Au téléphone, il se faisait passer tantôt pour un français de France, tantôt pour un paysan dans une bourgade malienne avec une parfaite imitation des accents respectifs. Il réussissait son coup huit fois sur dix. Il est parvenu à soutirer plus de 7 millions F CFA à ses victimes. L’Epervier du Mandé a mis fin à sa carrière.
ll s’appelle Mohamed… Touré ou Sangaré si l’on en croit à la fois ses déclarations et les pièces trouvées en sa possession. Affectueusement appelé Momo, il est Etudiant à l’ENA en 2ème Année. Signe particulier : Genre beau garçon, angélique ; jeune et d’une intelligence hors du commun. Capable d’un dédoublement de personnalité de manière spontanée. Méthodique et fin calculateur ; Maîtrise parfaite du français et du bambara. Difficile pour ses victimes de résister à son charme. A tout pour être un parfait escroc. Sa stratégie était renversante par sa simplicité mais admirable par son efficacité.
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Se procurer de manière anodine le numéro de téléphone de ses victimes
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Le mois dernier, à la faveur d’un festival auquel ont pris part de nombreux artistes de renommée, Momo parvint à se procurer le numéro de téléphone de Nènè Souraka Sy. Pour ceux qui s’en souviennent, c’est la nuit où Mangala Camara, dans une de ses envolées lyriques déclara de manière indécente ses flammes à Oumou Sangaré. Momo était là. Il déambulait entre les artistes, faisant des photos par ci, engageant d’agréables conversations par là. Il identifiait ainsi ses prochaines victimes et leurs proches. Les entretiens avaient pour but de connaître les habitudes et la personnalité de ses prochaines cibles. Il parvenait rapidement à établir un rapport entre plusieurs individus par le jeu de la probabilité. Si X était l’ami de Y qui connaissait à son tour Z, alors il était possible de se faire passer pour X de la part de Z par l’intermédiaire de Y. Et l’ami de mon ami étant mon ami… Il se débrouillait ainsi à avoir le numéro de téléphone au moins d’un proche de l’artiste Nènè Souraka Sy. Il ne se précipitait cependant pas pour appeler ce dernier en se faisant passer pour un des siens. C’était trop facile et c’aurait même été une insulte à l’intelligence de Momo. Il attendit le bon moment, soit un mois plus tard.
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Le coup des jeunes français de Flabougou
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Il appela alors l’ami de l’artiste en question en se faisant passer pour Eric, un français de France en compagnie de ses amis au nombre de six ou huit (filles et garçons) et en route pour Bamako. Il soutenait faire partir du cercle des amis de Nènè Souraka Sy par le truchement de laquelle, il aurait ainsi obtenu le numéro de téléphone de son correspondant. Il venait de la France en compagnie de ses amis avec leurs deux véhicules 4X4 marque « Touareg » quand ils ont eu une panne non loin d’un village du nom de Flabougou sur la route de Ségou. Tout cela était dit dans un français impeccable et avec l’accent d’un français de France. Il demandait par la suite à son interlocuteur de le procurer juste un crédit de recharge pour le téléphone d’un paysan qui a bien voulu les aider en mettant son appareil portable à leur disposition. Ils pourront ainsi appeler la France d’où ils viennent afin d’obtenir les pièces de rechange des voitures en panne et reprendre la route pour la capitale. Il promet alors de faire affaire avec son sauveur une fois à Bamako.
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Le paysan de Flabougou prenait la parole à son tour et, avec l’intonation d’un berger ou d’un cultivateur bambara, confirme toutes les déclarations de Eric. Il regrette de ne pouvoir venir au secours des «petits français » par faute de crédits de recharge pour son téléphone. Mais tenez vous bien : Eric et le paysan ne faisaient qu’une et une personne. Du Parisien bon teint, BCBG (Bon Chic Bon Genre), il pouvait devenir le bouseux et le pèquenaud de la bourgade la plus reculée du pays avec une parfaite imitation de l’accent du milieu. Difficile pour un interlocuteur au téléphone d’y voir une supercherie.
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De jeunes français avec des véhicules «Touaregs» qui demandent juste des cartes de recharge et avec qui il est possible de faire affaire, s’interrogeait en douce la victime ? L’appât du gain facile et la crédulité font le reste. L’ami de Nènè Souraka Sy, comme tant d’autres (plus d’une dizaines pour l’instant), ont joué le jeu. Certains se sont même précipités non seulement pour envoyer des cartes de recharge d’une valeur de plus de 200.000 F CFA par à-coups, mais aussi, pour prendre toutes les dispositions utiles afin de dépanner « les pauvres petits français » en difficulté avant que les pièces défectueuses de leurs véhicules n’arrivent de France.
