B.G. qui avait loué les services d’une belle de nuit ne s’attendait aux exigences très particulières de cette dernière.
rn« Le faon retourne toujours à l”endroit où il a l”habitude de téter », disent les Kel Tamacheq. Au Nord Mali, vous ne trouverez personne pour disputer le bien-fondé de cet adage. Dans les régions septentrionales de notre pays, de nombreux événements et même des modes de vie s’organisent selon des rituels éprouvés de longue date et qui se transmettent très souvent de génération en génération.
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rnLes hommes n’oublient jamais les sites qui pour eux évoquent des choses positives et ils s’y retrouvent régulièrement. Ainsi procèdent par exemple les tribus nomades dont les membres se déplacent au gré de l’état des pâturages et en fonction des conditions climatiques. Pour elles, certains lieux sont incontournables. Ainsi autour des points d”eau où les tribus s’installent en saison sèche, chaque hameau connaît son abreuvoir et l”emplacement sur lequel il plante ses tentes. Pendant la bonne saison, les pâturages et les plaines d”exploitation du fonio sont répartis selon les familles et les hameaux. Les ressortissants d”un campement nomade ne sont admis dans une plaine que si l’installation sur celle-ci leur est reconnue par la communauté. Chacun connaît donc son domaine particulier et ne se lasse pas d”y retourner au fil des saisons.
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rnDans des circonstances beaucoup moins honorables, la force de l’habitude joue aussi. Ainsi en est-il du milieu de la prostitution. D’une part, les belles de nuit se repartissent les clients. Chacune fidélise son quota d’amateurs de plaisirs tarifés et n”hésite pas à interpeller sa rivale lorsque celle-ci se hasarde à essayer de capter un client déjà pris en main. Le même phénomène se retrouve en miroir chez les clients. Certains hommes ont leurs préférées et n’ont recours qu’aux services de ces dernières. Il leur arrive même de les faire venir par appel téléphonique. Les liens qui finissent par s’établir au sein de ces couples particuliers sont parfois plus forts que ceux qui unissent des ménages honorables. Cependant aucun des deux conjoints n’essaie de faire évoluer la situation, client et prostituée restent chacun dans son rôle.
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rnDans le cas qui nous intéresse aujourd”hui, le couple n’est pas constitué de vieux habitués et ce qui a fait revenir le faon, c’est le fait que sa tétée a été interrompue. Les protagonistes de notre histoire sont B.G. un travailleur manuel et F.T. une professionnelle du sexe. Tous deux se sont connus au Bar Bilaba de Sénou. Il y a exactement deux semaines, après une rude journée passée à tracter une charrette à main, B.G. ressentit le besoin de se défouler. Il prit ses recettes du jour et se rendit au bar, bien connu de la faune des noctambules bamakois.
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rnUNE CONSIGNE INACCEPTABLE : Parmi les filles présentes ce jour là, ce fut F.T. qui tapa dans l”œil de notre homme. Les négociations ne s’éternisèrent pas. Ils convinrent d’une passe à 1000 F et l”homme loua une chambre pour une heure. La femme le rejoignit et lorsqu’ils furent au lit,. B.G. voulut se livrer à certains préliminaires avant d’aborder l’essentiel. Mais à peine avait-il commencé que F.T. lui saisit fermement la main et lui demanda de ne plus la toucher. Le jeune homme fut interloqué par cette mise en garde. « Comment veux-tu alors que je m’y prenne ? », demanda-t-il à sa partenaire. Cette dernière haussa négligemment les épaules. « Arrange-toi comme tu peux, mais limite-toi à ce que tu as à faire », dit-elle.
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rnL’étrange consigne s’avérait inacceptable pour B.G. qui répéta sa question. Et reçut la même réponse. Notre homme entra alors dans une violente colère et proposa à sa partenaire d’en rester là. Comme la fille n’était pas disposée à lui rendre son argent, le jeune charretier passa un accord avec elle. Elle garderait les 1000 francs en guise de paiement anticipé pour une passe et il consommerait celle-ci plus tard. Le marché convenait à F.T. Le jeune la quitta donc pour une autre prostituée moins compliquée.
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rnDeux semaines plus tard, plus précisément dans la nuit du 4 au 5 décembre dernier, B.G. retourna au bar et tomba sur son ancienne partenaire. Il prit une chambre et l”invita à le suivre. F.T. l”accompagna sans poser de problème. Une fois dans la chambre, alors que l”homme s’était déjà entièrement déshabillé, la prostituée lui demanda brusquement s’il savait désormais comment s’y prendre pour respecter la consigne qu’elle lui avait donnée la fois précédente. B.G répondit par la négative et la femme voulut ramasser ses affaires et l’abandonner avec comme seul compagnon son désir inassouvi. Mais cette fois-ci, l’homme refusa de se laisser faire. Il agrippa F.T. par le cou et lui dit vertement que ce qu”elle demandait était impossible.
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rnNU COMME UN VER : Comme la fille se débattait pour lui échapper, le jeune homme se mit à lui serrer la gorge, l’amenant au bord de l’asphyxie. F.T. rassembla ses dernières forces pour pousser un cri perçant qui rameuta les employés du bar.
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rnComprenant qu’il s’était mis en danger (les tenanciers de bar sont sans pitié avec les fauteurs de troubles), B.G. ne perdit pas de temps à chercher ses chaussures et ses habits. Il prit ses jambes à son cou, nu comme un ver et s”évanouit dans la nature. Mais pour F.T. l’affaire ne pouvait s’arrêter là. Elle rassembla les affaires de son client et alla les présenter aux usagers du bar. Certains d’entre eux connaissaient effectivement B.G. et donnèrent ses coordonnées à la prostituée. La fille qui avait eu le manutentionnaire comme client la fois précédente vint corroborer ces renseignements. Le lendemain, F.T. se présenta donc à la police et déposa une plainte contre B.G. pour coups et vol caractérisé. Le délégué du commissaire du 10e arrondissement à Senou fit rechercher le jeune homme que les enquêteurs trouvèrent au marché en train de pousser sa charrette.
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rnConduit au commissariat de Niamakoro, B.G. n”hésita pas dans sa défense. Il raconta en détails à l”inspecteur principal Maria Dama Sidibé les événements de la nuit passée. Amenée pour une confrontation, la prostituée confirma la véracité du récit de son client. Mais pour ne pas mettre les torts de son côté, elle jura que B.G. en prenant la fuite avait emporté avec lui son portefeuille et son téléphone cellulaire.
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rnAu passage de notre équipe, l
”homme était interrogé sur cette affaire de téléphone. Il rejetait en bloc les accusations de la dame. « Comment pouvais-je penser à prendre ce téléphone, alors que je n’ai même pas eu le temps de songer à m’habiller ? expliquait B.G. Vous croyez que quelqu’un fuit nu par plaisir ? J’ai certes serré le cou à cette dame, mais c’était parce qu’elle ne voulait ni me laisser consommer, ni me rendre mon argent ». Pour les policiers, les dénégations du jeune homme tiennent la route. Mais avant de trancher sur le sort qu’ils vont lui infliger, ils tiennent à vérifier quelques détails. En attendant, le faon doit bien regretter d’avoir voulu revenir à la tétée.
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rnG. A. DICKO
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