L”émissaire chargé par le jeune homme pour faire les démarches de son mariage avait détourné la dot. Qu”à cela ne tienne, ont dit les beaux-parents.
Dans nos coutumes, ce sont les personnes d”un certain âge qui sont chargées de démarcher les parents de la fille ou de la femme que l”on souhaiterait épouser. Dans la plupart des cas, le mandataire se fait accompagner d”un griot, considéré comme maître de la parole. Lorsque le fiancé se trouve loin des siens, il lui arrive de choisir lui-même ce parrain. Celui-ci est censé accomplir cette tâche délicate aussi correctement que possible.
Ainsi, l”homme sera à jamais redevable de son parrain. Son épouse considérera le démarcheur comme un beau-parent à qui elle vouera respect et considération toute sa vie. Si dans la plupart des cas, les émissaires s”acquittent normalement de leur mission, il arrive que d”autres détournent les moyens mis à disposition leur profit. Comme c”est le cas dans l”histoire que nous vous proposons aujourd”hui.
Les faits se sont déroulés à Niamakoro-Koko, un gros quartier périphérique de Bamako. Là vit un jeune manœuvre qui a souhaité garder l”anonymat. Nous avons décidé de l”appeler I. T pour une meilleure compréhension des faits.
I. T a fait la connaissance d”une jeune fille pendant qu”il travaillait sur un chantier dans le quartier. Entre les deux jeunes gens, une idylle est vite née. Profondément croyants, les parents de la fille n”épiloguèrent point ni sur l”origine sociale du jeune homme et encore moins sur ses conditions de vie. Ils donnèrent leur accord de principe pour que soit scellée l”union. La nouvelle surprit I. T qui, au prime abord pensait que les parents de Djéné, sa bien aimée, s”opposeraient à son projet. Il avait d”autant plus de raisons d”être sceptique qu”il est homme de caste et vit dans des conditions précaires, alors que ses beaux-parents descendent d”une lignée noble.
Surpris par cette disponibilité, I. T informa son beau-père qu”il mettrait tout en œuvre pour s”acquitter le plus rapidement possible des formalités coutumières du mariage. Les parents de la fille l”encouragèrent parce qu”ils ne voulaient pas ternir l”image que se faisaient d”eux, les voisins : une famille très pointilleuse sur les recommandations du Saint Coran. I. T demanda à la fille d”arrêter de le fréquenter en attendant qu”il formalise sa demande de mariage auprès de ses beaux-parents. Mais il promit de lui rendre visite chaque soir et de réaffirmer par la même occasion à ses beaux parents, tout le sérieux de son projet. La jeune fille accepta la proposition.
COUSINAGE À PLAISANTERIE FORT :
Au début du mois de mai dernier, I. T rassembla 50.000 Fcfa représentant le montant de la dot et les remit à M. T, un vieux du quartier avec lequel il entretenait de très bons rapports. Il confia à ce dernier la mission de demander pour lui, la main de sa bien aimée au près de qui de droit. M. T est Sénoufo et I. T un "Gana". Les "Gana" ne forment pas une ethnie. Le terme désigne plutôt les ressortissants d”une partie de la Région de Sikasso. Entre les deux communautés, il existe un cousinage à plaisanterie très fort. C”est pour cette raison d”ailleurs que le jeune homme n”a pas hésité à se confier à ce "parent".
Après quelques plaisanteries, M. T accepta de se charger de la mission. Mais il demanda au jeune homme de garder l”argent, le temps pour lui d”accomplir les formalités préliminaires. I. T confia l”argent à un ami. Il ne reverra le vieux M. T qu”une semaine plus tard.
L”émissaire lui rapporta que les parents de la fille ont favorablement accueilli sa demande. Il ajouta même que le jeune homme a de la chance, car personne n”aurait cru que les filles de cette famille étaient si facilement accessibles en mariage. I. T qui avait repris les 50.000 francs les remit en main propre à l”envoyé spécial. Ce dernier lui donna l”assurance que le mariage sera célébré le surlendemain à la mosquée du quartier. I. T était content et ne cachait pas sa fierté : lui un pauvre manœuvre venait de décrocher la lune en s”offrant les faveurs d”une jeune citadine de surcroît étudiante dans une prestigieuse école professionnelle. Il attendait avec impatience le retour de son envoyé. Mais l”attente dura une semaine.
