Dans beaucoup de parties du monde, la formation des grandes métropoles et des mégapoles s’est accompagnée de celle de leurs dépendances, les banlieues. Celles-ci sont nées à l’ère industrielle pour servir de logis aux ouvriers travaillant dans les usines jouxtant les grands centres urbains. Elles sont d’abord apparues dans les grandes villes industrielles d’Europe et d’Amérique avec comme fonction principale d’accueillir le trop-plein des villes qui ne pouvait y habiter. D’où le terme péjoratif de cité-dortoir utilisé souvent pour les décrier parce que dans les faits, c’étaient les ouvriers qui y venaient dormir la nuit pour repartir le lendemain.
Au départ la plupart de ces ouvriers, ceux des XVIIIe et XIXe siècles étaient célibataires, mais par la suite beaucoup se sont mariés et ont fait des enfants, ce qui fait que maintenant les banlieues d’Occident ressemblent à des villes dans la ville.
En France, à partir de 1945 une proportion importante d’ouvriers d’origine étrangère, vivant en banlieue s’est considérablement mélangée et une culture particulière différente de celle du pays d’accueil s’y est développée qui est méprisée par les Français métropolitains. Il en va de même pour presque toutes les grandes villes d’Europe qui ont leurs lots de banlieues à gérer. L’ampleur du phénomène a conduit les pouvoirs publics à prendre des mesures visant à rendre agréable le cadre de vie dans les banlieues en y construisant des infrastructures scolaires, sanitaires et sportives.
En conséquence les banlieusards, généralement des travailleurs d’origine étrangère vivent entre eux avec leurs particularismes et les nationaux, surtout ceux de la haute bourgeoisie, font tout pour les empêcher de déferler sur eux.
Au Mali, les banlieues datent des années 1970, date à laquelle où, selon beaucoup d’observateurs, Bamako n’était encore qu’un gros village. Notons d’ailleurs au passage que nos villes anciennes comme Tombouctou, Gao ou Diré étaient plutôt flanquées de hameaux de culture et non de banlieues. Celles-ci n’apparurent chez nous que dans le train de la colonisation, même si le phénomène urbain ici est antérieur de plusieurs siècles au fait colonial.
Sous la colonisation, les villes se développèrent rapidement. L’accroissement constant de la population urbaine et le manque de logements au centre-ville ont poussé des citadins à se débrouiller seuls et à se rabattre sur les périphéries de la ville pour les transformer en maisons d’habitation. La plupart des grandes familles fondatrices de Bamako avaient dans les périphéries des champs, des vergers et des concessions rurales ; leurs héritiers en vendirent tout ou partie aux demandeurs de terres qui avaient les moyens. Les dépendances de Bamako sont aussi nées et il est plus juste de parler de quartiers illégaux que de banlieues, ou le faible niveau d’industrialisation de la ville et les occupations de leurs habitants qui comptent très peu d’ouvriers.
A l’opposé de la banlieue occidentale qui est née de l’industrialisation, la nôtre ou ce qui en tient lieu a surgi du surpeuplement de la ville et du manque de logements. Nos banlieues sont remplies de ruraux, de ressortissants des régions de l’intérieur et d’étrangers, soit de la sous-région soit d’Afrique centrale. Les natifs des vieux quartiers traditionnels (Bozola, Niaréla, Bagadadji ou Bamako-Coura) n’y vivent presque jamais ; si par hasard, on en voit un, c’est qu’il est déconnecté avec son milieu et rejeté par les siens. D’autant plus que les banlieues ont très mauvaise réputation et apparaissent pour de nombreux citoyens comme des zones dangereuses.
Elles ont, le plus souvent, une vie à cheval entre la ville et le village, c’est-à-dire que leurs habitants ne sont ni des ruraux ni des citadins ; généralement issus de l’exode rural, ils portent tous les marques de leurs origines et la banlieue elle-même se présente comme la copie pâle du village avec les mêmes manifestations, les mêmes occupations et les mêmes mœurs. Tous les quartiers périphériques de Bamako se terminant pour « bougou » en font partie.
Autant les banlieues d’Europe sont équipées, autant les nôtres manquent d’infrastructures et sont laissées à elles-mêmes. La pauvreté générale y règne, les dures conditions de vie de leurs habitants en font des zones de violence aveugle et de criminalité gratuite. Selon certains rapports de police, tous les grands criminels, les grands voleurs et les bandits de grand chemin sont tirés dans les banlieues, la police sait qu’ils y sont, mais n’osent aller les déloger, préférant les laisser terroriser les paisibles citoyens.
Il semble aussi que la plupart des prostituées qui déferlent sur le centre-ville proviennent des banlieues, de même que les vendeuses de cacahuètes, de bananes, d’arachides et d’autres friandises encore. Quand on sait que les enfants des mêmes banlieues sont aussi des délinquants notoires, on ne peut que penser que ce sont elles qui rendent ingouvernable et invivable cette cité.
Facoh Donki Diarra“