Dixit certains techniciens de la compagnie Mali Air Express (MAE) selon lesquels, leurs avions, notamment, le SAAB 340 et le LET 410, loués souvent, par la Présidence et les membres du gouvernement pour des missions à l’intérieur de notre pays, sont devenus, faute d’entretien adéquat et de pièces de rechange, de véritables cercueils volants. Qui mettent en danger la vie des passagers, constitués en majorité de maliens de l’extérieur.
Lors de sa dernière visite à Kayes, le 19 octobre dernier, Lobbo Touré aurait embarqué, avec sa délégation, sur le SAAB qui, selon certains techniciens, n’était pas en état de voler, pour causse de pneux défectueux. Ce que nie, en bloc, Alain Achcar, pédégé de la Compagnie Mali Air Express. Enquête.
« Le jour où, Mme la Présidente se rendait à Kayes, accompagnée de sa délégation, le SAAB à bord duquel elle a embarqué n’était pas, en vérité, en état de voler. Les pneux de l’avion avait dépassé le seuil du tolérable. Et l’avion pouvait s’écraser, à chaque atterrissage ou décollage ».
Les gestes hauts et forts, ces deux techniciens –qui souhaitent garder l’anonymat pour des raisons faciles à imaginer –ne décolèrent pas, face à ce qu’ils appellent « la menace d’une tragédie à l’échelle nationale ». Car, ajoutent –ils, quelques jours seulement avant le voyage de Mme la Présidente à Kayes, le pilote a eu une chaude dispute avec Alain Achcar, son patron, afin que ce dernier change les pneux de l’avion. En vain. Pire, indiquent –ils, leur compagnie ne dispose pas de stock de pneux. Ni de pièces de rechange. Le pédégé de la compagnie, assurent –ils, attend que les pièces des avions soient, complètement, usés, avant de se décider à en commander, mettant du coup la vie des passagers en danger.
« La première Dame a pris, ce jour –là, de gros risques en s’embarquant, avec sa délégation, à bord de cet appareil », reconnaissent –ils un mois après. Et un autre technicien d’ajouter, en ouvrant un gros cahier, faisant office d’agenda : « Lorsque j’ai fait remarquer au patron, que ces deux avions ont besoin d’une révision plus approfondie et de pièces de rechange neuves, il m’a répondu en ces termes : on fait avec, on se débrouille ». Bref, disent –ils, l’état de ces deux avions sont en déçà des normes requises.
Le SAAB 340 et le LET 410 : des cercueils volants ?
Créée, il y a un peu, la Compagnie Mail Air Express dispose de deux avions : un SAAB 340 suédois, immatriculé 3xGED et un LET 410 d’origine Tchèque immatriculé 3xGDK.
Ces deux avions ont été immatriculés en Guinée –Conakry. Rachetés à une société sud –africaine par Alain Achcar, ces avions –du moins aux dires des techniciens –ne respectent pas les protocoles de visite. En clair, les visites techniques après un certain nombre d’heures de vol. un exemple : le SAAB a fait, à les en croire, plus de 400 heures de vol, sans subir la moindre visite technique. « Malgré tout, cet avion continue de voler, avec tout ce que cela comporte comme risque pour les passagers ».
Plus grave, ajoutent –ils, le LET a volé, durant tout l’hivernage, sans radar de mauvais temps. Emettant des ondes magnétiques, c’est ce radar qui permet à l’avion de détecter les nuages contenant de l’eau. En l’absence de cet appareil, l’avion risque d’exploser, au contact de ces nuages. Autrement dit, sans ce radar, le pilote navigue à vue. Obligé qu’il est d’éviter, à chaque fois, les nuages. Un chemin de croix pour les passagers, exposés à de violentes secousses.
« Un jour, le pilote russe, Sergueï m’a confié ceci, de retour de Kayes : mon ami, j’ai échappé à la mort aujourd’hui. Même mes couilles tremblaient. Car, en évitant un nuage, un autre, plus épais, est apparu devant moi. J’ai pû l’éviter. Mais à quel prix ! » nous confie un technicien, en rigolant.
