Il est midi dans la zone industrielle (route de Sotuba) : les employés de la SODEMA sont à la pause. Une occasion pour nous d’échanger un peu avec eux. Certains agents ont bien voulu nous parler, mais dans l’anonymat, car « ici, c’est une jungle, on se torpille entre nous-mêmes », diront-ils. Pour échanger, rendez-vous est donc pris avec ces employés dans un endroit un peu plus reculé. L’un d’entre eux avoue qu’il ne connaît pas ce qu’on appelle « contrat » depuis bientôt quatre ans qu’il est dans la société. La plupart des agents disent travailler dans des conditions très pénibles car ils manquent souvent de gants et de cache-nez. Ils n’ont pas non plus droit au lait à la fin de l’heure, alors qu’ils travaillent avec des produits chimiques très toxiques. « Même ceux qui sont censés nous défendre sont tous des corrompus. La loi de l’argent l’a emporté sur la dignité humaine », ajoute un autre. C’est dire qu’à la SODEMA, c’est « chacun pour soi, Dieu pour tous » Créée dans les années 1980-1981, la société «SADIMEX» (Savon Détergent Import Export) a été la première usine de fabrication de savon en poudre au Mali appelé « Barika tigui ». La production se faisait de façon artisanale. C’est donc avec l’installation d’un matériel plus moderne en juin 1982 qu’elle a pris la dénomination de « SODEMA » et adopté la forme juridique « SARL » (Société à responsabilité limitée). Devenue industrielle, la « SODEMA » a diversifié sa production en mettant sur le marché d’autres produits détergents tels que le bleu communément appelé « boula », le savon en poudre pour machine à laver « Prop », l’eau de javel, le savon « BT », et les produits cosmétiques tels que la vaseline, les pommades de corps à base de beurre de karité, du gel pour cheveux… Fabriquer et commercialiser des produits de qualité à prix réduits afin de couvrir les marchés national et sous-régional ; tel est l’un des objectifs de la « SODEMA ». En dépit de l’actuel poids financier de cette société, beaucoup de Maliens ignorent aujourd’hui qu’ils sont en train de payer sur le marché « la sueur de l’esclavage » subi par leur frères et sœurs travaillant dans cette société.
Le hic dans tout cela, c’est que les travailleurs ne savent plus où aller se plaindre, encore moins à quel saint se vouer : à leurs yeux, c’est déjà peine perdue car l’influence des patrons a toujours prévalu sur ce type de plainte. Pour justifier un licenciement, le boss peut évoquer toutes sortes de raisons « valables » devant l’Inspecteur du travail. Et si besoin est, on soudoie ce dernier pour qu’il ferme les yeux dessus. Ces situations illustrent un peu l’atmosphère actuelle du monde du travail au Mali. Alors que sont condamnables le non paiement des salaires dans les délais légaux, le non respect du SMIG, la non déclaration des travailleurs à l’INPS, la non délivrance du bulletin de salaires et du certificat de travail en cas de licenciement ou de rupture du contrat de travail…Avec le manque d’emploi, plus de 60% de la population active est aujourd’hui concerné par des irrégularités. La demande étant devenue plus forte que l’offre, les chefs d’entreprise font la loi à leur guise. Encouragés par l’impunité, de plus en plus de secteurs bafouent les droits de leurs travailleurs, même si ces entreprises ont souvent les moyens de les respecter. A.K., spécialiste en ressources humaines, confesse sans ambages : « Les meilleures entreprises au Mali, ce sont les françaises. Avant d’investir au Mali, l`investisseur français prend le temps de lire le Code de l`investissement et le Ce code du travail. Il fait ses prévisions en tenant compte des droits du travailleur avant de venir s’implanter. Ce qui n’est pas le cas très souvent chez les Libanais, les Chinois et les Indiens ».
