Dans l’univers des coépouses (3) : deux fois deux

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    Pour certains polygames, la meilleure manière de réduire la guérilla dans le ménage, c’est de pratiquer la politique des deux bloc.

    Lorsqu’à la fin de sa journée de travail, Dianguina revint chez lui, il trouva bien présente la tension née de tout ce remue-ménage. Il se mit en quête d’explications et commit une première énorme erreur de jugement. Il eut en effet la très mauvaise idée de demander, en première, à Koro ce qui s’était passé. Dans la fraction de seconde qui suivit la question, sa “petite femme” jaillit littéralement de la cuisine où elle se trouvait et se lança dans un réquisitoire qui n’épargna personne. Ni le chef de famille présenté comme un “homme sans fierté” ; ni les coépouses désignées comme des “sorcières desséchées” ; ni les voisins qualifiés de “fumistes”. Mais, finit par dire Koro en guise de conclusion à sa tirade, elle saurait se défendre puisqu’elle était la seule femme à part entière, d’une famille où ne vivaient que des déchets. Abasourdi par la violence du déluge verbal, Dianguina rassembla à grande peine les vestiges de son autorité et joua alors les chefs de famille outragés en criant à sa nouvelle épouse de “la fermer”. Il tourna ensuite les talons pour venir demander à Saran ce qui se passait. Là, l’accueil fut plutôt glacial : “C’est par moi que tu aurais dû commencer, mais comme les mœurs ont changé dans cette maison, adresse-toi par où tu as débuté ton enquête”, lui lança sa première épouse. K.D, de son côté, ne pipa mot et pour faire bonne mesure, elle entra ostensiblement dans sa chambre quand son époux s’approcha d’elle. Vexé d’être traité sans aucune considération par ses trois femmes, Dianguina choisit de ne pas réagir à chaud. Que pouvait-il d’ailleurs dire après sa première erreur, qui avait été d’aller à la dernière des épouses pour se faire expliquer la situation ? Il partit se doucher pour s’éclaircir les idées et finit par chercher conseil chez plus expérimenté que lui. Il se rendit chez le meilleur ami de son père, dont la concession n’était séparée de la sienne que par un mur mitoyen et qui, par les comptes-rendus de ses épouses, savait tout ce qui se passait chez son “fils”.

    L’accumulation des impairs – Dianguina reçut là une information complète et précise. Mais en retournant chez lui il commit, encore une fois, une deuxième erreur. Estimant que l’aggravation du conflit venait de K.D, qui avait porté la main sur Koro, il partit donner une correction à sa deuxième épouse qu’il vint battre dans sa chambre. Erreur fatale, dont l’homme n’allait mesurer la gravité que beaucoup plus tard. Car le châtiment infligé à une innocente fit déborder le vase de la difficile cohabitation. Sans daigner parler à l’époux et lui reprocher son arbitraire, Saran et la battue, suivies de leurs enfants, vidèrent les lieux. Notre homme se montra lâche, comme le sont beaucoup de ses semblables dans de telles situations. Pour ne pas assumer immédiatement les conséquences de son acte irréfléchi, il s’évada au « Grin ». De retour à la maison il commit une troisième énorme erreur et alla passer la nuit chez Koro alors que cette nuit là, le tour devait revenir à K.D même si elle n’était pas présente. Il accumulait donc les impairs au grand plaisir de la troisième épouse. De retour du travail le lendemain, Dianguina fut accueillie par sa « petite femme » comme un empereur. Sa nouvelle épouse lui avait mijoté un plat, comme savent le faire les dames qui sont dans les bonnes grâces du maître de maison. Mais sa pseudo-tranquillité ne dura guère. Le soir, le conseil de sages du quartier le convoqua chez l’ami de son père. Les débats du conseil restèrent confidentiels. Ce qui est méritoire lorsqu’on sait que les participants de ce genre de réunion se livrent facilement aux délits d’initiés. Mais visiblement Dianguina s’était fait “savonner” copieusement. Conséquence de la vigoureuse mise au point des Anciens : les deux femmes regagnèrent avec leur trois enfants le domicile conjugal deux jours après. On pensait l’épisode clos mais la répartition des nuitées, du mari entre elles, réinstalla presqu’aussitôt la discorde au grand jour. D’après le calendrier, l’homme devait venir chez la première épouse le jour de la réconciliation, mais il choisit de garder chambre avec Koro.

