Dans l’univers des coépouses (5): la solution du désespoir

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    Que faire quand tout va mal et que le contrôle des événements vous échappe ? Choisissez la surenchère

    L’amant s’était éclipsé subrepticement. Awa, tout en haranguant son mari, se rhabilla en quatrième vitesse et suivit son homme dans sa retraite. Elle ne l’épargna que le temps qu’ils traversent le hall et la réception de l’hôtel. Mais une fois dehors, elle reprit sa diatribe : “Quelle sorte d’homme es-tu donc pour que ces deux imbéciles (elle parlait de Fanta et de Oumou) puissent te mener ainsi par le bout du nez ? Elles t’ont monté la tête et tu t’es lancé dans cette opération ridicule. Est-ce que tu t’es rendu compte que tu vas m’obliger à baisser les yeux devant elles ? Comment pouvais-je me prétendre leur égale sans contribuer aux frais du ménage ? Est-ce que j’avais le choix pour me trouver de l’argent ? Réponds-moi donc, toi qui veux me donner des leçons ?” Issa ne pipait mot. Il marchait, les mâchoires serrées, la tête bourdonnante. Awa restait sur ses talons, en train de le harceler. “D’ailleurs, pourquoi t’en prends-tu à moi seule poursuit elle ? Pourquoi ne dis-tu rien à Oumou ? Tout le monde, sauf toi, sait qu’elle se fait sortir par ses chefs de service. Il y a eu Zoumana pendant un temps et maintenant, c’est Namory.

    Elle te dit qu’elle est obligée de rester pour faire des heures supplémentaires. Et toi tu n’as jamais remarqué, que ces heures supplémentaires tombaient uniquement sur ses jours libres ? Parce qu’elle n’osera jamais empiéter sur les nuitées qui te sont réservées de crainte que tu ne te rendes compte qu’elle te trompe”. Issa n’avait même plus la force de réclamer le silence à sa femme. Il trouva un taxi pour rentrer à la maison et dans lequel Awa aussi s’engouffra à sa suite. Pour sauver les apparences, il fit arrêter le véhicule à plusieurs centaines de mètres de la maison. Issa demanda à sa femme de rentrer seule. Lui allait tuer un peu le temps au « Grin ». Puis il la rejoindrait. Cet après midi là, assis au milieu de ses amis, notre homme se montra particulièrement taciturne. Puis n’y tenant plus, il appela de côté son meilleur ami et lui raconta son infortune. L’autre poussa un énorme soupir : « Awa, dit-il, a raison sur au moins un point. Tu n’aurais jamais dû essayer de la suivre pour vérifier. Il faut savoir être réaliste. Lorsque tu ne peux pas changer quelque chose, fais semblant de l’ignorer. Tu ne peux pas exercer de représailles sur Awa et tu n’auras pas le courage de la chasser. Elle le sait, tu le sais. Alors maintenant que cela reste entre vous, et que personne ne soit au courant de la bêtise que tu as commise aujourd’hui. »

