L’eau est sans conteste la denrée rare dans le désert. Elle est la source de l’angoisse quotidienne pour les populations qui y vivent et c’est le plus grand bien qu’on puisse leur accorder. Chez les Kăl-Tămašăɣt elle est considérée comme l’âme(iman) sans laquelle la vie est impossible. C’est pourquoi beaucoup de proverbes, de poèmes et de chansons lui ont été consacrés par ce peuple qui chaque année vit dans sa chair les affres de la soif.
-Aman iman=l’eau c’est la vie.
-Ăddăbara war itəj ar făll-asălim n-aman=On ne peut bien réfléchir qu’au bord de l’eau.
-Kăraḍ hărătăn a šašăjratnen tiɣăras: aman, tăddalăt d-tihusay=Trois éléments assurent la longévité: l’eau, la verdure et la beauté.
-Anu inaddăn war ila taẓidert=Quand le puits est entrain de s’effrondrer, la patience disparaît.
-War t’-illa ănislam wăla aman=Sans eau(pour les purifications) il n’y a pas d’Islam(religion).
La corvée d’eau est certainement celle qui prend aux Kal-Tămašăɣt 90% de leur temps et de leur énergie. Dans le désert, l’eau est rare et quand elle existe, son extraction demande beaucoup d’efforts.
Les puits ont en moyenne une profondeur de 120 m. Il faut une traction animal pour pouvoir ramener à chaque traction 30 à 50 litres d’eau. Les campements sont le plus souvent à une distance de 15 à 20 km des puits, à l’endroit où les pâturages sont les meilleurs.
Il faut chaque jours ramener l’eau pour les besoins de la consommation quotidienne (boisson, cuisson des aliments, abreuver les cabris, les agneaux, les veaux et les chamelons, thé et toilettes rituelles.)
Dans ces conditions, toute personne sensée comprendra que se laver est un luxe que peu peuvent s’offrir. Chaque matin, les ânes, les outres,les chambres à air, les bidons et tout ce qui peut contenir ou transporter le précieux liquide sont rassemblés et envoyés au puits sous l’escorte des adolescents. Ils trouveront les hommes là bas. Car à partir du mois de mars jusqu’en juillet, les hommes restent rares aux campements. Ceux qui doivent faire l’azalay vont vers le Touat, Taoudeni ou le Sud ( pays dogon, Burkina, Niger).
Ceux qui restent doivent être constamment au puits pour fournir l’eau quotidienne aux campements, mais aussi abreuver les petits ruminants et les vaches qui doivent boire chaque deux jours, et les dromadaires chaque semaine. Ces hommes passeront toute la période appelée Ewelan (extrême chaleur) rien que pour la corvée d’eau. Ils se contenteront chaque jour au réveil des trois verres normaux de thé, de quelques dattes et d’un morceau de tajəlla (pain de semoule cuit dans le sable). Toutes les autres ressources sont laissées au femmes et aux enfants. Car la plus grande honte pour un U-Tămašaɣt, est qu’il aie de l’embonpoint pendant que sa femme et ses enfants sont anorexiques. Les outres vont au puits très tôt le matin et ne reviennent que l’après-midi ou souvent le lendemain en fonction des distances. C’est une période éprouvante pour les Kăl-Tămašăɣt et leur cheptel. C’est aussi la période où on reconnaît ceux qui passent l’épreuve dans la dignité, ( Ibaraḍan: ceux qui sont fort de caractère ) et ceux qui se découragent, qui se laissent vaincre par l’épreuve (imăzran). En août, quand il aura bien plu et que les oueds et les vallées verdiront, toutes les souffrances seront oubliées.
