Le jeune mendiant dormait à poings fermés sur le bord de la route. Un spectacle paisible qui inspira pourtant des pensées criminelles à un dément
Les malades mentaux pullulent dans les rues de Bamako. Il y a ceux que l”on remarque d”emblée exhibant tous les signes de la démence et il y a les autres qui affichent une normalité sous laquelle bout la marmite.
A certains carrefours, ils ont totalement colonisé l”espace public. Il y a quelques semaines encore l”entrée de l”autogare de Sogoniko était leur domaine réservé. Un malade mental a élu domicile à ce carrefour. Il a rassemblé sur son territoire des milliers d”oripeaux, de bouteilles vides, des restes de repas et des détritus de tous genres. Les Bamakois sont coutumiers de ce genre de spectacle. Ils croisent tous les jours sur le pont Fahd, une femme à la tête rasée qui passe son temps à faire la navette entre les deux rives du Niger. A Bacodjicoroni, à quelques encablures de là, sur un espace privé une autre folle a constitué une montagne de déchets plastiques, de ferraille, d”os, etc. Lorsqu”un jour un incendie a éclaté sur son "domaine", elle n”a pas hésité à menacer de mort les enfants qui venaient jouer chaque jour près de son pré-carré.
Le fou qui a fait irruption dans l”actualité des faits divers est connu des usagers de la "Route des 30 mètres". Il campe aux environs de la Tour de l”Afrique. Beaucoup l”ont aperçu, les pieds enveloppés dans d”énormes "chaussettes" faites de centaines de morceaux de tissu. Il porte en permanence sur les épaules une charge non identifiée. Et n”arrête pas de monologuer dans un français impeccable. L”homme crie sans cesse le nom de "Bruno Mario". La police lui a donc collé ce sobriquet.
"Bruno Mario" serait presque sympathique s”il ne venait de commettre l”irréparable. Lundi dernier, vers 6 heures du matin, il croisa sur son chemin un jeune mendiant de 22 ans qui dormait à poings fermés sous un panneau publicitaire au bord de la route. Quelle mouche a piqué le malade mental ? Allez le savoir. Sans autre forme de procès, il s”est saisi d”une grosse pierre qu”il transportait dans ses bagages et a … fracassé la tête du dormeur. Le malchanceux n”eut même pas le temps de comprendre ce qui lui arrivait. Il a basculé brutalement de sommeil à trépas. Le défunt mendiant sera identifié bien plus tard. Il s”appelait Cheickna Barry et avait 22 ans.
Après son forfait, "Bruno Mario" continua à déambuler traînant sa pierre et hurlant aux passants que "demain n”existe pas. Aujourd”hui n”existe pas. Quand tu respires, c”est ce qui existe. La révolution arrive. La terre se fend en deux. Elle va cracher du feu. Rien n”est vrai. Rien n”est faux. Je suis en mission de Dieu". Les gens se rassemblèrent autour de lui, mais personne n”osa s”approcher d”un homme qui venait d”assassiner froidement son prochain.
Le commissariat de police du 11e arrondissement a été informé par un appel téléphonique. Les éléments de la brigade de recherche ont été envoyés sur le terrain par le commissaire Mady Fofana. Le fou ne voulut pas se livrer. Il continua à clamer qu”il était en mission de Dieu et menaçait de faire subir le sort du mendiant à quiconque tenterait de le toucher. Il ne pouvait savoir que les agents sont formés aux techniques de maîtrise des forcenés. Parmi les éléments qui l”entouraient il y avait deux spécialistes des arts martiaux qui ont immobilisé le dément, lui ont passé les menottes avant de le conduire au commissariat.
Dès que le commissaire divisionnaire Mady Fofana aperçut "Bruno Mario", il informa le procureur de la République près le tribunal de première instance de la Commune VI et l”hôpital du Point G. L”hôpital a reçu le fou dans son unité de soins psychiatriques.
Pendant ce temps, les parents de Cheickna Barry continueront de pleurer longtemps le jeune homme dont la fin tragique atteste que la vie est souvent une question de chance. Ou de malchance.
G. A. DICKO
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