Il y’a plusieurs années dans mon village natal, il s’est produit un fait qui m’a beaucoup marque…
Mon meilleur ami Idrissa était un homme très important dans notre communauté. C’était un grand commerçant. Il approvisionnait tout le village en bovins et volaille. Il voyageait beaucoup dans la sous-région afin d’acquérir des bêtes. Idrissa était un très belle homme de 50 ans environ. A cet âge, il n’avait pas d’enfants. Cela faisait vingt-deux ans qu’il était marié à Nigô, la plus belle fille du village. La pression des parents l’avait conduit à prendre une seconde épouse.
Cependant, au bout de 5 ans, sa nouvelle femme s’est éclipsée en insinuant qu’elle ne pourrait pas vivre auprès d’un mari incapable de lui faire un enfant. Mon ami en était malheureux. Sa situation était préoccupante. Nigô, sa première femme, elle, aimait éperdument Idrissa et lui avait promis de ne jamais le quitter.
Avant l’arrivée de la seconde épouse, tous pensaient que c’était la faute de N’gô si Idrissa n’avait pas d’enfant. Après le départ de cette dernière les commentaires ont changé. Mon ami me disait souvent qu’il se sentait inutile dans la société. « A quoi sert-il d’avoir toutes la richesse du monde si on a pas d’enfant », disait-il.
Vingt-deux ans après leur mariage, Nigô lui avait annoncé qu’elle attendait un enfant. Miracles ! Pour Nigô, c’était la fin de plusieurs années d’humiliation et de pression. Mon ami était si heureux qu’il avait décidé de ne pas voyager jusqu’à l’accouchement. Tout le village ne parlait plus que de la grossesse de l’épouse d’Idrissa. Dieu lui avait enfin fait la grâce. Le jour de l’accouchement, plusieurs matrones, les plus réputées, avaient étés cooptés pour assister Nigô.
Le fils d’Idrissa naquit. Un gros bébé aux joues rondes. Tout le village voulait le voir. Le nouveau père était vraiment heureux. Sept jours après la naissance il fallait faire le baptême comme le recommande l’islam. Idrissa c’était préparé pour l’événement .Il avait offert deux bœufs pour la confection de mets pour tout le village. Pour le baptême, Idrissa avait fourni deux moutons et deux bœufs. Plus le jour du baptême approchait, plus on voulait connaitre le nom du bébé d’Idrissa. Celui-ci refusait de dire le nom sous prétexte qu’il prévoyait une énorme surprise. Même Nigô ne connaissait pas le non du Bébé. Idrissa gardait jalousement son secret. Persuadé que j’étais informé, Nigô m’avait interrogé sur le sujet. Elle avait interrogé aussi les frères d’Idrissa qui ont soutenu que leur frère lui donnerait le nom de leur défunt père. Nigô souhaitait au fond d’elle, que son époux lui fasse la surprise de donner à l’enfant le nom de son défunt père à elle.
Le jour du baptême, tout le monde était présent. Personne ne voulait manquer un tel événement. Le nouveau-né richement habillé, était dans les bras de la mère Nigô. Et jusque-là Idrissa refusait de divulguer le nom de l’enfant. Il tenait à sa surprise. Il l’avait écrit sur un bout de papier en arabe et en français et le gardait jalousement dans sa poche. J’ai insisté enfin qu’il me le communique, car il y’avait pas de secret entre lui et moi.
Les imams avaient entamé la lecture coranique. Les deux moutons avaient été immolés ainsi que les deux moutons. Le partage de la viande était en cours lorsque l’Imam adjoint a souhaité avoir le nom de l’enfant afin de le communiquer à l’assemblée. C’est ainsi que Idrissa, tout ému, m’a annoncer que son fils s’appellerait « Allah ». J’ai sursauté. Je lui ai dit que cela n’était pas permis. Avant même que je termine mon propos, Idrissa a remis le bout de papier à l’un des Imams. La lecture coranique arrivait à son terme lorsque l’Imam a jeté un coup d’œil sur la note. J’ai senti qu’il a été tiqué.
Pendant ce temps, le bébé qui était dans les bras de sa grand-mère était devenu subitement pâle. Inquiète, celle-ci avait interpellé d’autres personnes afin de comprendre ce qui se passait. Après consultation, il s’est avéré que le bébé avait rendu l’âme. L’imam principal qui ne savait rien de ce qui se passait a souhaité voir le nom. Lorsqu’il avait lu le bout de papier, il a été tiqué lui aussi : « Comment l’enfant peut-il être l’homonyme de Dieu ? », criaient les uns et les autres. Idrissa s’est assis à même le sol, les deux mains sur la tête en criant à tue-tête. J’étais à ses côtés, impuissant, ne sachant quoi dire afin de le consoler.
L’imam avait pris la parole, un peu énervé : « Je ne suis pas surpris de ce qui vient d’arriver. Idrissa a eu l’audace de dire que son fils s’appelle Allah. Depuis quand Allah a-t-il un homonyme ? C’est de l’ingratitude vis-à-vis de Dieu. Dieu lui a montré que personne ne peut l’égaler ». Intérieurement, je me suis dit si Idrissa m’avait informé, nous n’en serions pas là, je l’aurais dissuadé de donner ce nom, mais il tenait à sa fichue surprise .Voilà où cela nous a conduits. C’est dommage !
Bakary