Entre-temps, le jeune manœuvre obtint un contrat de construction de poulaillers et de cages à lapins dans une concession rurale dans la périphérie de la capitale. Ce contrat dura deux semaines. Au retour du jeune homme dans la capitale, le vieux M. T se présenta pour lui dire que le mariage religieux qui aurait dû être célébré, il y a quinzaine de jours n”a pu l”être à cause d”un fâcheux contretemps. Mais il jura que tout rentrerait dans l”ordre dans les 24 heures qui suivent.
La même nuit I. T décida de rendre visite à ses beaux-parents. Le chef de famille était dans salon. Il le salua poliment avant de présenter ses hommages à son épouse assise devant la cuisine. Après s”être acquitté de ces obligations, il revint s”asseoir auprès de son beau-père. Aussitôt qu”il eut pris place il s”entendit dire par une cousine de sa fiancée : "I. T, il faut respecter nos parents. Ils t”ont accordé la main de Djéné parce qu”ils te croyaient bon musulman. Mais tu n”es même pas capable de te montrer digne de leur confiance et de ta foi en célébrant le mariage religieux.."
PAR SON PROPRE PÈRE :
Le jeune homme crut à une plaisanterie entre beaux-frères et belles-sœurs. Mais très vite, il dût se rendre à l”évidence, car le ton utilisé par sa belle-sœur était très sérieux. Il s”avança vers elle et lui dit "mais j”ai remis de l”argent à M. T depuis longtemps pour honorer cet engagement." C”est alors que le père de famille se mêla de la discussion et demanda des explications. I. T les lui donna dans les moindres détails. Le chef de famille écouta attentivement le récit de son futur gendre et arriva à la conclusion que son parrain n”est pas sérieux. Le vieil homme ajouta que M. T lui disait chaque fois qu”ils se rencontraient que son neveu n”était pas encore financièrement prêt.
Très en colère, le jeune homme ressortit précipitamment et se rendit au poste de police pour porter plainte contre son parrain. Au commissariat de police du 10è Arrondissement où il a été convoqué, M. T reconnut avoir utilisé les 50 000 Fcfa pour faire face à des problèmes urgents de sa famille. Mais il s”engagea à les rembourser sous quinzaine.
Quant au père de Djéné, en bon musulman, il a promis de prêter de l”argent à son futur gendre pour l”aider à célébrer son mariage.
Cette histoire ressemble par bien de côtés a une anecdote que nous a contée un homme qui a assisté à notre entretien avec le policier en charge de l”affaire. L”homme est un septuagénaire qui a servi dans la fonction publique comme administrateur civil avant de prendre une retraite bien méritée. Depuis, il s”adonne à l”élevage dans la périphérie de la capitale.
C”était un matin de 1976, raconte-t-il. Ce jour là sa secrétaire lui annonce la présence d”un jeune homme totalement désemparé. Il le reçoit et lui demande l”objet de sa visite. Le jeune homme lui explique qu”il venait d”être victime d”un abus de confiance de la part de son propre père. L”administrateur exige plus d”explications et le jeune lui donne tous les détails. L”adolescent avait informé son père de son désir de prendre en mariage la fille d”un chef de village voisin. Le père l”encouragea puis quelques jours plus tard, il mandata des griots et des émissaires pour demander, à son profit, la main de la fille qui était supposée devenir sa bru. Les parents de celle-ci acceptèrent la demande et le père épousa la fille au nez et à la barbe de son fils. Ce dernier qui n”avait plus que ses yeux pour pleurer, décida de porter l”affaire devant le chef d”arrondissement. Mais rien n”y fit."
G. A. DICKO
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