La procédure à suivre par les travailleurs
Toujours selon A.K., on fait souvent une mauvaise lecture de la vie de l`entreprise. « En tant que ressource humaine, quand un travailleur interpelle mon patron pour lui dire que cela ne se fait pas, soit je démissionne, soit j’organise ce qu’il va faire. Ensuite, j’expose ses exigences au patron. L’entreprise n’est pas une prison. Bien au contraire, ce sont plutôt les travailleurs qui se mettent en situation de prison ». A entendre A.K., ces travailleurs préfèrent gérer leurs problèmes avec leurs collègues au lieu d’en parler à la Direction des ressources humaines. Ce manque de procédure a conduit A.K. à expulser plusieurs membres de son personnel. Selon lui, le phénomène peut être attribué au manque de formation du travailleur. « Il faut que les syndicalistes et les centrales syndicales s’impliquent dans la formation de leurs membres », conseille-t-il. Au-delà, si le travailleur constate une faute lourde de son employeur, un mauvais traitement salarial ou une non déclaration à l’INPS (Institut national de prévoyance sociale), il doit saisir l’Inspection générale pour le premier cas et l’INPS pour le second. Mais A.K. indique toutefois que certains travailleurs ne veulent pas saisir ces organes, de peur de se voir licenciés. Alors, il conseille la discrétion : « Vous pouvez aller voir ces organes sans que personne ne soit au courant. Mais il faut le faire preuve à l’appui. Exemple : Quand est-ce qu’on dit qu’un employé est mal payé ? Lorsque les travailleurs et les employeurs se retrouvent pour définir le niveau du salaire, ils le définissent en fonction de la moyenne globale des entreprises. Les secteurs décident de payer leurs travailleurs à telle somme, selon tel poste. Si l’employeur le respecte, on ne peut pas dire qu’il paye mal. Mais s’il ne le respecte pas, alors il y a problème ». Il faut donc saisir qui de droit. Mais les organes sont-ils fiables ?
Le temps des travailleurs « esclaves » n’est pas encore révolu
Pour s’en rendre compte, il suffit d’aller à la SODEMA où les travailleurs broient du noir. Le chemin de la recherche de l’emploi peut quelquefois conduire à une aventure aussi décevante que périlleuse : c’est le cas des travailleurs de cette société. Les jeunes qui y travaillent se plaignent du mauvais traitement qui leur est réservé. « Ici, c’est la misère, c’est la galère ! », ont confié des employés. Ces propos enragés traduisent assez la précarité de leurs conditions de travail. Pire, les employés de la société ne disposent d’aucun accessoire de protection contre les produits chimiques nocifs pour la santé. « En plus, il préfère corrompre les autorités du pays plutôt que d’améliorer nos conditions de travail », explique un travailleur. Aussi inadmissible que cela puisse paraître, l’attitude de ce « Il » (le Libanais propriétaire de la société) n’a rien à envier à celle des « antiques négriers ». Cette attitude traduit plutôt ses accointances, voire ses complicités avec les autorités du pays et des opérateurs économiques véreux. Sinon, comment comprendre ces propos du genre « Les Maliens sont comme des chiens. Quand tu leur jettes un os, ils bondissent dessus… », sortis de la bouche même du PDG de la SODEMA, Alain Achkar. Ces propos dignes d’une autre époque puissent être tenus par un chef d’entreprise en toute quiétude ?
La défaillance des organes de contrôle
« L’Inspection générale de l’emploi, c’est le nez défaillant du système », note un des responsables de la CSTM qui explique que lorsque qu’ils saisissent l’Inspection générale du travail pour décrier les abus du fondateur, celle-ci le convoque. Mais la plupart des Inspecteurs font la part belle à ces patrons d’entreprise. « Ils prennent des pots-de-vin. Ce qui tue la confiance que nous devons placer en eux. Les Inspecteurs, s’ils ne se laissent pas manipuler, sont de connivence avec les directeurs de société. Alors allez-y comprendre quelque chose ! Il faut une plus forte implication de l’Etat, sinon les travailleurs continueront à broyer du noir dans nos entreprises », conclura le dit responsable syndical.
Paul N’guessan
Un jour les Libanais devront courrir très vite car ils auront les chiens (comme ils disent) à leur trousses.
Tout s’est aggravé sous ATT car on a plus peur. Ce sont vraiment les moutons qui se promnènent sans savoir ou ils vont. DJIKITIKè Ko DORON
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