    Ce qui fit souffler un nouveau vent de colère chez les rentrantes. Nous ne répéterons pas à nos lecteurs les détails des diatribes, qui fusèrent entre la “petite femme” et ses deux rivales. Il n’était vraiment pas recommandable que de tout jeunes enfants puissent entendre les propos injurieux qui furent échangés entre le trio. Tout y passa avec parfois des précisions qui mettaient en cause les comportements au lit. C’était à grande peine que l’auditoire, formé par les voisins désireux de ne pas perdre un détail inédit, se retenait de rire aux larmes chaque fois que l’étalage des manières de subir l’époux franchissait un degré plus croustillant. Dianguina, lui, avait fui la maison de honte mais aussi d’irrésolution face au désastre qui embrasait son foyer. Les Vieux vinrent tenter de calmer les furies déchaînées, mais ils essuyèrent à leur tour, tant d’obscénités verbales que prudemment ils se retirèrent un à un sur la pointe des pieds. Il n’y eut chez nos hommes de sagesse plus aucune tentative d’intervenir dans le foyer de Dianguina. Ce dernier comprit qu’il devait lui-même trouver solution à ses problèmes de cohabitation entre ses épouses. Il les réunit le lendemain du scandale et leur annonça que dès ce soir le linge sale se laverait à l’intérieur de la concession. Il leur intima de cesser leurs accrochages qui faisaient de lui la risée du voisinage.

    Toujours un exclu – La journée fut donc celle du cessez-le-feu verbal. Mais la tension remonta au fur et à mesure que le coucher du soleil s’approchait. Les voisins, qui arrivaient à jeter un coup d’œil au-dessus du mur de clôture, se voyaient proposer un spectacle cocasse. Chacune des trois femmes était assise sur un escabeau devant sa chambre et attendait de voir comment se comporterait l’époux. Le mari rentra salua tout le monde sans regarder personne et prit son repas sans ouvrir la bouche. Vers minuit Dianguina, ayant sans doute pris de bons conseils auprès de ses amis, renonça à passer la nuit chez Koro dont c’était le tour. Il rendit à Saran sa nuitée, signifiant ainsi qu’il reprenait tout à zéro. Sa décision rendit folle de rage sa troisième épouse, qui perdait ainsi la première bataille sous les applaudissements de K.D engagée corps et âme derrière sa “grande sœur”. Ce fut donc en larmes que Koro ramassa ses bagages à son tour cette nuit là. Mais à cause de l’heure tardive, elle accepta les conseils des deux vieilles femmes qui ne se lassaient pas de parlementer entre les deux “camps”.

