La promesse est une dette dit la sagesse. En concluant cette chronique la semaine dernière, je promettais de vous parler cette fois- ci des relations complexes entre l’eau et la Ville. Un des aspects importants se trouve être la gestion des eaux pluviales, leur quantité, leur collecte, leur évacuation aussi, conséquemment des inondations.
Au Mali, une stratégie nationale existe en la matière. Mais, elle ne semble pas avoir permis, à travers les mesures stratégiques préconisées, de prévenir ou même de limiter les dégâts humains et matériels. Cependant, il faut le reconnaitre, les mesures de riposte ou de relèvement prises par les plus hautes autorités furent vigoureuses, avec dans la foulée l’ouverture d’une enquête pour comprendre les causes de la catastrophe et situer les responsabilités humaines pour ce qui concerne les facteurs aggravants.
Parmi ces facteurs il ya l’urbanisation mal maîtrisée, l’état des voiries, des réseaux divers, etc. Il faudra également souligner l’impact du relief, du réseau hydrographique, en un mot le comportement hydrologique du bassin versant et son complexe qui doit faire l’objet d’une étude approfondie, surtout en ce qui concerne le temps de concentration des eaux.
Le relief est sans doute l’un des éléments les plus marquants dans l’organisation et la structuration des villes. De tout temps, l’homme a cherché à l’utiliser au mieux, soit pour se protéger des agresseurs, pour contrôler un point de passage stratégique, pour profiter de microclimats.
Les voiries et réseaux divers sont également fortement conditionnés par le relief et le réseau hydrographique.
Les grands axes de circulation, depuis l’époque préhistorique, utilisent les voies naturelles de pénétration à travers des éléments de relief comme les rivières et les fleuves. Les carrefours entre deux ou plusieurs de ces grandes voies de circulation ont donc constitué, par les échanges humains et commerciaux qu’ils permettaient, des points privilégiés de création des villes. L’histoire de la naissance de la ville de Bamako est assez éloquente à cet égard.
Du fait donc de la localisation des villes à proximité immédiate des rivières ou des fleuves, se protéger contre les conséquences des crues est très tôt apparue comme une nécessité. Le mythe du déluge est ainsi partagé par toutes les civilisations, quel que soit le climat sous lequel elles se sont développées. En témoignent, entre autres :
– le récit de l’ancien testament, emprunté aux Babyloniens, selon lequel le dieu Enkil a voulu noyer tous les hommes parce qu’ils faisaient trop de bruit et l’empêchaient de dormir ;
– le récit des Chippewa (indiens du Minnesota et du Dakota du nord) qui dit que le déluge a été provoqué par une petite souris qui a grignoté le sac en cuir où était enfermée la chaleur du soleil, ce qui à fait fondre toute la neige et toute la glace de la Terre ;
– le récit des Quiches du Mexique, nous enseigne que les dieux ont provoqué le déluge pour balayer leur première création ratée : les hommes modelés à partir d’argile ne pouvaient pas tourner la tête.
L’urbanisation se caractérise, en général, dans nos villes du sud par un développement anarchique de l’habitat et le non respect des Schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme (Sdau) et des Plans d’urbanisme sectoriels (Pus), avec la création de quartiers spontanés, qui a pour corollaire l’insalubrité, l’occupation de zones potentiellement inondables, le non respect des servitudes d’urbanisme. Cette occupation anarchique et dangereuse de sites non aménagés occasionne des risques constants d’inondations, par conséquent d’insécurité, des perturbations du bon écoulement des eaux pluviales.
L’urbanisation et l’aménagement du territoire influencent la façon dont l’eau affecte la société et la société affecte l’eau. Les conséquences les plus sensibles de l’urbanisation sont, entre autres, l’imperméabilisation des sols, les modifications de l’écoulement des eaux (accélération des écoulements, construction d’obstacles à l’écoulement) et l’artificialisation des hydro systèmes.
L’imperméabilisation des sols limite très fortement les possibilités d’infiltration de l’eau. Ce phénomène entraîne en premier lieu une augmentation des volumes d’eau ruisselée et est mis en avant pour expliquer les inondations urbaines. Une conséquence non négligeable de l’imperméabilisation des sols réside dans un manque de réalimentation des nappes souterraines. Il est accentué en cas de pompage dans la même nappe pour l’alimentation de la ville. En plus de l’effet direct sur la diminution de la ressource en eau, la baisse du niveau de la nappe est susceptible d’entraîner un affaissement du sol pouvant atteindre plusieurs mètres, lui-même susceptible de déstructurer les immeubles.
L’accélération à l’écoulement est la deuxième conséquence directe de l’urbanisation ou de l’aménagement des espaces péri urbains. Bien que moins évidente, elle est sans doute beaucoup plus déterminante dans l’augmentation des risques d’inondations. Elle consiste en un accroissement très fort des vitesses d’écoulement. Cet accroissement, dans les zones urbaines, est dû au remplacement d’un réseau hydrographique naturel, parfois non permanent par un réseau d’assainissement souvent surdimensionné. Il est également dû dans les zones péri urbaines au drainage des sols et au ré calibrage des ruisseaux et des fossés. Ce ré calibrage, souvent présenté comme un moyen sûr de lutter contre les inondations, a souvent eu comme origine l’urbanisation du lit mineur du ruisseau, zone naturelle d’expansion de la crue, et donc régulateur du débit à l’aval.
