“Le coup de fil qui tue “ : Peur sur le Mali et l’Afrique

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    Le week-end, on ne pouvait ne pas surfer pour s’iformer des risques récents avec le téléphone portable, on ne pouvait trouver que cette gravissime information : « les boites aux lettres électroniques sont actuellement remplies de courriels en provenance de LinkedIn ». En fait, il s’agit d’une campagne de plusieurs milliards d’hameçons à l’encontre des comptes bancaires des utilisateurs du réseau social.                         

    Tout le monde sur répondeur            

    Nulle part sur le web, on ne pouvait trouver de confirmation informée sur la folle rumeur qui a circulé à Bamako sur le numéro de téléphone inconnu qu’il ne faut pas décrocher sous peine d’être foudroyé par une crise cardiaque. Abidjan, Dakar, Niamey, Conakry, Ouaga : toutes les capitales de l’Ouest africain sont la proie de la psychose. Et bien entendu, les usagers ne se privent même pas de faire des appels internationaux pour recommander à  ceux qui leur sont chers de se méfier. 

    Des étudiants maliens pourtant pas fortunés, se sont organisés, de la  Tunisie, de l’Algérie ou du Maroc, entre autres, pour  mettre en garde leurs familles restées au pays. Leurs conseils : « ne prenez jamais un appel d’un numéro précédé de 00, soit un appel international » ou alors, « ne prenez  aucun appel masqué », ou enfin « ne prenez aucun appel inconnu ».  Cette armée du salut improvisée ne sait pas que la folle rumeur du coup de fil assassin s’était emparée de Bamako et du pays, jeudi soir et tout vendredi. 

    Au marché, dans les salons, sur les campus, dans les casernes ou à la maison, avec une maîtrise parfaite de la technique du viral, les « il paraît que » ont été remplacés par des témoins oculaires. Les vieux clichés ont refait surface et très vite les cerveaux du génocide technologique ont été trouvés : encore ces « Nigérians ». Et manque de pot pour les compatriotes de Jonathan Goodluck : ce jour là, « en plein défilé, douze personnes prennent le coup de fil interdit et meurent sur le champ ».  A peine si pour  les tenants d’une telle thèse, la piste de la voiture piégée ne relevait pas  de la pure intox et la revendication du coup par le Mend  d’un grand bluff. D’ailleurs, l’hécatombe c’était surtout à Bamako.  Les  fameux témoins oculaires soutenaient que « les morgues de la capitale  refusaient du monde ».  Et pour eux, le grand artiste national -Mangala Camara- que nous avons enterré vendredi serait encore en vie s’il n’avait pas décroché l’appel mortel.                               

    Victoire de l’irrationnel                                 

    Naturellement, jusque-là, la nouvelle n’a trouvé personne pour la démentir officiellement. Notre confrère Fr3, à travers son animateur vedette Djossé Traoré, a fait de son mieux pour convaincre les auditeurs qu’il est pratiquement impossible de tuer par le téléphone. Le pays avait simplement commencé sa résistance. Un numéro inconnu s’affiche t-il sur un portable ? Il y avait peu de chance qu’il soit honoré. Le proprio d’un lieu de réjouissance appelé avec insistance, par nos soins, pour avoir une table de six personnes chez lui, vendredi soir, n’a répondu que lorsqu’un ami commun l’a grondé.

    Il m’appellera par la suite en mettant son silence sur le simple compte du principe de précaution.  Combien d’affaires juteuses ont-elles été avortées par  la psychose ? Combien le seront-elles jusqu’au démenti ? Difficile à dire mais ce qui est sûr, c’est que les compagnies de télécom, les revendeurs de carte, n’ont pas dû faire leur meilleur business durant le week-end écoulé. Elles devaient donc être les premières à démentir la rumeur ?  « Cela serait une erreur fatale » prévient N.K, professeur de sciences sociales à l’université de Bamako. L’universitaire estime que plus on dément ce genre de nouvelles, plus elle prend l’allure de la vérité. Peut-être, avait-il été consulté avant par le Ministère de la Communication et des Nouvelles Technologies ? Ce département au nom prédestiné – en tout cas par rapport au mode opératoire de ces criminels d’un genre nouveau – ne pipe mot. Les efforts d’un de nos collaborateurs pour joindre certains responsables dudit département n’ont pas payé.

     Ce n’est guère étonnant : ils ont été appelés à dessein avec un numéro masqué. « Le joug de l’irrationnel a encore de beaux jours devant lui », prophétise notre universitaire qui le dit par rapport au « vieux fonds animiste du pays, malgré la prolifération des mosquées » ajouté à « la peur  du sorcier blanc capable de tout avec ses inventions  ». Pour le sorcier blanc, on ne sait pas. Mais pour l’irrationnel, on n’a qu’à se souvenir de la psychose des rétrécisseurs de sexe haoussa qui a alité le pays en 1998. L’histoire est simple : des inconnus te tendent la main, tu la prends et ton pénis disparaît. Une tragédie irréparable dans une société de procréation jusqu’au moment où, atterré devant le médecin, on s’entend dire par celui-ci : « pas de panique, tu n’as rien perdu du tout, voilà l’objet à sa place ».  Bien sûr, le médecin n’a rien compris : l’objet était perdu mais il est revenu parce que Dieu est grand.

    Adam Thiam 

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