En convoquant le collège électoral lors du dernier Conseil des ministres du 12 août 2015 avant les vacances gouvernementales, le pouvoir a tout simplement donné l’impression d’avoir la volonté d’organiser ces élections juste pour ne pas s’attirer l’ire des bailleurs de fonds. Il l’a fait sans grande conviction au regard de la situation qui prévaut sur le terrain. Les argumentaires ne manquent pas. Sept bonnes raisons motivent le report de ces élections même si au demeurant, la tenue régulière et à échéance convenue est un élément déterminant de l’état de santé d’une démocratie qui se veut légitime et respectueuse de la volonté populaire du peuple souverain. En voici sept raisons qui nous viennent d’une analyse discursive de la situation et qui feront que ces élections d’un enjeu tout particulier seront encore une fois de plus reportées. Si elles ne le sont pas, nous courons le risque d’une crise postélectorale grave dans un contexte déjà très fragile. Se préparer pour mieux sauter n’est pas une faiblesse mais un signe de responsabilité. Alors osons reporter pour mieux organiser à cause des sept raisons que voici :
1 La grande insécurité : Et comme la réponse du berger à la bergère, depuis que le gouvernement a fixé la date des élections au 25 Octobre, il ne se passe pas de jour où nos forces de défense et de sécurité ne subissent pas des attaques sur le terrain. De Gourma Rharous à Nampala, en passant par Sévaré jusqu’ici à l’auto-gare de Sogoniko à Bamako. Les citoyens sont inquiets et l’insécurité gagne tous les jours du terrain. Hier c’était seulement les régions du nord, mais aujourd’hui c’est tout le Mali qui est sur le qui-vive. Faute de sécurité, les élections ne seront que de la pure farce et le taux de participation déjà très faible dans nos élections risque d’être encore plus bas enlevant du coup toute légitimité à nos futurs élus.
2 L’accord de paix et de réconciliation : après la phase des signatures de l’accord, celle qui a commencé timidement est la délicate mise en œuvre. C’est en réalité, la phase la plus difficile parce qu’elle nécessite non seulement la mise en place d’un comité de suivi, mais aussi et surtout des mécanismes et instruments juridiques complexes pour son application. Surtout que la libre administration des collectivités y figure en bonne place. Les groupes armés, ne voyant pas une lisibilité claire, ne s’engageront pas dans une aventure aux issues incertaines pour eux.
3 Les divergences de vue de la classe politique sur le calendrier : certains partis de la majorité comme de l’opposition ont la même appréhension et évoquent les mêmes raisons : insécurité, impréparation, et l’accord de paix et de réconciliation dont la mise en place du seul comité de suivi pose déjà problème et surtout les déplacés et les réfugiés. Alors pour tous ces points, ils demandent le report des élections.
4 Les réfugiés maliens au Burkina, en Mauritanie, au Niger et d’ailleurs : la question qui se pose est celle de savoir si l’on peut tenir des élections inclusives en ayant un nombre aussi important de maliens réfugiés à cause des conflits évalué à plus de 29 000 personnes par le HCR, s’interroge un observateur ? Pour ne pas donner l’impression d’exclure certains maliens et donner l’occasion à d’autres de contester la légitimité des élus, le gouvernement doit, avant l’organisation, s’atteler au retour des déplacés internes et des réfugiés au bercail, en prenant en charge leur réinstallation sur leurs sites d’hébergement habituels.
5 La non clarification des prérogatives et des pouvoirs véritables des nouveaux présidents des conseils régionaux : Si la loi sur la décentralisation donne la libre administration aux collectivités territoriales sur papier, la réalité en est tout autre sur le terrain. Le transfert des compétences n’a jamais véritablement été effective, d’où la naissance des conflits communautaires et des rebellions. Pour permettre aux collectivités- régions de prendre leur destin en main, il faut une large autonomie de gestion par un transfert réel des ressources et compétences aux régions. Donc une clarification à ce niveau s’impose avant toute élection.
6 L’impréparation des élections : Une élection qui doit permettre aux citoyens à la base de choisir les hommes et les femmes à même de dessiner le futur local et régional, ne doit pas être bâclée. A quelques encablures de la tenue des élections historiques par son caractère, les médias d’Etat et même privés ne sont pas encore mis à contribution pour sensibiliser les citoyens de la nécessité de participer au vote. Il s’agit ici d’élections communales et régionales couplées, une première au Mali. Pour un électorat à fort taux d’analphabétisme, il faut de véritables campagnes de sensibilisation et d’information sur les enjeux de ces premières élections post-crise 2012. Donc une bonne préparation est indispensable pour que les citoyens participent à la gestion de leurs cités et ne contestent pas la légitimité des futurs élus.
7 L’érosion de la confiance entre les acteurs du jeu politique : Une partie de la classe politique en demandant le report des élections pour les raisons sus-citées, est déjà prête à contester les résultats si elle n’obtenait pas gain de cause. Le risque d’installation d’une chienlit pouvant aboutir à une crise post-électorale aux conséquences incommensurables n’est pas mince. Il faut donc travailler au retour de cette confiance indispensable entre les acteurs du jeu politique. Vivement donc cette entente entre acteurs du processus électoral pour une élection apaisée, transparente et dont les résultats seront acceptés par tous.
Le pouvoir IBK est donc interpelé. S’il comprend et anticipe sur une probable crise post électorale, ce ne serait que mieux pour le baromètre de santé d’une gouvernance déjà malade. Mais disons le aussi, notre administration électorale et la classe politique ne devraient pas se donner toujours les raisons de reporter des élections dont les dates sont connues depuis des années. Pour que l’expérience démocratique dans notre pays ne tourne pas court, il faut se donner les moyens de bien organiser les élections à temps et aux dates échues. Evitons de tomber dans le piège guinéen où depuis maintenant plus de cinq ans, on peine à organiser les communales. Des élections tellement reportées que les prochaines présidentielles seront organisées avant elles. Là-bas, chez nos voisins c’est déjà une grosse pomme de discorde entre l’Opposition et la Majorité. La géopolitique est un excellent système d’alerte pour un pouvoir qui sait anticiper sur les crises qu’il ne se contente de les gérer. Gouverner d’hier à aujourd’hui est donc une question de prévision.
Youssouf Sissoko