Pour circuler à Bamako, les conducteurs des transports en commun s’adonnent à des acrobaties périlleuses créant des embouteillages si ce n’est pas pour provoquer des accidents graves
Dans la jungle bamakoise. Ne vous méprenez pas, ce n’est pas le titre d’un long métrage, mais bien la triste réalité de la circulation dans la capitale. Certains usagers de la voie publique défient toutes les lois du convenable, de l’acceptable et du tolérable. On n’a pas besoin d’avoir une finesse d’esprit pour comprendre qu’il est extrêmement difficile, voire périlleux de se mouvoir dans la circulation à Bamako. Les indélicatesses, l’intolérance de certains usagers au quotidien rebutent plus d’un à travers les entorses aux règles élémentaires de la circulation routière et qui engendrent des altercations, des bouchons, voire des accidents graves parfois mortels.
Samedi 7 décembre 2024, le soleil est sur le point de se coucher. Sur la route de Sébénikoro, en Commune IV, les usagers sont pris dans le piège d’un terrible embouteillage au niveau de la parserelle près de la mairie secondaire du quartier. Chacun, de son côté, manifeste son mécontentement. Le vrombissement des moteurs le dispute aux stridents coups de klaxon. Les usagers s’interrogent : «Mu bɛ ye», en français «Que se passe-t-il ?».
Pendant ce temps, des motocyclistes forcent le passage. On découvre que c’est une Sotrama qui est à l’origine de cette perturbation de la circulation. Elle s’est garée à un endroit inapproprié pour le stationnement. Les insultes fusent de partout à l’encontre du chauffeur et de son apprenti. «Aw bɛ mɔgɔ tɔɲɔ kojugu. Yan ye Sotrama jɔyɔrɔ ye wa ?», lance un motocycliste. «Ce sont des insouciants», dit un autre.
En effet, l’indiscipline est devenue la règle pour de nombreux conducteurs de transports en commun. Ils sont très souvent à la base des accidents tragiques. Mais ces apprentis chauffeurs ou conducteurs «sorciers» n’ont cure des drames qu’ils provoquent pour les familles touchées. Ne parlons pas d’indemnisations pour les dégâts matériels causés ! La fibre sociale a vite fait de se mêler de l’affaire pour essayer d’adoucir les souffrances et concilier les intérêts. De l’échangeur de Yirimadio à la Tour d’Afrique, le phénomène suscite l’indignation. Les Sotramas créent le bazar au pied de ce monument, rendant le contournement difficile pour les usagers.
Tiémoko, un habitant de Bolibana, quartier de la Commune III du District de Bamako, pointe du doigt les passagers et les agents de régulation de la circulation. Pour lui, ceux-ci sont responsables de l’anarchie qui règne sur les routes. Mais, renchérit-il, les responsabilités sont aussi partagées. Il y a les passagers qui ne respectent pas les arrêts qui leur sont destinés, obligeant les véhicules à s’arrêter n’importe où.
Les clients aussi ne refusent pas de monter à bord d’une Sotrama déjà pleine, occasionnant une surcharge, sans se soucier de leur sécurité. Quant aux agents, accuse le conducteur de profession, beaucoup d’entre eux sont intéressés par les pots de vin que leur donnent les chauffeurs.
Ces passe-droits sont comme une prime à l’indiscipline et au désordre que les conducteurs peuvent semer dans la circulation. Tiémoko est nostalgique de l’époque où les transports en commun appelés «duruni» écumaient la cité avec beaucoup plus de discipline et de rigueur à l’opposé de ce que l’on observe aujourd’hui avec les chauffeurs de sotrama.
MÉCONNAISSANCE DU CODE DE LA ROUTE- Il faut souligner que le système de transport urbain de notre pays est démodé, désuet et inefficace, d’où la nécessité de rénover le secteur. Modibo Ibrahima Kanfo, doctorant à Saint-Louis au Sénégal, invite les autorités à s’inspirer de la gestion du transport en commun de cette ville sénégalaise. «Là-bas, les bus que l’État a mis en circulation observent des points d’arrêt précis.
