Des trafiquants de drogue au sommet de l’Etat

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    C’est une information des plus embarrassantes qui circule, avec insistance et récurrence, dans un milieu précis : le trafic de drogue et le blanchiment d’argent ne sont plus l’apanage de la seule pègre.

    Depuis quelques années, ce sont des fonctionnaires ou des officiers très haut placés qui fricotent avec ce milieu criminel. Depuis deux mois, nous avons interrogé une vingtaine de sources susceptibles de nous éclairer définitivement sur le sujet. Mais, apparemment, ceux qui savent se taisent et ceux qui ne savent pas ne se renseignent pas. A part des sourires ou des moues dubitatives, rien ne filtre. Même auprès des services de renseignement des chancelleries occidentales, c’est la prudence sinon l’évitement. On a le sentiment que le sujet a l’aspect d’une bombe que personne ne veut faire exploser.

    Pourtant, au début du mois de juillet, nous avons reçu une information qui ne saurait être mise en doute : le département d’Etat américain a officiellement classé, par note confidentielle, le Mali, parmi les pays à haut risque. Le Septentrion de notre pays est devenu une base de transit importante pour l’acheminement de la drogue vers l’Europe et ce constat implique nécessairement des complicités locales. En septembre dernier, le ministre marocain de l’Intérieur, lors d’un point de presse, rapportait que l’important réseau démantelé dans le royaume chérifien avait sa tête dirigeante au Mali. Le patron de cette filière, un ressortissant vénézuélien illégalement installé au Mali et son bras droit, un Espagnol, ont décapité leur compère roumain avant de le trancher à la tronçonneuse. Une méthode loin des pratiques de la mafia classique mais une barbarie plutôt typique des cartels sud-américains et de leurs nouveaux alliés, la pègre est-européenne, principalement russe.

    Il ressort des investigations de police que le trio avait pignon sur rue à l’ACI 2000, sur la même rue que le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Après l’arrestation des assassins, les rares voisins qui ont osé parler du sujet ont noté des faits troublants : non seulement les trois étrangers ne se cachaient pas, mais aussi, ils recevaient en plein jour, des « personnalités importantes » de la République et avec lesquelles ils concluaient des « affaires ». Ils circulaient à bord de « grosses cylindrées et ne faisaient nullement mystère de leur grande richesse » ajoute un témoin. « Toutes les nuits, ils étaient dans les boîtes de nuit les plus huppées de Bamako, le champagne coulait à flots et ils gaspillaient l’argent comme s’ils le ramassaient » raconte une prostituée qui les a souvent eus comme clients. Avant le triste épisode de l’assassinat de leur homme de main, ces hommes n’ont jamais été inquiétés par la police, la gendarmerie ou les services secrets. Simplement pour leur demander leurs sources de revenus et les raisons de leur présence sur le territoire national.

    Et, pour revenir aux complicités actives dont bénéficient les narcotrafiquants, principalement ceux qui ont abandonné la Guinée Bissau pour se rabattre sur le Mali, nous avons obtenu une information à l’effet qu’une personnalité de très haut rang est suspectée par les Américains depuis plusieurs mois. Un informateur nous précise : « Je ne sais pas exactement pourquoi, mais la dernière fois qu’il voulait se rendre aux Etats-Unis avec un ordre de mission dûment signé de la primature, le consulat de ce pays a rejeté la demande aux motifs qu’il est interdit de séjour » au pays de l’Oncle Sam. Selon notre source, le consulat ne lui a pas spécifiquement dit ce qui lui était reproché. Elle ajoute que d’autres personnalités sont concernées par ces soupçons et qu’elles ont aujourd’hui peur de se rendre même en Europe pour éviter les mauvaises surprises.

    De l’analyse de toutes les informations, une vérité s’impose : le Mali n’est plus un pays à la marge des réseaux de trafic de stupéfiants. Le mal a atteint des proportions inquiétantes. Le fruit du blanchiment d’argent, de l’aveu même de Transparency International, sert aux investissements massifs dans l’immobilier, les tripots qui servent de maisons de passe et les véhicules de luxe, ce qui d’ailleurs explique l’explosion du parc automobile depuis 2005. Et il est techniquement impossible qu’un tel phénomène s’installe dans un pays sans des complicités et des protections de haut niveau. Car, même si le trafic et le transit ont essentiellement cours dans le grand Nord, le blanchiment et les investissements fonciers concernent Bamako, sa proche ou lointaine banlieue et accessoirement, des villes comme Ségou ou Sikasso. Et il n’est pas sûr que la lenteur excessive et surtout le manque de zèle constatés dans la mise en place d’organismes et de structures de répression ne soit le simple fruit du hasard. Il est bien possible que les intérêts en jeu aient atteint un tel niveau que toute lutte devienne purement puérile.

    Le Gouvernement du Mali ne communique quasiment jamais sur le sujet. A part les rares apparitions télévisées de petits dealers alpagués par la police, c’est le silence radio total sur l’ampleur du phénomène et les complicités possibles. A ce jour, la population malienne n’a obtenu aucune information crédible et détaillée sur le Boeing qui s’est embourbé dans les sables de la région de Gao avant d’être incendié. Même si elle a reçu le sobriquet Air Cocaïne, l’affaire est traitée dans une discrétion suspecte sinon tout bonnement enterrée. Et pourtant, la communauté internationale, et principalement les pays occidentaux victimes des trafiquants et menacés dans leur sécurité, ne continueront pas longtemps à fermer les yeux sur le cas malien. Les Américains, en premier lieu, seront ceux qui prendront le sujet fermement. Quitte à causer des dégâts chez nous. Et, malheureusement, quand cela arrivera, le remède sera pire que le mal.

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