A.D. se sentait irrésistiblement attirée par les motos. Et n’eut de cesse avant d’en enfourcher.
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rnLa marée pétaradante et « fumante » prend possession du district de Bamako dès les premières heures du jour et elle fait rouler ses vagues jusque tard dans la nuit. Dire que Bamako est submergée par les « deux roues » revient aujourd’hui à énoncer la plus flagrante des évidences. A chaque feu tricolore, la colonne de voitures est littéralement" étouffée" par des grappes de motocyclistes. Notre capitale, selon des estimations sans doute incomplètes, compterait aujourd”hui environ 300.000 motos de toutes les cylindrées et de toutes les couleurs. Les fameuses Djakarta viennent en tête, suivies des Yamaha 100, des Yamaha Mate et des Dragons que talonnent d’autres marques en train de se faire un nom.
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rnCes engins constituent les éléments incontournables du quotidien urbain malien et sont même en train de s’imposer dans des localités pourtant enclavées du pays. Il est difficile de trouver aujourd’hui une concession à Bamako où il n”y a pas au moins une moto, voire deux ou trois. Les marchés du District offrent une gamme extraordinaire de choix et les acheteurs peuvent désormais se ravitailler en fonction de l’épaisseur de leurs bourses. Seul le téléphone portable a vu son accessibilité ainsi bouleversée en un laps de temps aussi bref. Le revers de la médaille est facile à deviner. La plus grande facilité à acquérir une moto fait que beaucoup de ceux qui y accèdent se laissent griser par leur nouvelle acquisition.
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rnA TOMBEAU OUVERT :
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Autrefois, un jeune faisait son apprentissage du « deux roues » en passant par le vélo et le cyclomoteur de petite cylindrée. Aujourd’hui, il est projeté sans aucune préparation sur un monstre rugissant et nerveux.
rnRien d’étonnant donc si le chiffre des accidents de la circulation a littéralement explosé, surtout ceux provoqués par les Djakarta ou les Yamaha. Le spectacle offert par ces accidents est très souvent effrayant. Pourtant ces drames devenus courants n’incitent pas à la prudence les conducteurs, pour la plupart très jeunes. Ils continuent à rouler à tombeau ouvert, en piétinant les règles élémentaires du code de la route. Et en bravant les agents de la circulation, dont les Bamakois déplorent l”effectif insuffisant.
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rnIl y a juste une semaine, votre serviteur regardait le ballet des engins au carrefour du Centre international de conférences. L”agent de service s’essoufflait à mettre de l”ordre dans la circulation. Il se répandait en imprécations sur ces jeunes qui paraissaient vouloir provoquer leur propre mort. A peine avait-il lancé ce commentaire qu’un jeune homme d”une vingtaine d”années, roulant à tombeau ouvert (ce qui était bien le cas de le dire), venait heurter de plein fouet un minibus et se trouvait lui-même projeté sur le pare-brise d”une autre voiture. Son engin (une Yamaha 100) s”était littéralement disloqué sous la violence du choc. Aux dires des témoins, le jeune homme avait perdu le contrôle de sa moto en abordant le tournant du rond-point à une vitesse excessive.
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rnNous ne savons pas ce qu’il advint finalement du jeune imprudent, mais sa conduite nous a remis en mémoire un triste épisode survenu il y a dix jours en Commune VI. La principale protagoniste en était une adolescente de 13 ans qui s’appelait A.D. Sa grand-mère, qui habitait Bamako, s’était retrouvée fort dépourvue dans l’entretien de sa maison. Elle avait donc demandé à sa fille unique mariée au village de lui envoyer sa fille aînée A.D. afin que cette dernière l’aide dans ses travaux ménagers. La vieille dame, âgée d”un peu plus de la soixantaine, n”avait eu qu’à se féliciter de l’arrivée de la fille. Bien éduquée, ne rechignant pas à la tâche, la petite se chargeait de tout ou presque, à la satisfaction de sa logeuse.
