Nous sommes le Vendredi 13 Mai 2005, dans la région de Bangolo, en Côte d’Ivoire. Un jour de stress intense pour les soldats français de la force Licorne, chargés de s’interposer entre deux camps lancés dans une guerre sans merci. D’un côté, les troupes gouvernementales de Laurent Gbagbo, de l’autre les troupes rebelles d’Alassane Ouattara. Non seulement ces deux-la ne font pas de cadeaux, mais le no man’s land qui les sépare est infesté par les « coupeurs de route », ces bandits de grand chemin qui rançonnent, torturent, tuent et violent. Leurs atrocités défient l’imagination. Il ne se passe pas un seul jour sans que les militaires français ne ramassent des femmes sauvagement violées, des cadavres d’hommes massacrés à coup de machette, avec les doigts coupés, les testicules dans la bouche…
-Il faut les attraper, les salopards, il faut les choper et en buter un, répète régulièrement le colonel Eric Burgaud, un des officiers responsables du secteur.
Plus facile à dire qu’à faire. Les «coupeurs de route », sitôt leurs crimes perpétrés, s’enfoncent dans la jungle où les soldats sont incapables de les poursuivre. Les français se contentent de patrouiller sur les pistes et sont eux-mêmes à la merci de ces petits groupes de tueurs, cachés le long de la chaussée, qui peuvent les arroser de rafales de Kalachnikov… Il y déjà eu des morts et des blessés. Les hommes vivent le doigt sur la détente de leur fusil d’assaut, sans savoir s’ils seront encore en vie le lendemain. C’est la guerre civile au quotidien dans ce qu’elle a de plus inhumain, de plus cruel, de plus dangereux…
Il a pris une balle dans le tibia
Ce Vendredi-là, vers 9 heures du matin, deux véhicules blindés légers remontent lentement la piste encombrée par des colonnes de paysans ivoiriens, entre carcasses de voitures calcinées et pneus qui brûlent. La routine. Mais soudain, un « indic » local, qui sert aussi d’interprète, se penche vers le sous-officier qui commande la patrouille…
-Celui-là, c’est Firmin Mahé ! murmure-t-il en montrant discrètement un grand noir d’une trentaine d’année, en train de marcher sur le bas-côté.
Firmin Mahé, l’un des plus redoutables « coupeurs de route »du coin ! Un fou sanguinaire qui a déjà une demi-douzaine de meurtres et autant de viols à son actif, et qui circule en général armé d’un fusil de chasse à canon sciés… Le commandant du détachement court déjà en direction des marais. Un soldat lui lâche une rafale de Famas, mais le fuyard plonge dans un marigot et disparaît. On tente de le rattraper. Sans succès.
En fin d’après-midi, ce même jour, coup de théâtre. Une patrouille découvre par hasard Firmin Mahé qui se traîne sur un petit chemin de terre, à quelques centaines de mètres de là. Le « coupeur de route » a pris une balle dans le tibia. Il est très affaibli, mais conscient.
Les militaires le transportent au poste de Bangolo, à une dizaine de kilomètres, mais là, il ne trouve rien de mieux à faire que de mordre l’infirmière qui tente de désinfecter sa plaie…
L’un des responsables du poste, l’adjudant-chef Guy Raugel, le téléphone alors au PC de Man, la grande ville voisine, pour savoir ce qu’il doit faire du prisonnier.
-Amenez-le ici, lui répond le colonel Bourgaud. Mais roulez doucement, prenez tout votre temps…
L’adjudant-chef Raugel, un vieux routier des opérations en Afrique, n’a pas besoin qu’on lui fasse un dessin : « prendre son temps », c’est faire en sorte que Firmin Mahé décède de ses blessures avant d’arriver à destination. Pourtant, le sous-officier veut un ordre précis, sans équivoque…
-Vous me confirmez, mon colonel, que Mahé ne doit pas arriver vivant à la base ? Insiste-t-il.
-Vous m’avez bien compris, dit le colonel avant de raccrocher.
