Les parasites qui écument les manifestations sociales, sont difficiles à coincer. Sauf lorsqu”ils sont aveuglés par leur avidité.
Les réjouissances sociales sont devenues aujourd”hui le théâtre d”un étalage des symboles de fortune ou de réussite sociale. L”atmosphère aidant, elles font perdre la tête aux esprits les plus rationnels qui s”abandonnent alors aux attitudes les plus insensées. Ces cérémonies réunissaient autrefois un cercle relativement restreint de parents, voisins et amis pour honorer les mariés ou le nouveau-né et ses parents et resserrer les liens familiaux. Mais difficilement des personnes étrangères au cercle familial. Aujourd’hui dès l’annonce de la cérémonie, c’est une foule de personnes, parfois inconnues qui envahissent les lieux, attirées par la notoriété ou la richesse des intéressés. Les cadeaux de baptême ne se limitent plus aux simples draps que l”on offre à la nouvelle mère. La concurrence se fait à travers des pagnes wax, le bazin riche et autres bracelets en or offerts au bébé. Dans cet univers de toutes les folies, les louanges des griottes se mesurent à l”aune de la munificence et de la folie des grandeurs des donatrices.
SPÉCIALISTES DES CÉRÉMONIES
Les cérémonies sociales se transforment de plus en plus en ripailles, attirant et suscitant une nouvelle classe de parasites. Ces personnes n’ont ainsi d’autre "métier" que de sillonner à longueur de journée les quartiers de Bamako à la recherche d”une cérémonie de baptême, de mariage, voire même de décès.
Ces hommes et ces femmes ne ratent jamais les bulletins nécrologiques de la radio. Les samedis et les dimanches sont réservés aux mariages et aux baptêmes. Ces pique-assiettes s’infiltrent très facilement dans le lot des personnes invitées. Lors des décès, elles se transforment en véritables pleureuses professionnelles. Elles font irruption dans la famille du défunt en poussant des hurlements stridents. Tout le monde, même les parents du défunt, sans les connaître entreprennent les consoler. Après avoir péniblement sécher leurs "larmes", elles s’installent confortablement et commencent par louer lourdement les vertus de la personne décédée. Peu après, selon leur caractère, les intruses se fondent dans la foule ou se font remarquer admirablement par leur disponibilité à accomplir toutes les tâches.
Parmi ces spécialistes de l”infiltration familiale les pratiquantes de l”abus de confiance sont légion. Selon le témoignage d’une collègue, une intrigante du genre aurait reçu 50 000 Fcfa de la famille d”un défunt pour aller acheter les condiments et le riz destinés au repas solennel. Elle aurait disparu avec l’argent sans laisser de trace. Il y a de tout dans cette faune : des adeptes des vols d’habits, de chaussures, de sacs à main, etc.
L”occasion faisant le larron, les vraies griottes partagent le butin avec des griottes de circonstance. Il arrive en effet que des femmes "nobles" se transforment en griottes. Ces "femmes-caméleons" écument les manifestations éloignées de leur domicile, là où elles sont sûres de ne pas être reconnues. Ce petit monde s”est enrichi d”une autre catégorie de profiteurs : les nettoyeuses de nourriture et de restes de condiments. Ils sont toujours munis de petits sachets noirs et de morceaux d”étoffe qu”ils dégainent et remplissent avec une stupéfiante dextérité.
Ce parasitisme, souvent féminin, est un phénomène désormais familier des citadins. La sexagénaire A.S. est ainsi bien connue de nombreux Bamakois du fait de sa fréquentation assidue des cérémonies sociales. Il se dit aussi qu”elle aurait été, plusieurs fois, prise en flagrant délit de vol de condiments et d’autres petits trucs.
UN BAPTÊME MÉMORABLE
Le dimanche 21 janvier dernier fut jour de fête dans la grande famille "D" à Lafiabougou. La femme de M.D., le plus riche de la famille "D", vient d’accoucher aux États Unis. Pour accueillir ce nouveau bébé qui vient agrandir la famille, le père a organisé un baptême mémorable. Des témoins avancent le nombre de 150 poulets rôtis servis ce matin dans de ravissantes assiettes. A.S., comme à ses habitudes, infiltra la famille "D". Et elle intégra très facilement le groupe des serveuses de nourriture.
À chaque service, l”indélicate intruse soutirait un poulet, l”emballait dans un sachet bleu qu”elle cachait derrière la porte d”entrée. A.S. poursuivit son manège jusqu”à amasser seize poulets dans sa cachette. Malheureusement pour la voleuse, une fille de l’assistance remarqua ses va-et-vient incessants et fut intriguée par le gros colis déposé derrière la porte.
A.S. aussi tenait son butin à l’œil. Quand la fille se décida à approcher du grand sachet bleu, A.S. se précipita pour ramasser son "bien". Leurs mains se saisirent en même temps du paquet contenant les poulets rôtis. La maraudeuse somma la jeune fille trop curieuse de lâcher son "sachet qui ne contenait que des affaires personnelles". La jeune fille expliqua avoir remarqué ses aller-retour vers le fameux sachet. Soupçonneuse elle ordonna à la dame d”ouvrir le paquet afin de contrôler le contenu.
SURPRISE GÉNÉRALE
Décidée à ne pas céder à la pression de la jeune fille, A.S. commença à hausser le ton. Elle avertit l”impertinente qu’elle était la cousine de la mère du bébé que l”on venait de baptiser. La jeune fille sans lâcher la prise, demanda à la dame de l’accompagner vérifier cette allégation auprès de la mère du bambin. Chose dite, chose presque faite. A.S. suivit sans se démonter la fille jusqu’à la porte de la chambre de la maman du nouveau-né. Parvenue sur le seuil, elle cala et rebroussa chemin prestement. La jeune fille décida alors que la discrétion n”était plus de mise et cria : "voleuse, voleuse". La foule enveloppa très rapidement A.S.
La jeune "justicière" ouvrit le sachet pour exposer, à la surprise générale, le tas de poulets dérobés. Sous les yeux de la foule, elle étala sa découverte sur un plateau. On dénombra 16 poulets entiers et une grosse quantité de pomme de terre frite. Les jeunes de la maison demandèrent au chef de la famille "D" de leur remettre A.S. pour la conduire au commissariat le plus proche. Mais celui-ci refusa cette proposition.
Au contraire, pour protéger la voleuse de la vindicte populaire le chef de famille la fit entrer dans son appartement. Après quelques minutes d’entretien à huis-clos, le vieux ressortit en compagnie de A.S. Il demanda à la femme humiliée de quitter sa cour. Selon les explications de certains invités, la délinquante aurait expliqué qu”elle avait dérobé les poulets pour nourrir sa famille. Drôle de manière de subvenir à ses besoins, si l”explication est fondée. Ce qui ne semble pas être le cas car plusieurs personnes dans l’assistance assurent avoir côtoyé A.S. dans des quartiers lointains, lors de cérémonies de baptême, de mariage et de décès.
Doussou DJIRE
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