Ils s’alternent toutes les 10 à 15 minutes. Les bus ne circulent pas dans le désordre. Ils ont, selon les numérotations affichées sur leur fronton, un itinéraire bien précis et tracé dans la cité», révèle le doctorant. Cette réglementation n’autorise aucune course à la recette et apporte un confort que les usagers apprécient avant d’arriver à destination.
Les véhicules des transports en commun sont impliqués dans de nombreux accidents
À Bamako, c’est surtout la course à la recette qui est à l’origine des désagréments causés par les chauffeurs de transport en commun, les taxis, mototaxis ou katakatani. Aussi, beaucoup de ces conducteurs circulent dans le plus grand mépris et méconnaissance des règles élémentaires du Code de la route. Il n’est un secret pour personne que rares sont les conducteurs de mototaxis ou de tricycles (katakatani) qui disposent de permis de conduire.
«Les Sotramas et les taxis nous dérangent beaucoup ici. Pour espérer sur une mobilité urbaine souhaitée, il faut créer des sociétés de bus urbains. Cela nous évitera le désordre», suggère Baka Kouma, chauffeur inter-urbain. Il avoue que tant que l’État ne s’y implique pas vigoureusement, les usagers ne seront pas à l’abri des désagréments de la circulation. Il cite le parcours presque éphémère des sociétés de transport de bus créées dans les années 90 à Bamako à savoir Bamabus et Tababus qui ont fait long feu.
Ces deux sociétés de transport urbain ont été confrontées à la rude concurrence que leur faisaient les chauffeurs de Sotrama. Ces derniers leur chipaient au nez et à la barbe les clients ou se garaient sur les aires d’arrêt et de stationnement qui leur étaient destinées. Elles n’ont malheureusement pas bénéficié, croit savoir notre interlocuteur, dans cette concurrence déloyale de la protection des autorités. Baka Kouma soutient que ce ne sont pas les routes qui manquent pour accueillir les bus, mais plutôt la volonté et la mise en place des lieux de stationnement pour eux.
LA NASSE- De son côté, le directeur général des transports explique que la ville de Bamako est l’une des rares capitales où le transport collectif structuré n’a pu prospérer. Mamadou Sow relève que le secteur est envahi par les transports informels qui créent des entraves à la circulation; à savoir les sotramas, taxis, motos taxis, tricycles «katakatani». Dans ce capharnaüm créé par ces derniers, il est hasardeux de croire que les bus puissent prospérer.
Toutefois, convient le directeur général des transports, il est utile, s’il faut introduire les bus dans la circulation, de leur dédier des lignes et de les subventionner pendant un certain temps afin qu’ils puissent consolider leurs marges. Sinon, avance-t-il, le transport en commun tel qu’il est organisé actuellement est voué à l’échec et les désagréments ne manqueront pas pour les usagers. Par ailleurs, le patron des transports regrette les indélicatesses, les embouteillages et les accidents créés par les transports en commun.
Pour lui, les incivilités des conducteurs, le non respect du Code de la route et des arrêts qui leur sont dédiés sont à l’origine de la zizanie créée. Mamadou Sow préconise des sanctions sévères pour éviter la cacophonie dans la circulation. Et assure que l’État n’est pas insensible à la problématique de la mobilité urbaine. Des projets d’envergure pour la rénovation ou l’amélioration du secteur des transports urbains tardent à se réaliser faute de ressources financières, affirme-t-il. Et de préciser que les transports urbains relèvent de plus en plus de la responsabilité des collectivités territoriales qui n’ont malheureusement ni les moyens techniques, ni les moyens matériels et financiers pour faire face à cette obligation.
En attendant que des projets ambitieux voient le jour, les usagers sont condamnés à prendre leur mal en patience et à prier pour ne pas tomber dans la nasse infernale de la circulation. On vit d’incantations pour espérer sortir et revenir sain et sauf en famille à cause de tous les aléas de la circulation routière qui est en fait une véritable jungle.
N’Famoro KEITA