Les hommes ressortiront leurs plus beaux habits, leurs plus beaux harnachements de chameaux. Les femmes porteront leurs plus beaux habits et se pareront de leurs bijoux. Avec un mortier,deux pillons et une peau bien tannée, elles confectionneront le tende autour duquel elles chanteront les louanges de ceux qui ont ramener des charges de caravanes du Touat (Algérie) aux confins du fleuve Niger sans manifester de la fatigue. De ceux qui ont ramener des charges de sel de Taoudeni pour les vendre à Gaw-Gaw(Gao) ou Imawan(Ayorou).
De ceux qui sont revenus du Sud (pays Dogon) avec le mil qui servira à cette crème si indispensable pour donner la forme ronde au femmes du campement. Elles chanteront aussi la déchéance d’un tel qui n’a pas abreuver l’ânesse de la mère d’une telle ou qui a refoulé de son abreuvoir la chamelle d’une telle ou qui a refusé son animal de traction pour remplir les outres de la mère d’une telle.
A. L’eau potable, un luxe inconnu
1. De juillet à septembre: les mares.
L’eau potable est un luxe encore inconnu des campements vivants dans le désert. Pendant la saison pluvieuse tous, hommes comme animaux boivent l’eau de mare bien boueuse dans laquelle les animaux urinent et défèquent. Elle sera consommée jusqu’à ce qu’il ne reste que les tétards affolés prisonniers de la vase.
Ensuite le campement déménagera pour une autre mare. Pour tous les Kăl-Tămašăɣt, c’est une période de repos. Car la corvée eau peut-être assurée par les enfants qui pourront bien barboter dans les mares tout leur soûl avant de revenir avec les outres rempli d’un liquide boueux. L’eau est généralement à une distance de deux ou trois kilomètres. Et comme les mares permanentes sont rares: Anderamboukane, Tinabaw, Tessit, Intililt et Gossi dès les dernières pluies, il faut trouver un moyen de substitution.
2. Les puisards.
À partir de septembre commence une autre phase où les animaux se contentent de pastèques sauvages qui commencent mûrir comme source d’hydratation pendant que les hommes creusent en bordure des oueds ou de certaines mares des puisards pour les besoins en eau. La nappe est superficielle et pauvre. Chacun creuse le nombre de puisards qui lui permettront chaque jour de remplir ses outres. Le sol est meubles et les hommes au fur et à mesure qu’ils creusent, consolident avec du bois ou de la paille (uɣən), ou avec des pierres (aẓăraf) pour éviter que les puisards ne s’effondrent chaque jour. Début mars la nappe s’assèche et c’est le retour aux puits à grand diamètre.
B. Le retour au calvaire
1. Les puits à grand diamètre. Très généralement les lieux d’habitation sont choisis en fonction de la disponibilité des patûrages et donc très loin des puits. En fonction des distances qui séparent chaque campement du puits, certains quittent le campement très tôt le matin et ne reviennent qu’au couché du soleil. D’autres quittent le matin et ne reviennent que le lendemain.
Quand arrive la grande chaleur, c’est la souffrance extrême qui commence entre mars et juillet.
Les animaux à cause de la grande distance entre les maigres patûrages et les points d’eau ne sont abreuvé qu’un jour sur trois pour les vaches, les petits ruminants et les ânes. Les dromadaires une fois par semaine.
a. Description des puits.
Les puits à grand diamètre foncés par les habitants depuis plusieurs siècles ou ceux attribués à Jawder (Pacha Djouder) continuent à rendre de fiers services à la population. L’eau y est toujours abondante. Le hic c’est qu’au fil des siècle, les fonds se sont effondrés devenant des galerie souteraines à 160 mètres de profondeur. Comme ce sont des puits ouverts à tous vents, les tempètes de sables et les éboulements comblent chaque année le lit de l’eau et la chassent dans les galéries. Il faut chaque année vers fin février organiser des travaux de désensablement pendant plusieurs jours pour que l’eau s’accumule en un seul en droit.
