Elections législatives, second tour : Volez, trichez, fraude, la Cour vous blanchira

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296 requêtes, deux semaines d’une interminable attente, une nuit blanche et puis rien. La Cour constitutionnelle a décidé que toutes les requêtes déposées à son niveau par différents candidats à l’occasion du premier tour des élections législatives étaient nulles et de nul effet. En clair, les résultats proclamés par le ministère de l’Administration territoriale sont bons aux yeux des neuf juges de l’honorable Cour constitutionnelle. Ce qui a fait dire, à beaucoup de Maliens déçus, qu’il n’y avait plus de recours et que chacun pouvait faire ce qu’il voulait ou ce qu’il pouvait.

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Et pourtant, des faits graves avaient été signalés à l’attention de la Cour ; des faits mettant presque tous en cause, les agents de l’Administration qui avaient égaré leur impartialité le temps du scrutin pour se mettre à la disposition d’une liste contre une autre. Des préfets ont été accusés d’avoir proprement pris la clé des champs avec les urnes avant de réapparaître 24 heures plus tard pour certains avec les mêmes urnes bien remplies et un taux de participation défiant le bon sens. Ce fut le cas à Razelma dans la circonscription de Goundam. Mais pour la Cour, il n’y avait pas de preuve comme si elle disposait de preuves contraires. Des préfets ont été accusés d’avoir distribué des procurations à tour de bras dans le seul but d’influencer et d’influer sur le cours des élections. Des milliers de ce précieux document qui, en tant d’élection remplace les électeurs ont été versés à l’appui des accusation. Cela était bien mince pour émouvoir les membres de la Cour qui de toute vraisemblance avaient opté pour ne rien faire, y compris même le minimum syndical. Des délégués ont été attaqués lors des élections, certains ont été ligotés et d’autres braqués avec des armes à feu. Comme ce fut le cas à Bourem par exemple. Broutille pour la Cour.  Des candidats, notamment ceux de Gao, ont apporté des cassettes vidéo sur lesquelles la Cour elle-même reconnaît avoir aperçu un car de l’Armée garé, comme par hasard, à proximité d’un meeting. Pas suffisant parce qu’il

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« nous a été impossible de voir les occupants » ont déclaré les juges constitutionnels. Comme si ceux qui avaient utilisé le car de l’Armée pour participer au meeting allait suivre le spectacle confortablement assis dans le véhicule militaire attendant sagement le photographe. Des candidats ont été surpris en train de battre campagne après la fermeture officielle de celle-ci. Pas grave selon les juges. Des candidats ont été accusés d’avoir battu campagne le jour des élections, d’avoir distribué de l’argent pour acheter le vote des électeurs. Pas grave. On peut multiplier à souhait les cas de manquements de l’administration, de fraudes, d’utilisation abusive de procuration. La conclusion est la même : la Cour était « suffisamment informée » pour se laisser émouvoir par des requérants venus troubler leur ronronnement. D’où la question que tout le monde se pose : à quoi sert la Cour ? A se livrer à un concours de dictée et de diction disent les plus humoristiques.

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Mais sérieusement, la question mérite d’être posée. A quoi sert la Cour ? Pour provocatrice qu’elle puisse paraître, la question traduit un peu le désarroi de ceux qui ne savent plus à quel saint se vouer. En un peu plus d’une décennie d’existence, la Cour a navigué entre les deux extrêmes. En 2002, elle avait eu la main tellement lourde qu’elle avait été accusée de jouer le rôle d’un troisième bureau de vote d’où il était possible de changer les résultats et de déclarer vainqueurs des candidats donnés battus au sortir des urnes. De cette période, la Cour a certainement gardé un traumatisme dont elle ne s’est pas remise. Surtout que certains protagonistes, aux arguments visiblement percutants, avaient menacé de faire la peau à ceux qui se hasarderaient à les priver de leur victoire. Et puis, subitement la Cour a migré pour l’autre extrême où à défaut d’augmenter les scores proclamés par le ministère de l’Administration, la Cour reconduit les résultats tout en rejetant les requêtes qui lui parviennent. Ce fut le cas lors de la dernière élection présidentielle qui a défié tout bon sens. Au moment où le ministère éprouvait toutes les difficultés du monde pour tomber sur un cent pour cent rond, preuve évidente qu’il y avait à tout le moins des problèmes, la Cour a non seulement déclaré que tout s’était bien passé mais avait gonflé le score obtenu par le président sortant. Mais le plus grave lors de ce scrutin, c’est que la Cour avait  « légalisé » fraude. Ce qui fait que seuls les naïfs escomptaient sur un sursaut de sagacité de la part de la Cour constitutionnelle.

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Pour le second tour des législatives du dimanche prochain, il y a lieu de craindre le pire. Convaincu qu’il ne servira plus à rien de se plaindre, malgré les efforts pour mettre la forme juridique aux requêtes dans des coins où trouver un juriste compétent relève du chemin de croix, les candidats pourraient ne plus accorder d’importance à ces « détails ». Chacun s’appuiera sur les malheureuses jurisprudences de la Cour pour frauder, tricher, bourrer les urnes, acheter des cartes et des électeurs. Et comme chaque candidat a tout à perdre lors du second tour, il faudra surveiller le thermomètre social parce que plus personne ne se laissera voler de manière flagrante au nom d’un légalisme mal payé en retour. Parce que de toute évidence, ce sera à qui volera le plus que reviendra la victoire. Ce qui est dommage car se situant aux antipodes de toutes les valeurs pour lesquelles les Maliens se sont battus afin d’obtenir l’instauration de la démocratie dans notre pays. Il faudra également surveillé le comportement des agents de l’Administration. Ceux-ci se sont retrouvés au centre de toutes les requêtes. La rupture étant déjà consommée avec une bonne partie des Maliens, les gouverneurs, préfets et sous préfets feraient mieux de se tenir à leurs prérogatives.

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L’autre coup que les décisions de la Cour ne manqueront pas de porter au processus électoral se situera certainement au niveau du taux de participation. D’un scrutin à un autre, l’abstention prend du poids. Et ce n’est pas le genre de mesures prises par la Cour constitutionnelle qui pousseront les électeurs à se bousculer pour aller voter. De plus en plus, les Maliens ont la nette sensation que leur vote ne sert à rien. « Tout est préfabriqué, à quoi se fatiguer dès lors ? » s’interrogent ceux qui visiblement ont fait leur deuil.

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Bassaro Touré

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