Fait divers : Le voleur, son ami et la bible

    0

    Mentir, peut-être. Mais pas en jurant sur le Livre saint.
    rn
    rnC”est peut-être le type d”affaires le plus porté à la connaissance des policiers au point qu”il n”émeut plus grand-monde. En effet, chaque jour que Dieu fait les différents commissariats de la capitale sont débordés par des personnes venant déclarer une perte de cellulaire. La situation est devenue tellement courante que les policiers enregistrent prestement les plaintes pour se concentrer à des affaires plus compliquées. Il ne faut pas voir dans cette attitude une quelconque volonté de banaliser les vols.
    rn
    rnMais juste l”indice d”une saturation certaine face à un délit dont la progression se fait au grand galop. Bien sûr, du côté des plaignants, l”état d”esprit est tout autre. Les victimes se sentent littéralement amputées d”un organe vital. Car ici à Bamako, presque tout, du dossier important au rendez-vous banal, s”organise, se décide et se traite à partir du cellulaire. Celui-ci est un facilitateur de vie. Sa disparition complique donc l”existence de son ex-propriétaire.
    rn
    rnDe temps en temps, un cas peu commun sort les policiers de leur attitude blasée. Cela s”est produit il y a environ deux semaines et l”affaire concernait un tenant de restaurant, d”une soixantaine d”années environ, domicilié à Korofina Nord. L”homme – appelons-le D. – se présenta devant l”inspecteur Ibrahim Maiga, chef B.R. du 6è Arrondissement pour signaler la perte de son appareil de grande valeur. Il lui fit également de ses soupçons qui portaient sur deux de ses employés de maison. Le vieil homme raconta qu”il avait, selon ses souvenirs, mis son téléphone à la charge dans son salon avant d”aller prendre sa douche matinale. Au sortir du cabinet de toilettes, D. trouva ses employés P.K. et A.K. tous deux originaires du cercle de San en train de laver les carreaux de son domicile. Il les salua et entra dans sa chambre à coucher pour se changer.
    rn
    rnAlors qu”il se préparait à prendre son petit déjeuner, D. se rappela brusquement qu”il devait passer un appel urgent à une ONG. Les responsables de celle-ci lui avaient demandé la veille de prévoir le service de deux repas destinés à des séminaristes et qui devaient être servis dans les locaux de cette organisation non gouvernementale. Le restaurateur devait contacter le client pour se mettre d”accord avec lui sur les derniers détails de sa prestation, mais son appareil s”avéra introuvable. D. crut qu”il s”était trompé de lieu et avait laissé le téléphone dans sa chambre à coucher. Mais là également ses recherches furent vaines. Rien non plus dans les toilettes où il se rendit aussitôt après.
    rn
    rnUn changement de méthode : Complètement désorienté, le restaurateur se tourna alors vers ses deux employés pour les questionner. Mais il n”en trouva qu”un seul, A.K., un garçon de 16 ans qui était arrivé de son village 10 jours seulement auparavant. L”adolescent avait juste fini de laver les carreaux du sol. Tout mouillé, il tirait le tuyau de plastique pour aller arroser le jardin. A la vue de son patron, il arrêta son travail et se porta respectueusement à la rencontre de D. Il indiqua à ce dernier qu”il n”avait pas fait attention à un téléphone qui se serait trouvé à la charge dans le salon. Le restaurateur s”enquit alors de la position de P.K. Ce dernier se serait, selon son camarade, rendu dans une boutique située non loin de là pour s”acheter des cigarettes.
    rn
    rnLe patron enjoignit à A. K d”aller l”appeler. A l”arrivée du tandem, l”employeur décida de changer de méthode et de durcir le jeu. D”une voix menaçante, il indiqua aux deux jeunes gens qu”ils avaient intérêt à lui rendre son téléphone sans faire d”histoire. Car si l”approche à l”amiable ne fonctionnait pas, lui, D., serait obligé de recourir à une méthode déplaisante, mais inévitable : il amènerait les deux jeunes gens à la police. A.K. et P.K. échangèrent un regard inquiet, mais ils assurèrent leur patron qu”ils n”avaient aucune idée de l”endroit où se trouvait le téléphone.
    rn