Il y a quelque puits foncé par les colons durant les années 50 qui n’ont pas tenu plus de dix ans. La raison toute simple est que ceux qui les ont foncés se sont contenté d’atteindre la nappe superficielle à 70 ou 80 mètres alors que dans les documents qu’ils ont écrit il est dit que la nappe pérenne se trouve à 200 mètres. Les puits financés par l’état ou les ONG suivent la même voix exceptés ceux foncés en bordure des oueds (Jean-Marie). Les entrepeneurs soucieux de leurs bénéfices se contentent de la nappe superficielle, les maîtres d’ouvrages et tous les autres intervenants sensés s’assurer de la qualité du travail prennent leurs parts et ce que leur offre l’entrepreneur et jurent la main sur le coeur que le travail a été bien fait. Quelques années après, le puits s’assèche ou le débit devient si faible qu’il ne peut fournir une eau suffisante face aux besoins énormes.
b. Les outils de l’exhaure.
-La fourche(tafolt): Chaque puits a en moyenne quatre à six fourches. Chaque fourche appartient à un clan en fonction de son poids démographique ou économique. Les membres du clan se relaient pour leurs besoins en eau par jour ou un jour sur deux.
-Chaque membre doit avoir sa corde de 120 à 160 mètres de longueur faite de peaux de dromadaires ou de zébus découpées et tressée en trois brins. Sa puisette en peau de veau, son abreuvoir, sa poulie et son animal de traction. Le meilleur est le dromadaire, ensuite le zébus à défaut une paire d’ânes mais les bourricots s’épuisent très vite. Pour exécuter ce travail harassant il faut au minimum trois personnes: un homme à la fouche pour saisir la puisette à la sortie, un homme ou un enfant pour guider l’animal de traction et un troisième pour veiller sur les animaux. Quand toutes les fourches sont utilisées en même temps, la nappe s’amenuise très vite et il devient obligatoire d’arrêter l’exhaure une ou deux heures pour permettre le nouvellement la quantité d’eau.
-Les pauvres. Ceux qui n’ont pas le matériel d’exhaure. Ils ont droit à la solidarité des autres. Soit ils attendent que les proches parents finissent leur corvée d’eau et utilisent leur matériel et leurs animaux de traction. Ou si leurs animaux ont trop soif, ils peuvent prendre chaque troisième ou quatrième puisette de chaque fourche (tejemt) ou tourner entre les différents abreuvoirs muni d’une puisette plus petite pour y puiser chaque fois que l’eau y est deversée.
Une journée au puits commence à 5 heures et se termine vers 17 heures pour les moins nantis en troupeaux. Chacun commence par abreuver les animaux avant le remplissage des outres. Une foi au campement, chacun boira, on videra les outres pour abreuver les cabris, les agneaux, les veaux et les chamelons. Le peut qui reste généralement ne dépasse pas pas une outre. Il servira à la consommation de la famille jusqu’au matin. Le matin, le peu qui reste sera deversé dans un récipient et sera rationné toute la journée au profit des enfants et des personnes agées. Les hommes et les adolescents reprendront tôt demain le chemin du puits. Mais avant leur retour le soir, des drames peuvent se produire et il se produisent chaque année dans chaque campement. Il suffit d’une bourrasque de sable, d’un mouvement d’un enfant turbulent ou d’un saut de cabris pour renverser le précieux liquide. Et avant l’arrivée du ravitaillement le soir, un enfant ou une personne agée peut mourir de soif.
Dans le Nord du Mali voilà le quotidien de tous ceux qui vivent 50 km au Nord ou au Sud du fleuve. Notre pays est signataire des différentes conventions qui font de l’accès à l’eau un des droits fondamenteaux de l’homme. Pourtant chaque année, des personnes et du cheptel meurent sans jamais susciter une réaction à hauteur de souhait des décideurs politiques.
Un droit fondamental n’est-il un devoir urgent dont les décideurs doivent s’acquitter envers chaque citoyens?
Zouda Ag Doho
Source: tifinaghecriture, facebook
Par Kibaru.ml