A tout cela s’ajoute l’absence de pièces de rechange. La Compagnie, disent ces techniciens, ne disposent d’aucun stock. Bien plus, poursuivent –ils, elle ne dispose même pas d’un simple crique pour changer les roues de l’avion. Les pannes techniques sont fréquentes. Et, souvent, mal raccommodées.
Pour faire ces révisions, disent les techniciens, les ingénieurs de la compagnie doivent avoir, ce qu’on appelle dans le jargon de l’aviation civile, la « qualif. ». C’est-à-dire, la qualification requise. Ce que personne ne possède au sein de la Compagnie.
Deux ingénieurs de la Compagnie –Mahroun, un libanais, et Boubacar Sy, un ancien de l’armée de l’Air nigérienne –avaient été envoyés en suède, pour un stage de qualification. Ils sont revenus bredouilles. Ils ont échoué à l’examen final.
Ils sont incapables, aujourd’hui, d’assurer la maintenance de ces avions. Et c’est tout récemment, que l’ingénieur nigérien a été envoyé –de nouveau –en suède pour décrocher sa qualification.
Nos interlocuteurs jugent leur licenciement arbitraire : renvoyés sans salaires, ni droits, pour avoir dénoncé le mauvais état des avions. Convoqué, à deux reprises, à l’inspection du travail, Alain Achcar n’a pas daigné répondre. Pire, jeudi dernier, un Agent de l’Inspection du Travail nous a joint par téléphone, en ces termes : « Non seulement, Alain Achcar n’a pas répondu aux convocations ; mais il a téléphoné à notre bureau pour nous signifier qu’il ne leur verse pas un rotin ».
Si l’Inspection du travail, seule voie de recours pour les « pauvres licenciés », a préféré garder la queue entre les pattes, que doit faire alors, la Direction Nationale de l’Aéronautique civile ? La réponse semble couler de source : rien !
Un exemple concret : comment a t –elle pû laisser voler le LET, pendant que cet avion, aux dires des techniciens, pissait du Kérozène par les ailes ? « Nous avons fait ce jour –là la maintenance un vendredi. Malgré tout, les ailes de l’avion suintait le Kérozène. Nous avons cherché, d’où vient cette panne. En vain. C’est alors que nous avons demandé à notre Direction de clouer l’avion au sol, en attendant de détecter la panne. Mais le jour suivant, c’est-à-dire samedi, nous étions étonnés de voir le même avion sur la piste de décollage, prêt à partir pour Kayes », ajoute un autre technicien, en guise d’anecdote. Avant de poursuivre, avec un air inquiet : « Mais vingt minutes après le décollage, l’avion a fait demi tour, pour se poser sur la piste d’atterrissage. Quand j’ai interrogé le pilote, il m’a répondu que le moteur de l’avion est en surchauffe ».
Mais contre toute attente, dit- il, la Direction de la compagnie a ordonné aux techniciens de s’en occuper, rapidement, afin que les passagers puissent réembarquer. Refus catégorique de ces derniers, qui ont demandé à être remboursés. Ce jour –là, poursuit –il, même les pompiers de l’aéroport son arrivés, en catastrophe, en voyant l’avion se poser, vingt minutes après son décollage.
« C’est moi qui ait pris la responsabilité de leur expliquer pourquoi l’avion a rebroussé chemin. Car, personne ne pouvait le faire. Au risque de se voir licencié, sans droit », explique t –il.
Même le SAAB, une fois, a connu pareil déboire, pour cause de surplus de bagages. Après avoir posé son avion, avec toutes les peines du monde, le pilote a exigé –selon nos interlocuteurs – à ce qu’on diminue le poids des bagages.
Ce pilote, nous dit –il, a été inspiré, ce jour –là, par l’exemple béninois. En effet, en 2003, un avion béninois, immatriculé, lui aussi en guinée –Conakry, s’est écrasé au sol à cause du surplus de bagages. Bilan 200 morts environ.
Corruption ou négligence délibérée de la Direction Nationale de l’Aéronautique civile ?
A en croire les techniciens de la Compagnie Mali Air Express, ces deux avions méritent d’être cloués au sol par la Direction Nationale de l’Aéronautique civile. Mais celle –ci continue de fermer les yeux. Contre quoi ? Difficile de le dire, au stade actuel de nos enquêtes. Et nos interlocuteurs de répondre : « Les Agents de la DNAC sont au courant de tout. Mais personne ne réagit ». Corruption ou négligence délibérée ? Mystère et boule de gomme.
