Dans un contexte de tensions politiques et une situation sécuritaire détériorée, le Mali s’apprête à organiser l’élection présidentielle en juillet 2018. La tenue du scrutin, sans amélioration notable de la situation, risque de porter un coup fatal à la fragile paix qui règne dans le pays.
L’annonce de la date de l’élection présidentielle fait entrer le pays dans un cycle électoral marqué par des incertitudes, notamment liée à l’insécurité persistante et à la tension qui règne sur la scène politique. Au-delà du résultat de l’élection, ce scrutin est confronté à plusieurs risques qui doivent être pris au sérieux. L’un des risques majeur est la non application de l’accord pour la paix et la réconciliation nationale issu du processus d’Alger. En effet, plusieurs dispositions de cet accord n’ont même pas connu un début de mise en œuvre. Il s’agit notamment du processus de DDR (Désarmement, Démobilisation et Réintégration des combattants), et le changement de la constitution de 1992. Aujourd’hui, la Cma réclame avant toute élection la mise en œuvre de certains réformes politiques préalables, inscrits dans l’Accord de paix, notamment «l’organisation du retour des réfugiés/déplacés, la révision des listes électorales, la relecture des lois portant libre administration et code des Collectivités Territoriales et bien d’autres aspects y afférents ».
Autres écueil au déroulement d’élections apaisées ? L’opposition politique malienne estime qu’en plus du contexte sécuritaire volatile, les conditions matérielles d’un scrutin crédible ne sont pas réunies. Elle réclame l’audit du fichier électoral avant les élections Cette situation est révélatrice des distensions et des contradictions qui entourent les élections à venir, et rappelle que la tension n’est pas véritablement retombée depuis le débats autour de la révision constitutionnelle avortée de juin 2017.
En cela s’ajoute une série de conditions posées par la communauté internationale notamment l’union européenne pour l’envoi d’observateurs pour la présidentielle de 2018. Au premier rang de celles-ci : en finir avec « l’opacité » du recensement général des votes à la Cour constitutionnelle. Pour «garantir la transparence du scrutin », l’Union européenne fait dix-huit recommandations, dont entre autres : « Le plan de ramassage des enveloppes destinées à la Cour constitutionnelle devrait être public, supervisé et garanti par l’administration, afin d’éviter la non-prise en compte des voix valablement exprimées dans les résultats définitifs proclamés », « Le recensement général des votes par la Cour constitutionnelle constitue une étape opaque du processus électoral. Il devrait bénéficier d’une clarification de ses procédures [et apporter] toutes les précisions nécessaires pour le rendre transparent. »
« Elle statue sur la régularité du processus électoral, sur l’enregistrement des candidatures, et proclame les résultats définitifs lors de son recensement général des votes », listait alors les experts, avant de regretter qu’« aucune précision procédurale n’est mentionnée dans les textes concernant cette dernière étape qui reste opaque.»
Lors du dernier scrutin présidentiel, la Cour constitutionnelle avait, selon l’UE, « procédé à diverses rectifications d’erreurs matérielles et aux redressements qu’elle a jugés nécessaires », mais les auteurs du rapport jugeaient alors « utile » de rendre public l’ampleur de ces rectifications et la méthodologie adoptée. La raison ? Cela garantirait une meilleure transparence du processus électoral.
En termes de sécurité, le pays fait face presque quotidiennement à des attaques terroristes. Ainsi, depuis le début de l’année 2018, plus de 86 militaires et civils ont été tués dans diverses attaques au Centre et au Nord du pays. En outre, le pays reste confronté à la croissance des réseaux criminels qui se livrent à toutes sortes d’exactions, allant des braquages sur les axes routiers aux vols de bétail dans les régions du Nord et du Centre.
Les élections au Mali sont également confrontées à plusieurs défis opérationnels. Il s’agit notamment de la présence de l’administration sur toute l’étendue du territoire et du retour des réfugiés et des déplacés. Malgré la signature de l’accord pour la paix et la réconciliation, selon le Haut-commissariat des réfugiés (HCR), on dénombrait toujours près de 143 103 réfugiés et 58 594 déplacés internes à la fin juin 2017. En 2013, toujours selon le HCR, ils étaient 167 000 réfugiés et 283 000 déplacés.
Ces élections à venir font planer le risque d’une crise institutionnelle. Le pouvoir en place, estimant que l’opposition ne peut accéder au pouvoir par la voie des urnes, la soupçonne de chercher à rendre impossible l’organisation des élections. L’opposition quant à elle, estime que le président de la République et le gouvernement veulent utiliser le contexte sécuritaire comme prétexte pour rester au pouvoir au-delà du mandat constitutionnel.
Il est peu probable que d’ici les élections de juillet 2018 des avancées significatives puissent être enregistrées au plan sécuritaire malgré les annonces du chef du gouvernement, Soumeylou Boubèye Maïga.
La création d’un cadre inclusif est nécessaire pour que les acteurs politiques, la société civile, et les signataires de l’Accord de paix de 2015 et même les partenaires du Mali discutent et s’entendent sur les meilleures conditions et modalités possibles pour les élections – qui seront inévitablement viciées mais peuvent toujours être crédibles.
Un arrangement politique de ce type avait permis, en 2013, à la suite de la crise multidimensionnelle malienne et de l’intervention franco-africaine, la tenue du scrutin présidentielle. Cette crise était survenue avec la rébellion armée de 2012 et la transition politique à Bamako, après le coup d’état de la même année.
Ce parallèle rappelle, en définitive, le manque d’évolution de la situation politique et sécuritaire du Mali depuis la présidentielle de 2013.
Mémé Sanogo