    Mais au cours des semaines suivantes, les efforts des ambassadrices ne payèrent pas du tout et la guerre continua de faire rage. Il fallut trois ans d’une cohabitation infernale pour que Dianguina en arrive enfin à divorcer Koro. Cependant la belle harmonie, qui régnait dans son foyer, n’était plus qu’un lointain souvenir et le chef de maison n’avait plus aucune prise réelle ni sur Saran, ni sur K.D ni même sur leurs enfants. Encore une fois, le long conflit entre les épouses démontrait selon un proverbe bien de chez nous que : “dans une association à trois, il y aura toujours un exclu”. Au domicile de Issa, troisième cas que nous évoquerons, cette vérité n’avait jamais été totalement vérifiée. Notre homme n’avait pas connu la paix dans le ménage à deux puisque sa première épouse Fanta ne composa jamais avec la seconde, Oumou. Celle-ci non plus ne souffrait pas la troisième qui entra, Ami, qu’elle ne se laissait pas de traiter de “bonne à tout faire”. Il y avait de la condescendance dans les rapports Oumou-Ami pour une raison très mesquine. Oumou rappelait à tout bout de champ que la dernière venue n’était que l’ancienne servante d’une de ses connaissances. Pour elle, Ami n’était entrée dans la famille que parce que son mari “coureur de jupons” notoire n’avait pu résister à ses déhanchements provocants. Mais les commentaires acides de Oumou cachaient en vérité un dépit profond. En effet, c’était grâce à elle que son mari avait vu pour la première fois Ami, lors d’une visite que le couple avait rendue, à l’époque, à une amie de Oumou hospitalisée au Point G. La bonne, qui amena le repas ce jour-là à l’hôpital, avait un maintien gracieux et un balancement de hanches qui firent chavirer son époux. Oumou elle-même et sa première coépouse n’étaient pas mal dotées de ce côté là, mais elles ne pouvaient pas soutenir la concurrence avec la “servante”.

    “Je veux les trois” – Le jour où on lui annonça le mariage de Issa et de Ami, Oumou piqua une véritable crise de nerfs. Devenir la coépouse de l’ancienne bonne de son amie ? “Ça Jamais” se dit-elle. Alors elle fit une fugue. On la ramena à son domicile conjugal au bout d’un mois après maintes tractations. Il fallut que sa mère mette tout son poids dans la balance, pour que Oumou acceptât de retourner auprès de ses trois enfants. Mais depuis il ne passait pas de jour où elle ne provoquait pas de clash en criant des ordres à la bonne, la vraie celle là, qui les servait toutes les trois. “A quoi sert une bonne ?” disait-elle souvent en faisant semblant de s’interroger à haute voix. “A tout faire”, répondait la première épouse qui l’accompagnait dans sa bataille, même si les deux n’avaient pas signé de paix. Il faut savoir que Oumou était secrétaire et que la première femme était enseignante. Elles en venaient souvent aux mains et quand Ami arriva, le front se durcit. C’était des affrontements continuels : tantôt Fanta/Ami, tantôt Oumou/Fanta. Mais les duels Ami/Oumou dominaient. L’époux par peur d’affronter l’atmosphère volcanique dans sa maison restait le plus longtemps possible au « Grin » après le travail. Mais Issa semblait trouver une certaine délectation à être plongé dans ces problèmes.

    A un de ses amis qui lui demandait laquelle de ses femmes était sa préférée et à laquelle il serait prêt à renoncer pour avoir un peu de paix, il répondit en toute franchise : “Je les veux toutes les trois”. Le fameux auteur des romans d’espionnage et spécialiste des descriptions érotiques torrides, Gérard de Villiers, aurait certainement décrit Issa comme quelqu’un incapable de résister à une “chute de reins somptueuse” et qui, victime de sa libido, est capable des pires lâchetés pour assouvir celle-ci. De tels hommes vont naturellement vers la quatrième épouse que leur autorise la loi et se moquent pas mal si au lieu de trois foyers de tension, c’est le double qu’ils allument dans leur foyer. Il faut savoir que parmi les hommes se trouvent ceux qu’on pourrait appeler des polygames incurables. Il leur faut plusieurs femmes pour se sentir exister et peu leur importent les problèmes qu’amène la cohabitation des femmes aux tempéraments parfois explosifs. Quand Issa avait dit au « Grin » qu’il ne voulait se séparer d’aucune de ses trois épouses, beaucoup de ses amis se fâchèrent tout net et l’accusèrent de mauvaise foi. L’un d’eux lui dit même qu’il mentait et le faisait délibérément pour les provoquer. Tous les membres du groupe l’appuyèrent sans hésiter dans son jugement sévère et chacun y alla de son témoignage sur l’enfer que leur ami vivait dans son foyer. Tous étaient persuadés que Issa était certainement le polygame le plus malheureux de Bamako et personne ne voyait pourquoi il s’acharnait à conserver ses trois furies, qui ne lui laissaient pas une minute de repos.

