Entraîné par sa témérité, il a été sauvagement lynché par un groupe de contrebandiers qu”il avait intercepté
La témérité et l”âpreté au gain ont fini par perdre Mamadou Tounkara dit Batia. Il a collaboré pendant plus de quinze ans avec les forces de sécurité et la douane de Koutiala, comme indicateur. Il a perdu la vie le 3 juillet dernier. Son corps a été retrouvé calciné sur son engin, une Yamaha, dans la forêt classée de Béléssou, commune rurale de Ngoutjina, située à 25 kilomètres de Koutiala.
Dans la capitale de l”or blanc, cette mort tragique continue à défrayer la chronique. Chacun y va de son commentaire. Du simple citoyen à l”homme d”affaires en passant par le cadre, chacun avance des explications sur la mort tragique de Batia. Certains pensent qu”il a outrepassé son rôle d”indicateur, en travaillant à visage découvert. Celui qui était reconnu comme un chasseur, est sorti de l”anonymat, au mépris du danger qu”il courait. Il voulait être reconnu par tout le monde comme étant le meilleur informateur de la police, de la gendarmerie et de la douane à Koutiala. Il tentera alors de tirer le meilleur profit de son statut en mangeant à tous les râteliers.
BEAUCOUP DE HAINE
Toute la ville de Koutiala et ses environs savaient depuis belle lurette que Batia roulait pour les services de sécurité. Et l”homme était craint et envié autant pour ses relations que pour ses connaissances en sciences occultes. Tout Koutiala se rappelle encore de son accoutrement favori. Il était toujours en tenue des chasseurs ornée de miroirs et d”amulettes. Dans cet habillement qui ne passe pas inaperçu, il sillonnait la ville tous les matins.
Au cours de ses randonnées citadines partout où il s”arrêtait pour un brin de causette, Batia créait l”occasion pour se vanter de ses nombreux hauts faits dans la traque des contrebandiers. L”homme n”était assurément pas un modèle de discrétion. Il n”hésitait pas à étaler sur la place publique le secret des enquêtes menées par les services de sécurité contre les malfaiteurs. Il relatait par le menu ses actions réussies dans la traque des fraudeurs. Il lui arrivait de dévoiler dans les moindres détails comment il avait réussi à faire saisir par la douane ou la gendarmerie, les marchandises frauduleuses de tels commerçants ou de tels hommes d”affaires. Tout naturellement, Batia suscitait beaucoup de haine dans le milieu de la pègre et du trafic dans la capitale de l”or blanc.
Les circonstances de sa mort sont à la mesure du nombre d”ennemis qu”il s”était fait dans les milieux interlopes. Le major Attaher Touré, commandant de la brigade de gendarmerie de Koutiala, a été averti du transit par la ville d”un important lot de marchandises de contrebande, le 3 juillet dernier. Batia et deux agents se sont rendus dans la forêt classée pour traquer les contrebandiers. Vers 23 heures, leur embuscade a porté fruit. Ils ont tenté d”appréhender un premier groupe de trafiquants. Mais les agents de sécurité étaient trop peu nombreux. Les contrebandiers comptaient une quinzaine de cyclistes déterminés à ne pas se laisser arrêter. Les agents des services de sécurité ont tiré en l”air pour se dégager, avant de se replier sur Koutiala.
Malgré le déséquilibre patent des forces en présence, l”indicateur Batia ne voulait pas abandonner. De son propre chef, il a décidé de tendre une embuscade aux trafiquants à l”insu des forces de sécurité. Il aurait eu, semble-t-il, des accrochages avec six contrebandiers qui n”avaient pas voulu obtempérer à ses injonctions. Téméraire, l”indicateur les a poursuivis jusqu”au village de Béléssou où il a tenté de saisir vaille que vaille leurs marchandises en les menaçant de son coupe-coupe. Les hors-la-loi se sont farouchement opposés à la saisie de leurs colis. De violentes altercations ont éclaté entre Batia et les contrebandiers. Le bruit des affrontements a attiré l”attention des villageois qui sont sortis pour aller aux nouvelles.
JUSQU”AU BOUT
C”est ainsi que certains ont reconnu, Mamadou Tounkara dit Batia. Ils ont expliqué à leurs compagnons que l”homme n”était pas un agent, mais un indicateur et même un escroc à la solde de la douane, de la gendarmerie et de la police. L”indicateur perdit immédiatement toute autorité sur les trafiquants qui se jetèrent sur lui et le rouèrent de coups de bâtons et de coupe-coupe. L”informateur a ainsi été lynché à mort.
La reconstitution des faits effectuée par le major Touré et ses hommes, révélera plus tard que le corps de Batia avait été traîné sur près de 150 mètres, loin du village. Les habitants ont tenté de faire disparaître les traces mais le commandant de brigade de Koutiala entend exploiter les indices pour rétablir la vérité.
Arrivés le lendemain du drame, les gendarmes ont saisi un important lot de produits pharmaceutiques, des cartons de cigarettes dissimulés çà et là chez les habitants de Béléssou. L”enquête de la gendarmerie a aussi abouti à l”interpellation de certains suspects dont deux auraient participé au lynchage de Batia. Ils ont été conduits à la prison. Les enquêtes continuent pour mettre la main sur les autres auteurs de ce crime crapuleux, qui courent toujours.
Depuis cet assassinat odieux, la cour de la brigade de gendarmerie de Koutiala ne désemplit pas. Le major Touré est harcelé de coups de téléphone. Le poste est envahi par des commerçants venus plaider la libération des deux présumés auteurs. Ces intercesseurs sont tous connus à Koutiala pour leurs activités commerciales illégales. Le major Attaher Touré est formel. La gendarmerie ira jusqu”au bout pour faire éclater la vérité. Mais le commandant de brigade et ses hommes doivent faire face aux nombreuses complicités qui se nouent pour contrarier leur enquête.
Le défunt Mamadou Tounkara dit Batia était marié et père de six enfants.
M. N. TRAORÉ
L”Essor du 12 juillet 2007
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