    Tué par le chagrin – Issa voulut protester. Mais en y réfléchissant un peu, il se rendit compte que le conseil de son ami Kader était sage. Trois jours plus tard, c’était au tour de Awa de l’accueillir. Il voulut la “boycotter”, mais la femme était trop fine pour ignorer ce qui pouvait éveiller les sens de son mari. Elle parvint donc très rapidement à dégeler son homme. Ce dernier, un peu honteux de sa faiblesse, finit par se déchaîner. Avec rage il se surpassa cette nuit là, en pensant que cela enlèverait à son épouse l’envie d’aller voir ailleurs. D’ailleurs durant les deux jours, il ne mit pas le nez dehors. Il laissait Awa sortir uniquement pour préparer le repas et la faisait revenir au lit dès qu’elle rentrait. La femme heureuse de cette ardeur inattendue ne lui posa pas aucune question puisqu’elle sentait que si Issa la martyrisait de la sorte, c’était sa façon à lui de se venger. Une douce vengeance qu’elle appréciait et que nos anciens traduisent en la qualifiant de : « Kèlè ban kèlè » qu’on pourrait traduire par : la bagarre créée pour éteindre une ancienne bagarre. Mais dans les jours suivants, elle n’interrompit pas pour autant ses escapades. Seulement, elle le faisait de manière plus discrète. Issa était mortifié. Et une nuit, il oublia les conseils de son ami. Il raconta tout à Fanta dont c’était le tour. La confession de Issa fut longue et détaillée. La première épouse avait une qualité que son mari appréciait : elle savait écouter. Lorsque le maître de maison se fut soulager le cœur, il attendit avec anxiété les conseils de Fanta. Il craignait par dessus tout ce que celle-ci suggère d’abandonner Awa. Car malgré tout ce que la traîtresse lui avait fait subir, il continuait à l’avoir dans la peau comme on le dit. Fanta était trop avisée pour proposer une solution que son mari n’accepterait jamais. Aussi elle prit le problème de manière oblique. « A ta place, dit-elle, j’irai voir un bon devin. A mon avis, Awa a une aura maléfique. N’oublie pas qu’elle est veuve et que d’après ce qu’on raconte, son premier mari est mort ruiné. On m’a dit que c’était plus le chagrin de sa déchéance que la maladie qui l’a tué. Notre petite sœur est une malchanceuse. La preuve en est que depuis qu’elle est ici, tu n’as plus retrouvé de travail alors que dans le temps, tu enchaînais chantier sur chantier. Alors, va voir un homme de science réputé. Il te confirmera certainement ce que je te dis là. Et ensuite il te donnera un moyen de te désenvoûter de l’influence de cette femme. Car je suis certaine qu’elle t’a lancé un sort non seulement pour que tu sois physiquement dépendant d’elle. Mais encore pour que tu acceptes de manière passive toutes les infidélités qu’elle te fait subir ». Le diagnostic de Fanta laissa Issa très troublé. « Je vais réfléchir à tout ce que tu m’as dit, finit-il par déclarer. Mais écoute-moi bien, si jamais j’entends au dehors un écho de notre conversation, je te répudie sur le champ. En attendant, je te remercie, les choses sont désormais plus claires dans mon esprit ». Fanta eut un petit sourire satisfait. Elle pensait avoir convaincu son époux de jeter dehors Awa.

    Il fallait seulement lui laisser le loisir de mettre les formes. Cette nuit là, depuis très longtemps, elle s’endormit d’un sommeil profond. Mais Fanta aurait été beaucoup moins rassurée si elle avait su quelles étaient en réalité les pensées qui traversaient l’esprit de son mari. Quand ce dernier avait dit que les choses étaient claires pour lui, il jugeait que le ménage à quatre avait atteint ses limites. Même avec deux femmes qui, comblaient physiquement toutes ses attentes, il n’était pas heureux. Jeter dehors Awa équivalait pour lui à reconnaître sa défaite et à arranger les affaires des amants de la quatrième épouse. Ce serait aussi donner raison à tous ceux qui lui avaient dit : que cette femme était une pointure trop grande pour lui et qu’il ne parviendrait pas à la conquérir, encore moins la conserver. Pour Issa, il n’y avait qu’une manière pour lui de retrouver son prestige de chef de famille. C’était de trouver une vraie rivale à Awa, une femme qui montrerait à la quatrième épouse qu’elle n’était plus la préférée de son mari. Il y avait cependant deux difficultés dans la réalisation de ce plan. La première était que Issa avait atteint le quota maximum que lui autorisait la religion, c’est à dire quatre femmes. Que faire d’une cinquième ? Mais sur ce plan, notre homme, avait son idée en tête. Il ferait comme font de nombreux Maliens. Il se limiterait au mariage religieux.