    Trop de faiblesses personnelles – Ils étaient entre hommes et cela ne les gênait pas de mettre impitoyablement le doigt sur les faiblesses coupables de leur ami. Ce dernier prêtait d’ailleurs facilement flanc à la critique. Comme nous l’avons dit, il était incapable de résister aux femmes dont la chute de reins était impressionnante. “Ton vice te perdra”, lâcha sans ambages un de se amis, Sidiki. Seul Ladji ne participait pas au concert des critiques. Il se contenta de lancer à Issa : “Tu seras bientôt le bienvenu dans ma section de quatre galons”. Ladji était en effet marié à quatre femmes, il ne s’en portait pas trop mal (tout le monde le reconnaissait) et pressait ses copains de venir grossir la troupe de ses “coreligionnaires”. Son pressentiment, selon lequel son ami Issa ne tarderait pas à le rattraper, ne mit que quelques mois à se concrétiser. Mais entre-temps s’installèrent au « Grin » des débats parfois enflammés sur les limites à imposer à la polygamie. Les “multi-galonnés” n’avaient pas beaucoup d’arguments de logique à avancer. Ainsi pour défendre leur cause, ils invoquaient des raisons purement sentimentales, essentiellement subjectives. Pour se justifier, ils évoquaient l’harmonieuse cohabitation qui régnait entre les deux premières épouses de Dianguina, Saran et K.D. L’argument était un peu faible, car tout le monde dans le « Grin » savait que ce genre de modus vivendi était rare, et le plus souvent introuvable. Les contradicteurs monogames avaient la partie plutôt belle : « Ne nous voilons pas la face, lançaient-ils. Avec nos faiblesses personnelles, apparentes ou cachées, nos bas revenus nous ne serions jamais assez fermes, ni assez justes pour tenir des attelages polygamiques que nous savons tous exigeants, très, très exigeants ». La raison et le bon sens parlaient ainsi, mais le problème polygamique doit-il s’aborder avec raison et bon sens ? « Ecoutez, s’exclama Ladji, la religion et la loi nous autorisent à pousser jusqu’à quatre. Alors pourquoi s’en priver ? ». « D’accord, répliqua Lassina, mais nous ne sommes que des mortels aux moyens forcément limités et nous ne pouvons pas satisfaire toutes les exigences que le choix de la polygamie impose. Il nous est surtout difficile de nous montrer strictement équitables entre nos épouses ». La discussion entre les membres du « Grin » glissait ensuite vers le théologique et là, les exégètes d’un choix monogamique ne manquaient pas. L’un d’eux se leva pour rappeler que : « Dieu n’a jamais voulu compliquer la vie des fidèles ». Il a créé et surtout entretenu les hommes dans la grâce du Prophète Mohamed (PSL). C’est pourquoi il a autorisé ceux qui suivent ses principes à prendre jusqu’à quatre épouses, mais à l’impérieuse condition qu’ils aient envers elles un comportement exempt de reproches. Il leur fallait surtout se montrer équitables et ne pas faire naître un sentiment de frustration, d’injustice et de traitement inégal non seulement chez les épouses, mais aussi parmi les enfants.

    Deux nuits bien occupées – Sommes-nous capables aujourd’hui de toute la droiture exigée, compte tenu du contexte dans lequel nous nous trouvons ?” interrogeaient les érudits monogames du « Grin ». « Non, répondaient-ils. Alors pour ne pas déroger à notre bonne conscience, mieux vaut s’abstenir que d’aller vers des péchés qui ne seront pas facilement pardonnés ». Cette tirade des plus religieux du groupe fut suivie d’un silence qui en disait évidemment long sur les conclusions auxquelles était parvenu chaque membre après une rapide introspection. Le mutisme se rompit quand Ladji, le seul à avoir quatre épouses, reconnut que résister à la polygamie était difficile dans le monde de tentation où nous vivons. Il se justifia néanmoins en disant qu’en mariant une quatrième femme, il avait voulu avant tout briser l’isolement de sa seconde épouse. Dans son ménage, expliqua-t-il, la première femme, Assitan, et la troisième, Nana, avaient su établir entre elles une complicité qui, à la longue, avait jeté complètement à l’écart la deuxième, Lalla. Cette dernière et Assitan avaient vécu dès le début de leur cohabitation dans une atmosphère faite de guérilla permanente. Lalla cependant avait refusé les affrontements verbaux.

