Fait divers : Dans la solitude

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    Elle était gravement malade et souvent absente pour ses soins. Est-ce suffisant pour que personne ne se soit aperçu de sa mort ?

    Chez nous, au Mali, les modes de vie changent. Cette mutation se traduit très souvent par des actes et des attitudes inédits, parfois inouïs, auxquels nous assistons dans les foyers, les quartiers de nos cités. Il y a seulement une vingtaine d”années, certains phénomènes étaient totalement inconnus dans nos moeurs. Ainsi, les faits divers les plus rocambolesques qui se déroulent aujourd”hui autour de nous, auraient alors relevé d”une folle imagination et de faits que personne n”aurait pu prétendre avoir vécu ou vu.

    Ce n”est plus le cas de nos jours comme l”illustre la mort solitaire à Dioïla, de A.S. communément appelée "Massitan la rousse", une femme de plus de trente ans. Sa disparition est plus à inscrire dans la chronique des morts tristes et regrettables que des décès mystérieux.

    La défunte était secrétaire dactylographe de la commune de N”Garadougou, dans le cercle de Dioïla. "Massitan" avait atterri à Dioïla au début des années 2000, à la faveur de la création des communes. Elle passait les heures de travail dans ladite commune rurale. Mais rentrait en fin de journée à Dioïla-ville. C”est sur l”insistance du nouveau maire que la brave A.S. avait accepté de s”installer définitivement à N”Gara, chef lieu de la circonscription. Elle ne revenait à Dioïla que les week-ends et les jours fériés.

    PERMISSION D”ABSENCE. Il y a environ deux ans, "Masssitan la rousse" est tombée malade. Et son état ne faisait qu”empirer. Elle venait fréquemment à Bamako, où résident ses parents, pour recevoir des soins.
    Quand elle se sentait mieux, elle revenait à Dioïla pour finalement rejoindre sa base. Ces derniers mois, son mal s”était aggravé, l”obligeant de nouveau à redescendre à Bamako pour des soins. Sa grande soeur, désespérée par son état, fût obligé d”arrêter de travailler un moment pour rester à son chevet.

    Lorsque "Massitan la rousse" s”est sentie mieux, une fois de plus elle aurait insisté auprès de sa soeur pour que celle-ci la laisse rejoindre son poste. Elle a justifié son retour par la nécessité d”obtenir de ses supérieurs une permission d”absence. A son arrivée à Dïoila, elle demanda effectivement une permission d”absence au maire. L”édile délivra l”autorisation d”absence sans hésiter eu égard à l”état de santé de son employée. La secrétaire, munie du document, retourna ainsi à Bamako.

    Elle reprit de nouveau le chemin de Dioïla un certain jeudi pour régler des problèmes d”argent. Et le lendemain, Massitan poursuivit sa route sur N”Gara à bord d”un véhicule qui se rendait à Moukandjambougou à l”occasion de la foire hebdomadaire de vendredi. "Massitan" parvint à N”Gara le même jour dans l”après-midi. La jeune femme occupait seule, depuis le départ de son colocataire, une maison de deux pièces dans une concession du quartier Socoura-nord. Elle avait été aperçue à l”autogare, à la place du marché et à son domicile par pas mal de gens, qui lui trouvèrent une meilleure mine. Tout le monde, sans s”en douter, venait de la voir pour la dernière fois. Massitan gagna sa maison, pour ne plus en ressortir vivante. Deux jours plus tard, le dimanche au crépuscule, elle a été retrouvée morte dans sa chambre, assise sur une chaise.

    Le cadavre a été découvert par des enfants jouant au ballon dans la rue longeant la concession où habitait A.S. De temps à autre, le ballon leur échappait et pénétrait dan la cour de "Massitan". Les gosses en allant reprendre la balle ont été assaillis par une odeur nauséabonde. Elle provenait de la porte entrebâillée de la maison d”A.S. Les enfants alertèrent des voisins, assis à l”ombre du mur de clôture de leur concession. Ceux-ci ont confirmé avoir senti ces derniers jours la même odeur persistante. Mais ils ne se doutaient pas de sa source. Ils décidèrent de rechercher l”origine de l”incommodante effluve.

    UNE BELLE PANIQUE. Ils auront la désagréable surprise de découvrir dans sa chambre le corps en putréfaction avancée de la malheureuse "Massitan". Les témoins alertèrent la brigade territoriale de la gendarmerie. A son tour, celle-ci avisa le préfet adjoint qui dépêcha sur les lieux, un agent de santé. L”infirmier constatera que la victime était morte depuis quarante huit heures environ. Les autorités informèrent les parents et proches de "Massitan" en vue d”inhumer le cadavre de la secrétaire dactylo.

    Les enterrements de nuit n”ont plus cours dans la ville de Dïoïla. En effet un serpent avait provoqué, une nuit, une belle panique parmi des gens qui portaient en terre un parent. N”eût été cette interdiction, on aurait enterré A.S. la même nuit tant l”étrangeté de sa disparition avait frappé les esprits.

    Il fut donc décidé d”attendre le lever du soleil. En attendant le corps a été aspergé de désinfectant. Entre-temps, les parents de la pauvre furent informés de la mauvaise nouvelle. Ils rallièrent Dioïla la même nuit, mais ne purent voir le corps de leur sœur. Très tôt le matin, "Massitan la rousse" fut ensevelie dans une relative discrétion.
    Après l”enterrement, toute la journée, à tous les coins de rue, les commentaires allèrent bon train sur les circonstances inédites de ce décès dans la localité. Et certainement sur le drame d”une solitude inconnue dans notre société, il y a encore peu.

    A. B. COULIBALY
    AMAP-Dioïla

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