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rnUN FAIBLE POUR LES DEUX ROUES :
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La très jeune fille était en outre respectueuse et appréciée de tout le voisinage, avec lequel elle vivait en bonne entente. La jeune villageoise nourrissait cependant une lubie que personne ne comprenait. Elle avait un faible pour les engins à deux roues, alors qu”elle n”y connaissait rien. Elle profitait de la moindre occasion pour essayer d”apprendre à conduire une moto. Pour quoi faire ?, demandaient, intrigués, les autres. La petite se contentait de dire que cela lui plaisait simplement. Cette explication lui valait le refus de ses interlocuteurs. Pourtant, le destin lui permit d’arriver à ses fins.
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rnLa chose produisit au début de ce mois. Ce jour là, comme d”habitude, A.D. passa presque tout son temps à faire des travaux ménagers pour sa grand-mère. En début de nuit, elle demanda à sa meilleure copine du quartier de l”accompagner au marché pour effectuer des achats personnels. Sur le chemin du retour, elle se plaignit de violents maux de tête. Son amie, alarmée, rebroussera chemin pour aller lui chercher des comprimés. Sans perdre de temps, A.D. prit les cachets. De retour à la maison, sa grand-mère lui demanda de se reposer, le temps que les douleurs passent.
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rnLa jeune fille se coucha vers 20 heures et demie. Elle ne se réveillera qu”aux environs de 23 heures. Elle prit alors son dîner. Puis ne ressentant aucune envie de sommeil, elle rejoignit ses amies qui bavardaient sous la lumière d’un lampadaire public. La joyeuse causerie des jeunes filles sera interrompue par l”arrivée d”un jeune homme bien connu dans le quartier. Ce play-boy local d”une trentaine années, du nom de B.S., chevauchait une Yamaha 100. Il vint se garer à grand bruit à côté de A.D. et de ses copines. Comme si elle n”attendait que cette aubaine, la jeune mordue des motos demanda à BS de lui passer son engin pour effectuer un tour. Les copines de la fille s’interposèrent aussitôt avec véhémence. Elles enjoignirent à B.S. de refuser cette faveur à A.D. qui n’avait jamais enfourché de moto de toute sa vie.
rnDans un premier temps, le jeune homme suivit ce conseil. Mais il en fallait beaucoup plus pour décourager A.D. qui revint inlassablement à la charge. B.S. finit donc par céder. Cependant il mit une condition. A.D. ne serait pas seule sur la moto. Il l”assisterait en restant assis derrière elle et lui apprendrait ainsi à conduire. La jeune fille se hâta de donner son accord.
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rnPARTIE EN TROMBE :
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Elle prit donc place devant le conducteur et empoigna le guidon. Le jeune homme fit démarrer l”engin devant les copines très inquiètes. Ce qui se passa ensuite ne put être expliqué avec exactitude. Il est bien possible que B.S. ait imprudemment abandonné la maîtrise de la poignée d’accélérateur à son apprentie. Toujours est-il que la moto démarra en trombe et se mit à remonter la rue à toute vitesse. La jeune A.D. prit peur et se mit à crier à gorge déployée, suppliant B.S. de freiner. Mais peine perdue. Le jeune homme avait perdu toute maîtrise de son engin et sa position ne lui permettait pas de voir clairement la route.
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rnLa tragédie survint à environ 200 mètres du point de départ. Le bolide percuta violemment un camion-benne garé au bout de la rue. La jeune fille succomba sur le coup. Les médecins décèleront plus tard une fracture du crâne. Le jeune B.S. s’en tirera avec une jambe cassée et de nombreuses égratignures au visage. Sa moto était devenue un tas de ferraille irrécupérable. Le plus dur fut d’aller annoncer à la grand-mère, puis à la mère de A.D. la fin absurde d’une jeune fille qui n’avait eu d’autre malheur que celui d’aimer les motos. Sans savoir que ce serait sa passion inexplicable qui amènerait sa fin.
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rnMh.TRAORÉ
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