La construction d’obstacles, quant à elle, tient au fait que l’urbanisation s’accompagne toujours de la mise en place d’un réseau de voiries (routes et rues, etc.). Les plus importantes, autoroutes et routes sont souvent construites en surélévation par rapport aux terrains naturels qui les bordent, ou au contraire en tranchée. Ces voies de circulation superposent au relief naturel un ‘’ relief artificiel’’ qui, en particulier dans les zones peu pentues, peut modifier considérablement l’écoulement des eaux superficielles. Elles peuvent constituer de véritables digues lorsqu’elles sont perpendiculaires à la pente, donc aux lignes d’écoulement naturel de l’eau ou devenir de véritables canaux linéaires, parfois pentus en regard d’un bief naturel lorsqu’elles sont dans le sens de la pente. Les écoulements peuvent alors atteindre des vitesses très grandes provoquant des effets dévastateurs.
En ce qui concerne l’artificialisation des hydro systèmes, l’espace vital des cours d’eau ou leurs lits asséchés est progressivement occupé par la croissance urbaine. Petit à petit, les cours d’eau urbains sont oubliés des citadins, car busés, canalisés, cachés. Ils perdent ainsi toute possibilité naturelle d’épanchement de leurs trop- pleins en cas de crue. Les conséquences peuvent devenir catastrophiques. La ville correctement protégée, tant que le niveau de l’eau reste inférieur, se trouve brusquement submergée si la crue augmente. N’étant plus habituée à la présence de l’eau, elle révèle sa vulnérabilité accrue. Tout se conjugue alors pour transformer la crue en catastrophe.
L’urbanisation avec ses caractéristiques crée une augmentation des besoins en eau et assainissement. Toutes choses qui constituent des défis dans le contexte des changements climatiques.
L’un des défis aujourd’hui de la gestion de l’eau est le changement climatique, qui menace de modifier le volume d’eau disponible ainsi que les caractéristiques du cycle de l’eau dans de nombreuses régions du monde. Ce qui fait dire à plusieurs scientifiques que l’eau est le principal biais par lequel le changement climatique affectera les personnes, les écosystèmes et les économies et qu’elle est, à la fois, une partie du problème et un élément important de la solution, et que la gestion des ressources en eau constitue l’un des premiers éléments sur lequel l’adaptation au changement climatique devrait mettre l’accent.
Dans un tel contexte, il est plus qu’urgent de repenser la place de l’eau dans la ville.
Toute la problématique de la gestion des ressources en eau dans la ville renvoie à l’hydrologie urbaine dont l’objet est l’étude de l’eau et de ses relations avec les différentes activités humaines en zone urbaine. Elle s’intéresse ainsi à la partie de l’eau affectée par l’urbanisation ou affectant le fonctionnement de la ville : infiltration de l’eau dans les sols, ruissellement des eaux de surface et écoulements dans les biefs naturels, rivières, ou artificiels, canaux, etc.
Les relations entre l’eau et la ville sont complexes. Leur compréhension nécessite une analyse historique du développement de la ville et en particulier une analyse des techniques utilisées pour l’assainir. En tous les cas, la protection contre les inondations peut se faire par voie réglementaire, voire en interdisant l’urbanisation dans les zones potentiellement inondables. Aussi, à travers des solutions techniques on peut stocker les eaux pluviales avant des les renvoyer dans le milieu naturel, soit pour organiser leur infiltration à une vitesse compatible avec les capacités du sol ; soit pour organiser leur écoulement à des débits compatibles avec le dimensionnement des réseaux anciens ou neufs. Il s’agira, ce faisant, de rechercher l’ensemble des points de stockage et d’infiltration sur le cheminement de l’eau à l’intérieur du tissu urbain.
La réussite du développement de ces solutions nécessite surtout de changer d’attitude par rapport à l’eau, de promouvoir une nouvelle culture urbaine de l’eau. L’eau doit cesser d’être une menace ou une nuisance pour devenir un élément de valorisation. Il ne faut plus raisonner assainissement de la ville, mais utilisation de l’eau pour la mise en valeur de la cité à travers :
– la promotion de la ville en y développant des activités innovantes reposant sur l’eau ;
– le développement économique local reposant tant sur les activités traditionnelles associées à l’eau que sur le développement du tourisme ou de loisirs, voire sur la qualité du cadre de vie ;
– l’utilisation de l’eau comme élément d’aménagement urbain ;
– la mise en valeur du patrimoine lié à l’eau ;
– l’utilisation de l’eau comme élément de sociabilité : développement de lieux de rencontre ou d’activités autour de l’eau.
Doudou DOUMBIA