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Parmi les victimes, on retrouve souvent de hauts responsables qui ont aujourd’hui honte de se faire connaître. Ils n’ont pas imaginé qu’ils pouvaient être victimes d’une telle arnaque doublée d’escroquerie. Et pourtant…L’ami de Nènè Souraka Sy n’était qu’une petite proie que n’aurait rapportée que 100.000 F CFA. Le gain de toutes les opérations est estimé à plus de 7 millions F CFA
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Pourquoi des cartes de recharge !
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Naturellement, Momo dit Eric, le Français de France et ses amis, ne se trouvaient ni à Flabougou sur la route de Ségou ni dans le désert non loin de Gao (il utilisait souvent ce parcours). Ils se trouvaient à Bamako et nulle part ailleurs. Les cartes, ou du moins, les numéros de recharge qu’envoyaient les victimes étaient destinés au marché. Une carte de 25.000 F CFA était ainsi cédée à 20.000 F afin de faciliter son écoulement. Des revendeurs et clients potentiels étaient dans le rouage. Certains ont innocemment cru que leur fournisseur, Momo, était un agent d’une des sociétés de téléphonie et qu’il avait des facilités ou des faveurs du service.
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D’autres étaient, tout simplement, des complices actifs. Tous, ont été arrêtés pour recel et mis en demeure de restituer le butin mal acquis. Les victimes ont commencé, dès le samedi jour de l’arrestation des escroc, à se faire connaître afin rentrer dans leurs droits. Nombreuses sont celles qui ne veulent pas se faire connaître. Laissons les méditer encore sur leur bêtise. Mais comment diable, notre escroc a été démasqué ?
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Quand deux génies s’affrontent
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A chaque opération, l’escroc utilisait un numéro différent afin de brouiller les pistes. Ceci est d’autant plus facile que les puces téléphoniques sont presque gratuites. Quand les premiers plaignants se sont fait connaître, l’affaire fut confiée à l’Inspecteur Principal Papa Mambi Keïta surnommé l’Epervier du Mandé, un flic également d’une intelligence hors du commun. Il avait presque pour mission d’arrêter une ombre, un fantôme. Les victimes ne se souvenaient que de la voix et de l’accent.
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La seule chose dont elles étaient convaincues, c’est qu’il s’agissait d’un français du nom de Eric. Aucun doute là-dessus. N’eut – été son expérience en la matière, l’Epervier allait se lancer à la recherche d’un petit délinquant français. Mais il soupçonnait Eric de ne pas être celui pour qui il tente de se faire passer aux yeux de ses victimes. Cela reste à vérifier. Pour l’instant, direction la société de téléphonie à laquelle sont abonnées la plupart des victimes et l’escroc lui-même.
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Des traces de transfert de crédit et même de toutes les autres opérations doivent encore bien existées dans la mémoire des machines. Ces outils, contrairement à ce que certains usagers croient, sont stupides et surtout traîtres. Ils sont mesure de révéler au monde entier vos petits secrets que nul n’a jamais soupçonné.
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Ce fut donc chose facile de ramener à la surface toutes les opérations de transfert de crédits effectués d’abord par les plaignants et ensuite par les destinataires des envois. Muni de ce document, l’Epervier se pencha sur les résultats pour les recoupements. Certains numéros revenaient régulièrement. Méthodiquement, il écartait toutes les hypothèses impossibles et isolait celles probantes.
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De fil en aiguille, il parvint à identifier au moins cinq numéros suspects et appela un d’eux. C’était un des destinataires des envois. Qui tue par l’épée périra par l’épée, dit-on. Le suspect fut invité à aller prendre quelque part un nouvel arrivage. Il ne se méfia pas. C’était son boulot. C’est là qu’il fut pris. Il vendit la mèche, toute la mèche et le reste fut un jeu d’enfant. Les enquêteurs remontèrent jusqu’à Eric. Il était domicilié à l’ACI où il fut arrêté à sa grande surprise. « Comment avez-vous fait ? », interrogea-t-il les flics. Il eut droit à une seule réponse sur laquelle tous ces génies ou ceux qui croient l’être, se doivent de méditer: «N’y a pas plus idiot que celui qui pense être plus futé que son prochain». Eric le Français de France a tout simplement pêché par excès de suffisance.
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B.S. Diarra
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