Même sur le plan des ressources humaines, cette compagnie laisse à désirer. Selon les normes internationales, chaque avion doit disposer d’au moins trois techniciens : le mécano, chargé de vérifier les niveaux d’huile, l’état du moteur et du fuselage ; le technicien qui s’occupe du bon fonctionnement des radars, et des appareils de communication et un troisième technicien, chargé du suivi de tout cela.
A l’issue de la vague de licenciements, la compagnie Mali Air Express (MAE) ne dispose, aujourd’hui, que de deux techniciens : un libanais et un malien.
Le pédégé de la compagnie nie tout, en bloc
Rencontré, jeudi 16 novembre aux environs de 12 h 30mn, à son bureau de la zone industrielle, Alain Achcar, le pédégé de Mali Air Express nie tout, en bloc.
« Il n’y a rien à reprocher à mes avions. La Direction de l’Aviation civile effectue, régulièrement, ses contrôles », nous répond t –il. Avant de poursuivre, la mine grave : « Nos avions sont suivis par des techniciens, installés en Europe. Même au moment où, je vous parle, le SAAB est immobilisé depuis quatre jours pour des réparations ».
S’agissant de l’absence de radar sur un des deux avions, le pédégé de Mali Air Express tente de nuancer ses propos : « un radar, ça peut tomber en panne. Mais ça n’empêche pas un avion de voler pour aller à Kayes ». abordant la question du LET, pissant du Kérozène par les ailes, du nombre d’heures de vol sans révision, Alain Achacar répond d’un ton sec, coupant cours à tout commentaire : « Je ne suis pas au courant ! ».
Quant à l’immatriculation de ses avions en guinée, il répond avec une surprenante franchise : « Parce qu’en guinée, on peut immatriculer son avion sans payer de droits. Alors qu’au Mali, ça coûte trop cher. Mais je paie une redevance par heure de vol au Mali ».
S’agissant des risques encourus par la première Dame, lors de son voyage à Kayes, pour cause de pneux défectueux, il répond sans ambages : « Tout cela, c’est de la médisance, rien de plus ! ».
Toutefois, il reconnaît que sa compagnie ne dispose pas de crique pour changer les roues de l’avion. « On loue le crique avec les sud –africains pour changer les roues de nos avions. Et alors ? », confesse t –il. Avant d’aborder la question des licenciements, qui a soulevé un tollé à l’Inspection du Travail.
En effet, outre les techniciens de sa compagnie, nous y avons rencontré, mercredi dernier, des ouvriers de son usine de savon, la société des Détergents du Mali, eux –mêmes, licenciés. Sans droit.
S’agissant du cas précis des techniciens de sa compagnie aérienne, il s’explique en ces termes : « Les techniciens licenciés l’ont été, parce qu’ils sont incompétents ».
Selon une source proche de la Direction Nationale de l’Aéronautique civile, cet argument ne tient pas la route. Car, dit –elle, les techniciens licenciés sont tous sortis de grandes écoles. Avec une expérience professionnelle de près de 20 ans, à leur compteur. Notre source cite, en particulier, le cas d’un technicien, réputé calé dans son domaine par les professionnels du métier. Ce dernier a été pendant près d’une décennie le chef du service logistique d’Air Afrique. Recruté par Alain Achcar, sur les conseils de la Direction Nationale de l’Aéronautique civile, cet technicien vient d’être, lui aussi, licencié par le Pédégé de Mali Air Express pour, dit –il, « incompétence ». Et Alain Achcar de préciser : « C’est un homme de bureau, pas un homme de terrain ».
Avant de conclure, en prenant à témoin, son conseiller : « tout ce que ces licenciés disent de ma compagnie, relève de la médisance. Parce qu’ils ont été licenciés ». Une déclaration qui jure avec les témoignages, recueillis auprès de certains ingénieurs de la Tour de contrôle de l’Aéroport de Bamako. Nous y reviendrons, dans nos prochaines éditions.
Une enquête du Mollah Omar
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