    Elle avait choisi une manière plus subtile de montrer que son mari était heureux avec elle. Le jour où Ladji avait terminé ses nuitées chez elle, Lalla sortait ostensiblement ses sous-pagnes, les lavait elle-même et les accrochait sur le fil à sécher. C’était question de dire que son époux et elle avaient été très occupés au cours des deux nuits précédentes. Cette tactique était payante auprès de Assitan. Cette dernière, aux dires de Ladji lui-même, forçait souvent la main à son époux, même lorsque ce dernier n’avait envie de rien. Il lui fallait, disait-elle en se pressant contre son mari, « laver autant de sous pagnes » que sa jeune coépouse. Ladji eut beau lui demander de ne pas tomber dans le jeu de Lalla, qui faisait exprès de laver des sous pagnes non utilisés. Mais Assitan refusait de le croire et se fâchait en l’accusant d’injustice dans les faveurs qu’il accordait à ses épouses. Une fois, Ladji crut avoir trouvé une démonstration imparable. « Comment, dit-il, Lalla pouvait-elle laver autant de sous pagnes alors qu’elle était indisposée et que les rapports étaient impossibles ? ». Assitan ne se démonta pas. Elle répondit que des “garces” comme sa coépouse avaient les moyens de presser les hommes même pendant ces périodes là. Ce fut longtemps après, et de manière tout à fait fortuite, que l’homme comprit pourquoi Assitan était insensible à ce genre d’argument pourtant fondé. Cela venait de la mésaventure vécue par l’une de ses cousines. Celle-ci racontait comment elle avait coincé son homme de l’époque et l’avait obligé à tenir ses obligations envers elle, bien qu’elle se trouvait en période de menstruation. L’exigeante avait surpris son goujat de fiancé en train de roucouler dans son lit (c’était elle qui avait de surcroît payé le meuble) avec une de ses anciennes camarades de classe. Il était auparavant parti tôt de chez elle. L’homme se déclarait fatiguer par une dure journée de labeur. Elle l’avait cru sur parole, mais à tort comme le lui prouvèrent après, les événements.

    Le scénario de la quatrième – Elle s’était ensuite rappelée une commission que sa mère lui avait demandé de faire à son presque époux. La cousine prit un taxi et atterrit chez l’inconscient qu’elle trouva en pleins ébats. Son arrivée créa un émoi certain au sein du couple et la voleuse d’hommes se retira pratiquement sur la pointe du pied. Restée en tête-à-tête avec son gars, l’offensée lui demanda calmement ce qui l’avait poussé à la trahison. Pour toute réponse, le coupable ne trouva rien à évoquer pour expliquer son escapade, sauf l’indisponibilité de sa régulière et sa forte envie de faire l’amour ce soir là. « Depuis lors, renchérit la cousine, je lui ai coupé cette excuse. Même quand ma mauvaise période arrivait, je prenais certaines précautions sur le plan de l’hygiène pour qu’il n’en sache rien. Si bien que s’il avait envie de moi, nous allions quand même au lit ». Constamment mis sur le grill par la guerre Assitan/Lalla, Ladji se demandait comment rétablir l’équilibre dans son foyer. Une de ses grand-mères, qui jouait auprès de lui un peu le rôle de conseiller, lui enjoignit d’épouser rapidement un quatrième qui lui ramènerait la paix. Ladji adhéra à ce scénario et il prit comme femme Djénèba, dix sept mois seulement après avoir marié Nana. La dernière venue et Lalla devinrent rapidement complices. Sa seconde femme avait accueilli la quatrième à bras ouverts. Elle s’était fait sans hésiter son mentor et avait entrepris de lui expliquer en détails les rapports de force dans la concession. Ce fut ainsi qu’objectivement et naturellement, serait-on tenté de dire, se forma l’axe Lalla/Djénèba qui s’opposa au tandem Assitan/Nana. L’existence de deux blocs au sein de son foyer, pour aussi paradoxal que cela puisse paraître, facilita la vie à Ladji. Bien sûr, il lui fallait toujours démontrer des dons d’équilibriste, mais ceux-ci étaient moins épuisants qu’autrefois. Tout juste fallait-il savoir quels compliments démagogiques faire à l’un ou à l’autre des camps pour qu’il se tienne tranquille.