En général, on lui tire dans le dos
Peu après 19 heures, Firmin Mahé est installé dans un blindé léger. L’adjudant-chef désigne deux hommes pour l’accompagner : le brigadier-chef Lianrifou Ben Youssouf, 25 ans, un soldat brillant, plusieurs fois décoré, qui prend le volant du véhicule. Et le brigadier-chef Johannes Schnier, 28 ans, un « petit gradé enjoué et jovial », comme dit son dossier militaire, qui est chargé de surveiller le prisonnier à l’arrière. Puis le blindé s’engage sur la piste de Man très lentement…
En général, quand on veut se débarrasser d’un prisonnier encombrant, on le fait descendre du véhicule et on lui tire dans le dos, comme s’il avait cherché à s’enfuir. C’est la tristement célèbre « corvée de bois », pratiquée dans toutes les guerres du monde… Mais vu l’état de Firmin Mahé, ce 13 Mai 2005, impossible de faire croire qu’il aurait pu tenter de s’échapper. Alors que le véhicule se rapproche de Man, le blessé est toujours en vie. L’adjudant-chef Raugel comprend que, pour obéir aux ordres, il va devoir forcer le destin…
C’est alors que son regard accroche le sac-poubelle en plastique noire qui traîne dans le vide-poches du véhicule. Le sous-officier pense avoir trouvé la solution. « Il est inconscient, je l’étouffe », se dit-il. Il demande au brigadier-chef Schnier de redresser le prisonnier sur son siège. Et il lui enfile le sac sur la tête. Puis il le maintient autour du cou. L’effet est rapide. Firmin Mahé, asphyxié, meurt après quelques soubresauts. Le « coupeur de routes » ne fera plus de mal à personne.
Arrivé sur la base de Mans, l’adjudant-chef rend compte au colonel Burgaud.
-Mission accomplie, dit-il en racontant comment il a achevé le prisonnier.
On prévient le général Henri Poncet, le patron de l’opération Licorne, qu’un « coupeur de routes » a été mis hors d’état de nuire.
Pour l’armée, l’affaire est classée. L’adjudant-chef Raugel et ses deux hommes retournent à leur poste… Personne n’a songer à leur demander de garder le silence sur cette exécution sommaire, tellement cela va de soi. Mais trop de soldats sont au courant. Les conditions de la mort de Mahé finissent par s’ébruiter.
Et quand la presse les révèle au grand public, en décembre 2005, le scandale est énorme. C’est l’hallali. Le ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie, décide de suspendre le général Poncet, à qui elle reproche d’avoir « couvert ses hommes »… Celui-ci, un temps mis en examen, se défend d’avoir donné l’ordre d’exécuter Mahé, se défaussant sur ses subordonnés. Il bénéficiera par la suite d’un non-lieu…
L’idéal est que Mahé arrive mort
D’autres ne tentent pas de fuir leurs responsabilités. Le colonel Burgaud reconnaît avoir dit à l’adjudant-chef Raugel que « l’idéal était que Mahé arrive mort de ses blessures »… Et l’adjudant-chef lui-même couvre ses deux subordonnés, arguant qu’il a pris seul la décision d’achever le blessé, « conformément à l’ordre qu’il avait reçu »
« La fin justifie les moyens », explique le sous-officier, quelque temps plus tard dans un entretien qu’il accorde au Dauphiné Libéré. Quand le journaliste lui demande pourquoi il n’a pas objecté que cet ordre était illégal, l’adjudant-chef hausse les épaules.
-L’armée, un ordre est un ordre. Ça ne se discute pas. Sur le coup, cet ordre semblait légitime. Il fallait que cela cesse, d’une manière comme d’une autre. C’était devenu le combat du bien contre le mal…
Le sous-officier en veut beaucoup à ceux qui parlent « le cul sur une chaise dans le fond d’un bureau », comme Michèle Alliot-Marie.
-Elle dit : « si vous recevez un ordre illégal, vous m’appelez ! » Bien sûr, madame, tout le monde a votre téléphone !
Satisfait d’être débarrassés de lui
Eric Raugel qui, depuis, a pris sa retraite de sous-officier, insiste : il n’a jamais été fier d’avoir exécuté cet ordre, mais il a conscience d’avoir fait ce qu’il devait faire. A l’époque, il a d’ailleurs été « félicité et remercié » par les habitants de Bangolo, satisfaits d’être débarrassés du dangereux tueur…
Le seul regret de ce milliaire carré, couvert de décorations et de rapports élogieux ? Avoir passé sept mois de détention préventive à la santé, à Paris, avec comme voisin de cellule Emile Louis, le tueur pédophile de l’Yonne…
Depuis le Mardi 27 novembre, les quartes anciens militaires concernés par l’affaire-ils ont tous quitté l’armée-comparaissent, libres, devant la cour d’assises de Paris que préside Olivier Laurent. L’ex-adjudant-chef Raugel et l’ex-brigadier-chef Chnier y répondent d’homicide volontaire, l’ex-colonel Burgaud et l’ex-brigadier-chef Ben Youssouf de complicité d’homicide volontaire…
Ce sera aux jurés de dire, le 7 décembre prochain, s’ils se sont comportés en soldats, ne faisant qu’appliquer des ordres venus d’en haut, ou s’ils ont agi en vulgaires criminels, trahissant la confiance de leur hiérarchie…
Les accusés restent présumés innocents
Source : le nouveau détective
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une chose est sure:Mahé et consorts étaient la terreur de la région sous controle de la licorne.il fallait que cela arrive,avez vous pensé aux victimes de ce grand bandit? ON devrait decorer ces militaires
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