Fait divers : L''ADEPTE DE LA QUESTION

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    Il fut un temps où la torture était légalement infligée à des accusés pour leur arracher des aveux. Époque révolue ? Pas pour Seydou.

    Nul n”est censé ignorer la loi. Et celle ci dispose que nul ne peut se rendre justice. Mais certaines personnes sans discernement ignorent volontairement ces prescriptions et se rendent justice soit pour "réparer" une faute soit pour "laver leur honneur". Il leur importe peu de savoir que la gravité de la faute commise ne peut dénier pas à l”accusé le droit à un jugement contradictoire. La justice sert de garde-fou aux errements et aux abus des plus forts mais aussi de refuge aux plus faibles de la communauté. Contourner ce rôle dévolu à la justice, est enfreindre la loi. Dès lors que cette inconduite est avérée, le contrevenant s”expose à des sanctions plus ou moins sévères édictées par le code pénal.

    FIDÉLITÉ ABSOLUE.

    Malgré sa rigueur, la loi est quotidiennement violée. Tous les jours les postes de sécurité ou les tribunaux enregistrent des plaintes déposées contre des individus qui ont délibérément choisi de se rendre justice quitte à se retrouver derrière les barreaux comme notre héros du jour. Seydou Cissé, 38 ans, est chauffeur de son état et habite à Kalabambougou. Il s”est retrouvé en prison à la fin du mois d”avril pour avoir mutilé son jeune et fidèle ami. La victime, un adolescent répondant au nom de Youssouf Traoré, est âgée de 14 ans. D”après les explications données par le chauffeur, celui qu”il présente comme son meilleur ami, malgré l”écart d”âge qui les sépare, travaillait chez lui comme apprenti chauffeur.

    Au delà de leurs rapports professionnels, ils étaient devenus des complices et passaient la nuit sur le même lit. Pendant plus de quatre ans, le petit Youssouf Traoré avait ainsi voué à son patron une fidélité presque absolue. "Je le réveillais souvent à 3 heures du matin pour l”envoyer faire mes commissions, et il s”exécutait sans broncher", a révélé le chauffeur aux policiers médusés. Malgré cette confiance et cette fidélité éprouvées, Seydou Cissé n”a pas hésité à couper une oreille à l”adolescent.

    CORRECTION SÉVÈRE.

    Que s”est-il passé entre ses deux personnes si proches ? D”après un responsable du commissariat de police du 9è Arrondissement, qui a requis l”anonymat, le chauffeur accuse son apprenti de lui avoir volé plus de 100.000 Fcfa en espèces, un appareil de musique et des DVD. Il convoqua son ami suspect pour lui réclamer l”argent et tout le matériel dérobé. Les menaces proférées ne font aucun effet sur le jeune homme. Est-ce lui le voleur ? Le chauffeur en est convaincu. Il estime que son apprenti a purement et simplement refusé de remettre les choses volées en place. L”homme aurait expliqué à celui qui, à ses yeux, ne pouvait qu”être le coupable, que l”argent disparu ne lui appartenait pas. Le magot lui avait été confié par un ami du quartier. Las de foudroyer son apprenti, le patron fît intervenir des voisins pour faire fléchir le jeune garçon. En vain. Face à ce qu”il considérait comme un entêtement coupable, le "patron" aurait décidé d”infliger une correction sévère à Youssouf. Malgré une évidente absence de preuves.

    Il l”immobilisa, lui ligota les mains. Puis il se servit du couvercle tranchant d”une boite de tomate vide pour couper l”oreille gauche de "son apprenti voleur". Le bourreau impitoyable le laissa attaché après cette cruelle punition, le menaçant même de couper la seconde oreille, le jour suivant, si le pauvre Youssouf ne rendait pas l”argent et les objets volés. Convaincu -on le serait à moins- que le chauffeur n”hésiterait pas à mettre sa menace à exécution, le garçon fût obligé de mentir. Il "avoua" avoir remis tous les objets et l”argent à un de ses copains. Après ses "aveux", son tortionnaire le libéra. Le garçon profita alors d”un moment d”inattention de son geôlier pour s”enfuir et filer à la police. Il relata aux policiers le traitement cruel que son patron venait de lui infliger. Sans perdre de temps, les agents du 9è Arrondissement allèrent cueillir Seydou Cissé chez lui.

    INSTITUER UNE "CHARIA".

    Au poste de police, l”homme admit avoir effectivement et volontairement infligé à son apprenti la blessure volontaire dont on l”accusait. Mieux, il ajouta que sa "charia" à lui, lui commandait de couper les oreilles (pas les mains ?) des voleurs. Après une perquisition, les enquêteurs découvrirent chez le chauffeur, des vêtements de chasseur, des gris-gris, des queues d”animaux constellées de cauris et d”autres fétiches. Les agents l”ont interrogé sur la provenance de ces objets et leur utilisation. Le tortionnaire expliqua qu”il était féticheur à ses moments libres. Il précisa que les génies lui avaient intimé l”ordre de punir l”adolescent en lui tranchant une oreille. Crânement, il ajouta que ce châtiment devait être appliqué à tous ceux qui s”approprient les biens d”autrui. L”illuminé a même suggéré aux pouvoirs publics d”instituer cette pratique pour réduire les nombreux cas de vols et aider les policiers dans leur "travail".

    Après des investigations plus poussées, les policiers découvrirent que l”homme est un dealer dont la maison est souvent le rendez-vous de nombreux jeunes toxicomanes du quartier. Le prévenu s”est élevé contre cette dernière accusation la jugeant gratuite.

    Par contre Seydou Cissé n”a pas nié les faits de mutilation pour lesquels il a été amené au commissariat. L”adepte de la question a été expédié à la Maison centrale d”arrêt de Bamako pour y méditer sur la capacité de la société à opposer sa force à la violence incontrôlée des individus.

    Mh. TRAORÉ

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