    Les dénonciations sur l’oreiller – Quand il sentait que ces troupes étaient au bord de l’affrontement, Ladji se hâte pour aller désamorcer la bombe qu’avait allumé le groupe le plus furieux. Cela exigeait bien sûr de lui une vigilance permanente et surtout une bonne dose de dissimulation. Ainsi par exemple, un jour, Nana et Assitan vinrent ensemble lui demander de financer leur participation au baptême d’une des copines de la première. Se sentant épié par Lalla qui se trouvait dans les parages, Ladji répondit assez fort pour que toute la cour l’entende qu’il n’avait pas d’argent. « Comment, s’exclama-t-il, voulez-vous que je vous donne les 2000 francs que vous me demandez chacune et que je dois multiplier par quatre pour être juste. Je n’ai pas cette somme, donc on n’en parle plus ». Vingt minutes après ce coup de colère spectaculaire, Ladji retrouva Nana dans sa chambre (elle était de nuitée) et lui glissa un billet de cinq mille francs pour elle et Assitan. A charge pour les deux de n’en souffler mot à personne. La fois suivante ce fut au tour du duo Lalla/Djénèba de l’approcher pour le mariage d’une cousine de cette dernière. Le même coup de gueule se termina par un gros billet glissé à l’intention des deux complices. Ces épisodes prouvaient aux yeux de Ladji qu’aucun camp n’était véritablement dupe de ses engueulades, mais comme chaque axe savait qu’il jouait l’équilibre des faveurs, personne ne s’offusquait des solutions “officieuses” qu’il trouvait pour se sortir d’embarras. D’ailleurs quand elles étaient servies ainsi en sous-main, les femmes ne manquaient pas de le blanchir pour lui permettre de continuer ses acrobaties.

    Toutes ses femmes le traitaient d’avare. Mais toutes le faisaient pour donner le change au camp adverse. Cependant Ladji, malgré les efforts déployés pour acheter sa quiétude, savait qu’il lui était impossible d’éteindre tous les conflits et surtout de faire cesser la guerre que continuaient à se mener ses épouses à coups de médisances et les ragots rapportés. Chacune inlassablement essayait de détruire la rivale, en glissant les méchancetés appropriées dans l’oreille de l’époux. Ladji savait comment se comporter désormais. Dans ces cas-là, il fallait écouter patiemment tout le récit de la dénonciatrice. Mais il était surtout très important de ne jamais faire de commentaires. Car un jugement serait rapidement exploité et diffusé. Généralement, les confidences sur l’oreiller tombaient après les ébats amoureux. La dénonciatrice savait qu’un mari satisfait accueillait de manière bienveillante les insinuations que lui glissait celle qui l’avait comblé. Une nuit c’était Nana, qui parlant de la nouvelle dernière Djénèba, murmurait : « Est-ce que tu sais que l’on a failli amener “ta femme” à la police aujourd’hui ? Il paraîtrait qu’elle doit une forte somme d’argent à une teinturière, qui a envoyé réclamer son dû sous peine de lui délivrer une convocation de la police ». Ladji fit un mouvement de sourcils pour marquer son étonnement. Mais il ne souffla mot.

    (à suivre) TIEMOGOBA

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