C”est exactement ce qu”il fallait dire pour brancher la lycéenne. Le marabout poussa son avantage.
Bamako à l”instar de toutes les grandes villes africaines est une cité cosmopolite où se croisent des hommes et des femmes de tous les horizons. Les hauts cadres de l”administration publique côtoient ceux des entreprises privées. Les ouvriers et les malfrats empruntent les mêmes minibus de transport en commun. La cohue des élégantes égaie les marchés et les places publiques. La capitale abrite aussi de nombreuses paysans attirés par les mirages de la grande ville. Tout le monde s”est donné rendez-vous "à Bama-Niaré" pour gagner de l”argent par tous les moyens. Certains sont convaincus des vertus du travail honnête pour se constituer une bourse. A l”opposé, les partisans du moindre effort pensent que la ruse est le meilleur moyen de détourner à leur profit les fruits du travail des honnêtes gens.
Notre capitale est devenue un univers propice au développement de la délinquance organisée. Bien qu”étant le centre intellectuel du Mali, la ville regorge de superstitieux, de crédules, de pigeons en puissance. Ils sont légion les pauvres hères qui sont persuadés que l”argent peut tomber du ciel. Ils attendent alors les miracles. Ces gens n”ont plus foi dans l”effort. La valeur intrinsèque n”est plus, à leurs yeux, le critère pour accéder à la meilleure des positions dans l”échelle sociale. Ils ont jeté leur dévolu sur les prétendus marabouts faiseurs de destin qui investissent quotidiennement les rues de Bamako. Ils sont en quête du puissant lettré dont les incantations ouvrent les portes du monde des merveilles.
EBAHIE QUELQUES INSTANTS
Il n”est donc pas étonnant que le trio Soumaïla Traoré, Boubacar Sidiki Dramé et Aldjouma l”albinos parvient à se faire passer pour un groupe de marabouts capables de lire le futur et de modifier le destin d”une personne. Chaque élément de la triplette opère en solo. Les trois crapules ne se regroupent que pour le final, la conclusion, pour plumer le pigeon.
Le 31 janvier dernier, aux environs de 14 heures, le chef de file de la bande, Soumaïla Traoré aborda H.B. une charmante lycéenne. La rencontre a eu lieu derrière le lycée Fily Dabo Sissoko à Djélibougou. L”homme était habillé comme l”image que l”opinion se fait d”un vrai marabout : grand boubou bien propre avec bonnet et babouches assortis. Après les salutations d”usage, Soumaila Traoré demanda à H.B. de lui indiquer le domicile d”un certain Ousmane Maïga, politicien de son état. Le marabout expliqua à la lycéenne qu”il était venu à Bamako à la demande de ce Ousmane Maïga. Le politicien aurait réclamé ses services pour accroître ses chances de réussite lors des prochaines élections.
H.B., 16 ans, ne comprenant rien aux élections et "aux travaux" de marabout, resta ébahie quelques instants. Elle fixa son interlocuteur dans les yeux. Le regard engageant de son interlocuteur sembla la troubler. Elle aurait voulu rendre service à cet homme désorienté. Le malicieux Soumaila comprenant que sa proie était sur le point d”être ferrée, continua le dialogue. Il annonça à la lycéenne qu”il faisait partie du cercle très restreint des vrais grands marabouts du Mali. Il assura à son interlocutrice qu”il possédait le secret de réussir de longues études. C”est exactement ce qu”il fallait dire pour brancher la lycéenne. Le marabout poussa son avantage en lui livrant le secret qui lui garantit d”être la première de sa classe à chaque examen. Ainsi rien ne pourrait s”opposer à son profond désir d”obtenir une bourse d”études à l”étranger.
L”ALLÉGEANCE
C”est à ce moment crucial de l”entretien que les complices, Boubacar Sidiki Dramé et Aldjouma l”albinos, qui étaient à l”affût, intervinrent. Ils saluèrent Soumaïla et lui demandèrent l”objet de sa présence à Bamako. L”homme répondit qu”il était grand marabout et qu”il recherchait le logement de Ousmane Maïga, un leader politique. Il avait à peine prononcé ces mots que ses comparses se mirent à crier et se prosternèrent devant Soumaïla. "Allahou Akbar ! C”est incroyable ! Dieu a exhaussé nos vœux ! Quelle chance ! Maintenant nous disons : "Adieu la misère" Nous allons devenir riches! Nous te cherchions depuis longtemps. Nous nous ne savions plus comment te rencontrer grand marabout, grand érudit du Saint Coran !"
L”allégeance des nouveaux arrivants, balaya les hésitations de H.B. Elle était désormais convaincue qu”elle avait devant elle un saint. Le saisissement de la lycéenne augmenta quand Soumaïla l”appela par son nom. Elle s”en étonna. En son for intérieur, elle se demanda comment cet inconnu était parvenu à connaître son nom. Elle ne trouva aucune explication rationnelle. Elle demanda à Soumaïla de l”attendre, le temps d”aller chercher de l”argent dans sa famille. Ainsi, il lui ferait des bénédictions et elle réussirait dans ses études et ses autres entreprises. Un groupe d”élèves en route pour l”école aperçut H.B. et ses marabouts en grande conversation. Mais ils restèrent à l”écart pour suivre la scène de loin.
Soumaïla constata que les enfants l”avaient à l”œil. Il s”en inquiéta et demanda à H.B. de l”autoriser à l”accompagner en famille. Il ferait en même temps des prières pour l”ensemble de ses proches. L”adolescente se laissa convaincre. Les deux autres voyous récupérèrent leurs engins parqués un peu plus loin et suivirent le marabout et sa proie. Le groupe d”enfants qui avait compris que son amie allaient se faire "avaler" par des requins, leur emboîtèrent le pas, toujours à distance. Soumaïla, en dépit de son boubou, grimpa sans peine sur une Jakarta et H.B. se hissa derrière lui.
Les deux complices enfourchèrent une Yamaha 100. Les élèves ne donnèrent pas le temps au trio de s”éloigner. Ils les entourèrent et crièrent le nom de la lycéenne. Les faux marabouts tentèrent de filer. Malheureusement pour Soumaïla et ses compagnons, ils étaient déjà enserrés. Un passant appela le commissariat de police du 12è arrondissement qui dépêcha une équipe dirigée par l”inspecteur Yoro Traoré.
Les élèves et les passants voulaient lyncher les escrocs. D”autres passants s”interposèrent. Mécontents de ne pas pouvoir assouvir leur désir de justice expéditive, les jeunes s”en prirent au véhicule des policiers. L”inspecteur Yoro Traoré et ses agents ont conduit Soumaïla et ses acolytes au commissariat. Les faux marabouts ont soutenu qu”ils allaient véritablement faire des bénédictions à la jeune fille. Mais quelles bénédictions ? Ils vont devoir l”expliquer au juge d”instruction du tribunal de première instance de la Commune II.
D. I. DIAWARA
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