    Aux yeux de la loi, la dernière venue serait illégitime. Mais aux yeux de la coutume, elle pouvait prétendre de la part de son époux au même traitement que ses grandes sœurs. La seconde difficulté était moins facile à résoudre. Où trouver l’oiseau rare ? Issa n’avait pas envie de retomber dans la même erreur qu’avec Awa. Il lui fallait une compagne qui serait physiquement à son goût. Sur ce point, il n’avait pas envie de transiger. Mais elle devrait aussi pouvoir concurrencer Awa sur le plan de la beauté. Et sur le plan de la moralité, il fallait qu’elle soit irréprochable. Issa ne voyait aucune femme parmi ses connaissances qui réunissait tous ces critères. En outre, il se voyait mal demander à ses amis du « Grin » de l’aider à mener à bien son entreprise. Il se doutait de la réponse indignée qu’ils lui feraient. Le casse-tête restait donc entier pour notre homme.

    Le maître et le meilleur – Avec les problèmes qu’il vivait à domicile, Issa avait cessé de venir à son « Grin ». Ses camarades en firent d’abord incidemment la remarque, puis au fur et à mesure que l’absence de leur compagnon se prolongeait, ils se montrèrent franchement inquiets. Comme personne ne savait exactement de quoi il en retournait, Ladji suggéra qu’une petite délégation de trois à quatre personnes aille prendre des nouvelles à la source. La mission, après quelques hésitations, se constitua au bout du dixième après-midi au cours duquel l’absence de Issa avait été constatée. Ladji, Famoro, Bayoro et Kader se dévouèrent pour cette tâche. Tout le monde savait l’admiration que Issa éprouvait pour le premier à la manière dont celui-ci tenait ses quatre épouses. Le dernier, Kader, était comme tout le monde le savait son meilleur complice. Leur arrivée fut accueillie avec un visible soulagement par Fanta et Oumou, tandis que Ami et Awa ne manifestèrent qu’un intérêt poli devant les blagues des amis de leur époux. Les premières voyaient dans cette visite, l’occasion de sortir leur chef de famille de son inquiétant état de prostration. Les secondes, sûres de leur influence sur Issa, se moquaient bien de ses états d’âme. Après les salutations et les plaisanteries d’usage en pareil cas, les hommes restèrent entre eux sous le hangar au milieu de la cour. Issa se montra évasif devant les questions qu’on lui posait sur les raisons de sa longue retraite. Il ressortait néanmoins de ses réponses lâchées comme à contrecœur qu’il avait dû garder le lit pendant deux ou trois jours à cause d’une crise de paludisme. Physiquement, il se ressentait encore de sa maladie. Il essayait de reprendre des forces, mais il avoua que ce n’était pas du tout facile de trouver un peu de repos. Issa poussa un soupir en faisant cette réflexion et il jeta un regard significatif vers ses épouses. Bayoro taquina les femmes. Il les traita de “dévoreuses d’homme” et leur demande d’épargner la vie de leur mari, en mettant un holà à leurs exigences effrénées. “En tant que cadavre, il ne vous servira à rien”, dit-il. Tout le monde éclata de rire et l’atmosphère passablement guindée au départ se détendit. Puis le groupe évoqua la situation de Issa qui se trouvait toujours au chômage. Famoro indiqua à son ami qu’un chantier important se préparait et qu’en tant que fonctionnaire à l’Urbanisme, il essaierait de donner un coup de pouce à Issa. Il ne pouvait rien lui promettre dans l’immédiat, mais si le contremaître lui confiait une proposition de service, il ferait tout pour lui trouver une embauche. Ce n’était pas encore une solution, mais cela constituait déjà une note d’espoir. Les amis prirent congé non sans avoir taquiné une fois de plus les femmes. Ladji avait coincé Fanta de côté et leur palabre à deux n’échappa à personne. Quand ses visiteurs se retirèrent, Issa, comme réconforté par la sollicitude du grin, reprit du poil de la bête. Il houspilla à haute voix Ami qui était de “service conjugal” cette nuit et s’étonna que l’eau de son bain ne soit pas encore chaude. Le regain d’énergie du chef de famille se répandit dans toute la cour et la maison sembla se réveiller avec le crépuscule qui descendait. L’autorité ressuscitée de leur époux n’échappa à aucune femme et toutes s’empressaient pour se trouver une occupation alors qu’auparavant elles passaient des heures assises sur des escabeaux ou des chaises devant leur appartement à ne rien faire. Ce fut également un chef de famille requinqué malgré une nuit d’amour épuisante passée dans le lit de Ami, qui vint le lendemain au « Grin ». Issa avait utilisé la journée à réunir les pièces de son dossier, qu’il remit à Famoro. Sa combativité retrouvée n’échappa à personne et les membres du « Grin » furent heureux de constater, qu’il était bel et bien sorti de sa prostration. Issa ne resta pas longtemps au « Grin ».

