Au moment où le choléra sévit dans plusieurs coins du pays, sonnant l’alerte générale au niveau des services d’assainissement et de santé, des mesures ont été prises, dit-on, pour enrayer le mal. Mais il suffit de se promener dans quelques marchés de Bamako, en cette période d’hivernage, pour se rendre compte que les ménages vont s’approvisionner en denrées tous les jours à côté des tas d’immondices et des flaques d’eau stagnante. En effet, les étals sont livrés à l’insalubrité et aux mouches, faisant ainsi des marchés de véritables gisements de bactéries.
Les odeurs fétides qui se dégagent de deux tas d’ordures disposés de part et d’autre de son entrée principale sur la rue du docteur O. Traoré. Tel est le décor que le marché de Oulofobougou réserve au visiteur encore loin de se douter que le pire se trouve à l’intérieur, entre les étals, en cette journée pluvieuse du mardi 23 août 2012. En effet, au tout début du couloir menant aux tables de fortune qui servent d’étal, une femme est en train de proposer du poisson frit, négligemment exposé dans une grande assiette livrée aux caprices du vent. Heureusement qu’avec la pluie qui venait de tomber le matin, il n’y a pas de poussière à cette heure de la journée, contrairement aux autres jours. Mais en contrepartie, de grosses mouches envahissent l’espace et se plaisent à faire la navette entre les immondices et les poissons déjà cuits. Un de mes accompagnateurs, très coquin, secoue la tête au vu de la scène et lance ce commentaire goguenard : " C’est ça qui donnera un goût particulier à ces poissons ".
En face, une vendeuse de sandwichs, gros éventail à la main, essaie de livrer bataille contre un essaim de mouches décidé à dicter sa loi. D’ailleurs au moment où elle emballe un sandwich, trois grosses mouches vertes, très audacieuses, foncent comme des fusées pour se poser se poser dessus. Elle les chasse de la main gauche, la main droite tenant le pain. A cet instant, d’autres bestioles attaquent son assiette restée béante. Une tombe dans la sauce et s’y noie. Sans sourciller, la vendeuse referme rageusement son assiette pour remettre ensuite le sandwich à l’acheteur qui a assisté à toute la scène. Va-t-il jeter ce sandwich devenu une petite fabrique de microbes ? Non vraiment ! Il mord dans son pain à pleines dents, devant le regard méprisant de quelques passants qui reprochent certainement à ce gaillard le fait de manger en public, sans gêne, en pleine journée de ramadan.
A l’intérieur du marché, les patates, bananes alloco, ignames, viandes, poissons, légumes et autres aliments sont exposés sur des étals en bois noirci par l’âge, la poussière et la saleté. Des étals entourés par des flaques d’une eau boueuse et puante. Apparemment, cela ne semble gêner personne car ce monde trouvé sur place affiche une parfaite aisance qui divorce d’avec l’insalubrité ambiante. De leur côté, les vendeurs de viande sont envahis par une nuée de mouches qui s’activent autour des gigots et carcasses accrochés en plein air, sans aucun emballage ou protection.
La situation est plus grave au marché de Lafiabougou Tabacoro où il est préférable de ne même pas poser le pied après la pluie car les eaux ruisselantes emportent avec elles toutes les saletés qui jonchent les allées. Mais ce qui attire beaucoup plus l’attention dans ce marché, c’est le marché à volaille. Si quelqu’un s’aventure à trouver dans leur espace de travail les jeunes qui déplument les poulets achetés par les clients, il risque de renoncer, pour longtemps, à consommer de la volaille abattue dans les marchés (voir photo). Les poulets et pintades sont égorgés sur les ordures. La même eau sert ensuite à nettoyer tous les poulets, pintades et pigeons tués du matin au soir. En fait de nettoyage, on ne fait que les plonger pendant quelques secondes dans l’eau chaude d’un fût rouillé abandonné.
A notre passage, un boucher est en train de casser une tête de bœuf posée directement sur un gros caillou. Après trois coups de hache les morceaux s’éparpillent sur le sol. Mais cela ne semble nullement déranger la cliente, une femme pourtant bien habillée, arrivée à bord d’une luxueuse voiture. Elle se décide même à venir indiquer au boucher quelques pièces à ramasser dont certaines sont couvertes de plumes fraîches et sèches, mélangées à la vieille paille qui envahit le sol. La cliente demande au boucher de les laver dans la même eau où sont plongés les poulets, pigeons et pintades déplumés. Bizarre !
Heureusement que pour aller au marché de Niamakoro, en cette journée de pluie, nous nous sommes bien préparés en mettant des chaussures adaptées à la situation. Les abords du marché offrent un spectacle désolant de ruisseaux abandonnés dans des prairies. Nous étions obligés de relever nos pantalons jusqu’aux genoux pour passer dans les flaques d’eau qui ceinturent les tables sur lesquelles sont exposés les condiments. Des marchandes de légumes, plus précisément de crudités, ont choisi de se passer de tables. Elles ont déposé les condiments sur des morceaux de sacs en jute ou de vieilles étoffes déposés directement par terre, sur la boue encore imbibée.
Dans tout ça, où sont les services en charge du contrôle sanitaire des marchés de Bamako ? En tout cas, on est encore loin de la période de la crainte du service d’hygiène qui hantait le sommeil des populations. Au niveau des communes, on nous fait savoir que des missions sont souvent menées par des équipes pilotées par l’Agence Nationale pour la Sécurité Sanitaire des Aliments (ANSSA) et composées des éléments du service d’hygiène et de celui chargé de veiller sur l’assainissement et de contrôler les nuisances et pollutions. A chaque fois que des manquements sont constatés en matière d’hygiène, nous indique-t-on, des mesures sont appliquées dont des sanctions à l’encontre des contrevenants.
Au niveau de la commune IV, nous apprenons que deux sorties ont été faites cette année. Mais force est de constater que ces sorties sporadiques ont surtout visé les boutiques, notamment en ce qui concerne le respect des délais de péremption des conserves et les conditions d’exposition de certains aliments. Pour les marchés, nous confie un agent de l’assainissement qui préfère garder l’anonymat, " si on applique la réglementation presque tous les marchés de Bamako seront fermés. Nous sommes obligés de tenir compte des aspects politiques de la question car les marchés sont de grands contributeurs au budget des mairies, sans compter que les autorités ne veulent aucunement contrarier les vendeurs des marchés qui sont prêts à se soulever pour un oui ou un non ". Mais de là à laisser les marchés devenir des gisements de bactéries à ciel ouvert, il y a un pas qu’il faut se garder de franchir. Nous reviendrons amplement sur la problématique du contrôle sanitaire des aliments en abordant les conditions de production, d’acheminement et de vente de certains produits alimentaires de grande consommation.
Amadou Bamba NIANG