    rnLe restaurateur mit donc sa menace à exécution et conduisit les deux jeunes garçons au commissariat. Là, l”interrogatoire sommaire ne donna rien. Mais en policier expérimenté, le chef B.R. usa d”une méthode qui avait payé plusieurs reprises. Il sépara les suspects, fit envoyer A.K. au violon et se mit à interroger de manière plus sévère P.K.. Le jeune homme jura sur la Sainte Bible et le Nouveau testament qu”il n”avait pas vu l”appareil de son patron. Il fut donc dirigé sur le violon d”où fut sorti son camarade.
    rn
    rnLorsque A.K. fit son entrée dans le bureau de l”inspecteur chargé l”enquête, près d”une dizaine de personnes s”y trouvaient déjà. Face à toute cette assistance qui le semblait guetter le moindre de ses gestes, le garçon eut une attitude étrange. Il regarda de tous les côtés comme s”il cherchait quelque chose qu”il avait perdu peu auparavant. Le trouble du jeune homme n”échappa pas à l”inspecteur qui lui proposa de s”asseoir. Avec beaucoup de sollicitude, le policier demanda ensuite à son suspect ce qui n”allait pas. A.K. ne répondit pas directement à cette question et demanda à boire un peu d”eau. Une femme policière lui tendit un verre qu”il vida goulûment.
    rn
    rnTout penaud : Puis il s”affaissa littéralement sur sa chaise, poussa un soupir profond et se mit de nouveau à regarder de tous les côtés. Avec patience, l”inspecteur répéta sa question. A.K. répondit qu”il voulait voir son patron. Ses paroles provoquèrent un étonnement compréhensible chez les policiers. En effet, D. était assis tout à côté du jeune et ce dernier ne pouvait pas ne pas le voir. Le restaurateur interpella sans ménagement son employé. "Comment, lui dit-il d”une voix rude, peux-tu prétendre que tu ne me vois pas alors que je suis à moins d”un mètre de toi. Que me veux-tu ? Toi aussi tu vas jurer sur la Bible que tu n”as pas volé ?".
    rn
    rnCette interpellation de D. fit sursauter A.K. aussi violemment que s”il avait reçu une piqûre. Il bégayait littéralement en s”adressant à son employeur. "Vous voulez dire, demanda-t-il, que P.K. a juré sur la Bible qu”il n”a pas pris le téléphone ? Mais alors, c”est fini pour lui. Il n”est plus un chrétien". A.K. avait lancé ces paroles avec une telle véhémence qu”il fit éclater de rire tous ceux qui étaient présents dans la pièce. Quand le calme revint, le chef B.R. fit amener P. K pour le confronter à son "frère" (les deux garçons viennent du même village et fréquentent depuis leur tendre enfance la même église).
    rn
    rnLorsque son ami fut introduit, A.K. ne lui donna pas le temps de parler. Il l”apostropha d”une voix fébrile et voulut savoir si P.K. avait vraiment juré sur la B
    ible alors qu”il avait proféré un grave mensonge. P.K. fut pris de court et ne put dire le moindre mot. A.K. continuait à l”interpeller en français et dans sa langue maternelle. Puis il s”adressa aux policiers en leur disant que c”était en nettoyant le salon que P.K. avait vu le téléphone et qu”il avait cédé à la tentation. Il avait demandé à A.K. de ne pas le dénoncer. Cet appareil était pour eux une aubaine, avait-il prétendu, sa vente leur permettrait à tous les deux de retourner au village.
    rn
    rnA.K. avait essayé de dissuader son ami en lui rappelant que le pasteur de leur église leur avait toujours déconseillé de voler et de mentir. Le jeune homme indiqua qu”il était près de tout avouer à son arrivée à la police. Mais il avait peur que les enquêteurs ne comprennent pas ses hésitations à dire la vérité. Hésitations qui étaient faciles expliquer : au village, avoua A.K., tout le monde lui en voudrait d”avoir lâché son frère. Mais, dit-il, il ne pouvait accepter de sauver son camarade d”enfance en s”appuyant sur la Bible pour proférer un mensonge.
    rn
    rnTout penaud, P.K. sortit le téléphone éteint qu”il avait caché dans ses vêtements et le tendit au policier. Le patron, lui aussi un chrétien, intervint pour que ses deux employés ne fassent pas l”objet d”une procédure pouvant les conduire devant la justice. Il les ramena lui-même chez lui en leur conseillant de ne plus recommencer. Cette conclusion très peu banale ne fut pas contrariée par les policiers. Eux aussi étaient certains que la leçon servirait aux deux garçons et qu”on ne les y reprendrait plus.
    rn
    rnG. A. DICKO
    rn

    Commentaires via Facebook :