    Visiblement il avait hâte de rentrer. D’abord parce qu’il avait envie de remettre de l’ordre dans sa concession passablement délaissée ces derniers temps ; mais surtout parce que Awa, objet de son ressentiment, était de service cette nuit et qu’il se sentait des envies de lui faire passer une soirée très agitée. C’était là sa façon à lui de montrer qu’il restait le maître et le meilleur. La quatrième femme commençait à être troublée par le comportement de son époux. Au départ, elle avait accueilli l’attention exceptionnelle de son mari comme un hommage à ses qualités physiques. Mais elle finit par comprendre qu’il y avait quelque chose de brutal dans les assauts amoureux de l’homme. Elle sentait en Issa une volonté de l’épuiser, mais elle ne comprenait pas pourquoi. Comme son mari s’était encore emparé d’elle après qu’elle l’eut réveillé pour son bain matinal, Awa finit par lui demander : “Quel médicament as-tu donc pris pour me malmener de la sorte ?”.

    Une remarque imprudente – Issa grogna une réponse dans laquelle on pouvait comprendre qu’il n’avait pas besoin de se doper pour être à la hauteur. Mais intérieurement il était satisfait de lui-même. Le ressentiment peut pousser un homme à réaliser des prouesses. L’étonnement inquiet de son épouse mettait un peu de baume sur ses blessures de mari trompé. Ce qu’il considérait comme une victoire le mit de bonne humeur toute la journée. Il passa chez Famoro pour voir comment avançait son dossier et à 13 heures, il était rentré chez lui. Cela ne lui arrivait guère par le passé. Une bonne sieste après le repas lui permit de reconstituer ses forces pour la seconde nuit dans la chambre de Awa. Au « Grin » ce jour-là, il fut décidé la levée d’une cotisation de 5 000 francs par membre afin de passer un dimanche chez Issa. Les 60.000 FCFA réunis seraient intégralement remis à l’intéressé, quitte à lui de garder comme “roue de secours” ce qui resterait après les dépenses de repas. Ladji fut chargé d’apporter la somme à Issa. A la nuit tombante, il tira ce dernier des odeurs d’encens de la chambre de Awa pour lui faire part de la décision du « Grin ». Le visiteur ne put s’empêcher de faire en même temps une remarque coquine à la “petite femme” sur les moyens qu’elle utilisait pour faire garder la chambre à son ami. Alors Awa, qui savait que les autres femmes étaient à l’écoute dans la cour, répondit avec une fausse modestie : “Aw dé bè gnini ka nè faga” (c’est au contraire vous qui êtes tout près de me tuer). Cette phrase fut lancée d’une voix forte afin que toutes les rivales puissent l’entendre. Après avoir raccompagné son ami à la porte, Issa regagna à grandes enjambées sans piper mot la chambre dont Ladji l’avait tiré. L’épouse de service dut sentir la détermination de son mari à lui faire passer une autre nuit très agitée et pour une fois, elle eut peur de ne pas pouvoir suivre son rythme. C’est pourquoi après le repas elle passa près d’une heure dans la chambre de sa complice Ami à deviser. C’était sa façon à elle de retarder l’échéance. Quand elle se décida à venir dans sa chambre, elle se rendit compte que son époux l’attendait avec impatience et dans une posture qui ne laissait aucun doute sur ses projets. Awa était partagée entre deux sentiments. D’un côté, comme toute femme elle se sentait heureuse et flattée d’être autant désirée. De l’autre, elle se sentait encore fatiguée des assauts de la nuit passée et appréhendait que son mari se montre à nouveau aussi ardent ce soir là. Elle fit face à son devoir d’épouse, mais vers minuit, elle demanda grâce. Issa, tout fier de sa performance, lança un commentaire acide “Je croyais que c’était cela que tu allais chercher dehors”, grinça-t-il. Issa avait tort de chercher ainsi la bagarre. Awa était fatiguée, mais son esprit fonctionnait de manière très lucide. Sans se démonter, elle rétorqua qu’une épouse ne vivait pas seulement d’amour physique. Elle rappela à l’imprudent qu’elle avait des besoins matériels et que lui dans la situation actuelle ne pouvait pas les assumer. « Par exemple, dit-elle, prenons seulement l’encens que je brûle pour toi. Je dépense pour le mélange quinze à vingt mille francs par mois. Depuis que je suis ici, est ce que tu m’as donné un seul franc pour faire face à cette dépense ? ». Le reproche était direct et il ne pouvait rester sans réponse. Issa essaya de reprendre l’initiative en invoquant l’éventualité pour lui de trouver bientôt du travail. « Alors, assura-t-il, tout cela va changer immédiatement ». Au fond de lui-même, il maudissait sa femme qui l’avait remis à sa place. Son obsession de se trouver une cinquième épouse pour s’évader de cet enfer matrimonial se fit encore plus forte. La position de chômeur devenait de plus en plus pénible à vivre pour Issa. Notre homme avait l’impression qu’il était littéralement obligé de se dépenser physiquement au lit pour mériter l’argent que lui donnaient ses épouses. En effet, plus ces dernières se jugeaient comblées, plus elles étaient généreuses avec lui le lendemain. Cependant le vent de la fortune finit par tourner. Deux mois après la fête organisée par ses amis chez lui, Issa fut convoqué par l’entreprise chargée d’un très gros chantier. Fanta, qui s’était chargée d’aller voir les marabouts, mit au compte de ses démarches la fin du chômage de son mari et partagea avec Oumou son mérite.

