter la tension chez son époux en se promenant dans la chambre avec un pagne léger attaché au-dessus de sa poitrine. Cette tenue ne cachait rien de sa morphologie et mettait en valeur sa superbe chute de reins dont elle connaissait l’effet sur son époux. Mis ainsi en condition et obligé d’attendre que sa femme vienne à lui, l’homme ne perdait pas de temps dans les préliminaires et ne s’éternisait pas dans l’essentiel. Les remords assaillaient parfois K.M. devant son propre cynisme, surtout après qu’elle ait eu ses deux enfants. Mais il suffisait qu’elle se rappelle qu’elle avait été mariée contre son gré pour que ces scrupules s’évanouissent. Physiquement, elle s’était épanouie et aucun homme n’échappait à son pouvoir de séduction. Mais l’admiration masculine ne lui disait rien du tout et je crois qu’un moment elle s’était mise à haïr tous les hommes, leur faisant ainsi payer sa frigidité. Cependant elle resta malgré sa froideur intérieure une épouse fidèle et cela pendant longtemps. Une autre fois je te raconterai comment et pourquoi elle quitta le droit chemin ».
Un traumatisme durable _ Je demandais à Mâh quel aspect du mariage forcé traumatisait les femmes au point de les rendre frigides. Ce n’est pas vraiment l’absence de sentiment au départ qui constitue un obstacle insurmontable, reconnut-elle. Il y a des ménages qui se sont retrouvés au fil du temps, alors qu’un mariage arrangé les avait assemblés. Pour une femme, la cassure se fait dès les premières unions. L’homme très souvent s’y prend sans ménagement et sans aucune attention pour sa partenaire. Sa brutalité déclenche un traumatisme durable qui fait que sa compagne appréhende désormais tout acte intime. Lorsque ce dernier cesse d’être pour elle une source de douleur, il devient un motif d’indifférence. Elle n’y recherche plus aucun plaisir et met toute son imagination à fuir le mâle. Même le fait de devenir mère ne change fondamentalement rien à cette attitude. Je hochais la tête pour faire comprendre à Mâh que j’avais saisi, mais elle ignora ma mimique. « Tu connais au moins Ada ? demanda t elle. Il y a trente-cinq ans, quand nous étions jeunes filles, elle était comme aujourd’hui : grande et forte. Sa force physique l’imposait à tout le groupe et son aspect masculin n’attirait pas trop les hommes. On se méfiait d’elle, ce qui lui permit d’asseoir une autorité que nul ne lui contestait. Ada pensait vivre paisiblement son adolescence, elle ignorait qu’elle plaisait à un ami de son oncle, qui en catimini régla son mariage avec elle sans qu’elle s’en doute. C’était un homme d’une autre génération, il était de presque trente six ans l’aîné de sa future (et seconde) épouse et nous l’appelions tous le “vieux”. Un jour, que nous décidions d’une sortie à la chaussée à Sotuba, les tantes de Ada la firent appeler pour la consigner dans la chambre.
Là on l’informa qu’on allait lui “laver la tête dans trois jours”. Ce qui signifiait qu’elle était destinée à un homme. Ada fut mise en “chambre de diarrhée” (konoboliso) sans qu’on lui dise le nom de son futur époux. Ce ne fut que le jour du mariage qu’on daigna lui révéler cette information. Ce matin-là, un immense hurlement, qui secoua tout le quartier, partit de la maison de notre copine. Ada eut beau se débattre, comme une génisse rétive, on l’amena au crépuscule à son futur époux dont le domicile était distant d’à peine trois carrés. Les roulements de tam-tam accompagnant le cortège couvraient à peine les hurlements de Ada. Elle en devint aphone, la pauvre, et garda les séquelles pour la vie. Nous, les amies, ne comptions pas socialement à l’époque et comme elle était la première d’entre nous à être mariée, nous ne pouvions que nous mettre aux nouvelles en ouvrant nos oreilles. Ainsi nous apprîmes, (et notre amie nous le confirmera une année plus tard), qu’il fallut le renfort de bras vigoureux pour maîtriser Ada afin que son mari de cinquante ans puisse se comporter en époux cette nuit là. Il en alla ainsi pendant trois nuits. Finalement on fit à Ada des menaces de représailles si horribles qu’elle s’assagit au bout d’une semaine. Le mariage de Ada a fortement marqué nos esprits et certaines d’entre nous en vinrent à croire que nous subirions toutes le même martyr.
Les “lettrées” du groupe dont j’étais usèrent de leur pouvoir de persuasion pour expliquer, que cela ne se passait pas toujours ainsi. Le mari de Ada, expliquions-nous, était un freluquet et il lui fallait une aide puisque notre camarade était physiquement deux fois plus forte que lui. Mais nos propos rassurants ne suffisaient pas à calmer nos autres amies. Ces dernières, et nous avec elles, nous fûmes émues quand nous apprîmes, que Ada avait connu une alarmante hémorragie. A sa sortie de la chambre nuptiale, notre amie paraissait certes transfigurée et révélait une féminité que beaucoup ne lui connaissaient pas. Mais en même temps on la sentait plongée dans un état de prostration inquiétante. Un an après comme elle n’était pas toujours enceinte, son mari épousa une troisième femme.
C’est après cela que nous vîmes plus fréquemment Ada, qui nous raconta ses malheurs. On la sentait aux bords des larmes quand il était question d’enfants. Une d’entre nous fit alors remarquer qu’Ada ne pouvait pas tomber enceinte, puisqu’elle-même racontait qu’elle repoussait violemment son mari quand celui-ci entrait dans la phase cruciale. En réalité notre amie ne voulait pas faire d’enfant à un homme qu’à la limite elle le haïssait. Mais comme les murmures de ses tantes et belles-sœurs s’amplifiaient sur la question, elle consentit à abandonner ses rebuffades conjugales. L’ironie de l’histoire fut qu’elle tomba alors en état de grossesse tandis que sa deuxième coépouse mettra plus de dix ans à en avoir un enfant. Ada fut et demeure encore une épouse sans tache. Son “petit vieux” est décédé il y a maintenant six ans. Ada ne s’est pas remariée et n’en éprouve même pas le besoin. Le plaisir tel que nous le lui avons décrit, elle ne l’a jamais connu. Le jour où elle nous confia qu’il lui était arrivé de suivre les contes de Djélibaba (son émission préférée) pendant que Bouamara « faisait son office », nous avions compris que sa frigidité était irrémédiable. Comme Mâh terminait son récit, K.M. arriva. Et demanda de parler du cas de Koïra qui, selon son expression est “ébouriffant”. Mais ma confidente était un peu fatiguée des longs échanges que nous avions eus et elle tenait à se retirer.
(à suivre)
TIEMOGOBA