    Séduit, puis envoûté_ Le clan Ami/Awa avait lui aussi des motifs de réjouissance, mais ils étaient d’une toute autre nature. Awa avait enregistré un retard inhabituel dans ses menstruations. Après deux visites à la P.M.I. elle reçu l’assurance de l’arrivée d’un événement heureux, dont elle fit par à son mari. Mais contrairement à ce qu’elle attendait, Issa ne sauta pas de joie. Au contraire, il s’assombrit très nettement. Il se demandait tout simplement si l’enfant, qui allait naître, serait bien le sien. Cette question provoqua dans son cœur une blessure qui ne se refermait pas avec le temps. C’était seulement sur le chantier que Issa pouvait oublier un tant soit peu ses pensées sombres. Sa détresse le poussait à poursuivre plus obstinément que jamais son projet de cinquième femme. Mais il évitait de se précipiter, dans la crainte d’une désillusion encore pire que le martyr qu’il subissait. Le hasard vint à son secours et il rencontra son oiseau rare un jour dans le “duruni”, qui le transportait au chantier. Il se retrouva assis serré contre une jeune fille et comme il s’excusait de cette promiscuité forcée (le véhicule était bondé), elle lui sourit en hochant la tête. Ce fut ce sourire spontané qui fit chavirer le cœur de Issa. Il noua la conversation à mi-voix avec la belle. Celle-ci s’appelait Kadia et habitait chez son tuteur, un retraité de Lafiabougou. Elle avait un peu plus de 23 ans et était donc nettement moins âgée que les autres femmes de Issa qui avaient dépassé la trentaine. Tous deux prirent tellement de plaisir à causer que l’homme faillit rater son arrêt. Il indiqua à sa nouvelle connaissance le chantier où il travaillait et donna son nom. La jeune fille le répéta tout doucement et Issa connut un instant de pur bonheur en entendant son prénom prononcé par l’inconnue. Il insista pour lui payer sa course et descendit après lui avoir pressé brièvement le bras. Deux jours plus tard, un de ses ouvriers lui dit qu’une jeune femme le demandait. Issa bondit littéralement jusqu’à la clôture où l’attendait Kadia. Si la jeune fille l’avait séduit à leur première rencontre, cette fois-ci elle l’envoûta littéralement. Elle était habillée d’un ensemble pagne dont la coupe près du corps faisait ressortir des formes épanouies, mais harmonieuses. Elle était l’archétype physique de la femme que Issa préférait. L’admiration de notre homme n’échappa pas à la petite et ses yeux à elle aussi brillaient de plaisir de se sentir ainsi appréciée. Une conviction envahit alors Issa : Kadia serait sa femme. Et rien, ni personne ne lui barrerait le chemin. Nous n’avons pas eu le temps de l’écrire. Mais si Issa était un homme faible de caractère, il ne se présentait pas mal de sa personne. Il était grand (un mètre quatre vingt-sept sous la toise), avec des traits virils et une certaine prestance. Il avait conscience de l’effet que son physique produisait sur les femmes et comme il avait retrouvé toute son assurance maintenant qu’il travaillait à nouveau, il ne manquait pas de séduction. D’autres visites aux heures de pause suivirent et les deux tourtereaux firent plus ample connaissance. Kadia avait vu ses études s’interrompre à cause d’une grossesse contractée, il y a huit ans alors qu’elle n’était qu’en 7è année dans un village de l’arrondissement de Mahina. Elle était orpheline de père et sa mère, devenue folle à lier, l’avait abandonnée pour sillonner les villages de la contrée.

    Elle fut recueillie d’abord par un enseignant, qui la confia ensuite à ses parents. Ceux-ci adoptèrent l’adolescente, émus sans doute par les malheurs qui lui étaient tombés en masse dessus. Ses parents adoptifs, qui vinrent ensuite s’installer à Bamako, tentèrent bien de lui faire reprendre les études. Mais elle ne dépassa jamais le cap de la 8è. Entre-temps elle avait perdu son bébé de huit mois à la suite d’une épidémie de rougeole. Pour aider ses parents adoptifs, Kadia avait ouvert un petit commerce de crèmes glacées et de fruits de saison. Sérieuse et dure à la tache, elle gagnait assez bien sa vie. Elle avoua bientôt à Issa, une des raisons pour lesquelles elle avait été d’emblée attirée par lui. Le contremaître ressemblait de manière incroyable à un ami de son père, qui fut le soutien de leur famille avant que le malheur ne s’abatte sur elle. Elle n’avait alors que huit ans, mais elle gardait de cet homme une image qui n’était pas près de s’estomper. Issa lui avait inspiré tout de suite le même sentiment de sécurité que cet homme. Puis l’amour était venu très vite derrière. Quand Issa entendit cette confession, il eut les larmes aux yeux et il se dit que le destin avait mis sur son chemin la femme qu’il cherchait depuis longtemps. Sa résolution de rester avec elle se renforça encore davantage. Un jour, il fit asseoir Kadia et lui exposa franchement sa situation matrimoniale. Il ne pourrait jamais faire de mariage civil avec elle, sauf s’il divorçait de l’une de ses femmes. Or chacune de ses épouses était mère d’au moins un enfant et il avait des scrupules à mettre à la rue une mère. Kadia eut un pincement au cœur en écoutant Issa. Elle lui dit spontanément qu’elle avait l’expérience du malheur et qu’elle ne pourrait jamais construire son bonheur sur la détresse d’autrui. Elle assura l’homme qu’elle l’aimait plus que tout au monde. Mais elle tenait à demander l’avis de ses parents adoptifs avant de prendre une grave décision. Celle de se contenter d’un mariage religieux.

    (à suivre) TIEMOGOBA

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